«Dorothée Wyss était une femme extraordinaire»
En Suisse tout le monde connaît la figure de Nicolas de Flüe. Sa femme, Dorothée Wyss, reste le plus souvent dans l’ombre. Pour les évêques suisses, cette image devrait changer. Il s’agit de mettre en lumière la femme du saint patron de la Suisse et la sainteté du couple.
Regula Pfeifer kath.ch / traduction adaptation Maurice Page
Depuis quelques années les initiatives se multiplient dans ce sens, notamment à l’instigation de l’association des amis de Frère Nicolas et Dorothée. Rencontre avec sa présidente Doris Hellmüller.
Les évêques suisses veulent mettre en lumière Dorothée Wyss, l’épouse de Frère Nicolas. Tous deux devraient à l’avenir être vénérés comme un couple saint. Êtes-vous impliquée dans ce processus?
Doris Hellmüller: Non, l’association des amis l’a appris par la suite. Mais l’appréciation et la vénération de ces deux figures spirituelles sont au cœur de nos préoccupations.
Qu’avez-vous entrepris dans ce sens?
Le 21 mars, jour anniversaire de la mort de Nicolas en 1487, nous avons rebaptisé la maison familiale à Flüeli. Mais sans manifestation publique, à cause de la pandémie du coronavirus. Jusqu’à présent, elle s’appelait «Maison de Frère Nicolas». Elle est aujourd’hui labellisée «Maison de Nicolas et Dorothée». Cela reflète le fait que tous deux ont vécu ici, Nicolas environ 20 ans, Dorothée plus de 40 ! C’est ainsi que Dorothée redevient visible. En outre, nous travaillons actuellement à une nouvelle visite guidée axée sur Dorothée. Elle sera au programme des pèlerinages, à partir du printemps 2021.
Le Musée de Frère Nicolas de Sachseln a prévu une exposition spéciale «Dorothée Wyss – l’histoire d’une femme extraordinaire».
Cette exposition, prévue pour 2020, devait montrer la vie et le travail de cette mère de famille et son culte. En raison de la pandémie de coronavirus, l’exposition a cependant dû être reportée à 2021.
Quelle contribution avez-vous apportée à cette exposition?
Avec le retard causé par le coronavirus, l’association a décidé de compléter l’exposition par une démarche artistique. Nous avons invité trois artistes d’Obwald à se confronter à l’image de Dorothée. Roland Gröbli, un des meilleurs spécialistes de Frère Nicolas leur a présenté le sujet. Ces artistes se penchent actuellement sur Dorothée Wyss. Leurs œuvres seront exposées au musée à partir de la fin mars 2021.
Pourquoi votre association veut-elle mettre en avant la personne de Dorothée Wyss?
En 2017, année commémorative des 600 ans de la naissance de Nicolas de Flüe, il est apparu clairement que le public réclamait Dorothée. Cet intérêt d’ailleurs n’est pas nouveau. Il existe déjà depuis les années 1980 avec notamment une pièce radiophonique de Klara Obermüller.
Quels nouveaux aspects de Dorothée ont-ils été mis en lumière?
En 2017, une mention documentaire de l’année 1494 ou 1495, dans les annales du monastère d’Engelberg, a été redécouverte et réévaluée. Il y est consigné que la fille Verena von Flüe et son mari ont fondé une messe (célébration de l’anniversaire de la mort, ndlr) au profit de ses parents «Frère Nicolas et sa femme Dorothée».
Pourquoi cette mention est-elle importante?
C’est le plus ancien document qui cite Dorothée par son nom. C’est important compte tenu de la rareté des sources. Plus important encore cette mention atteste clairement que le mariage entre Nicolas et Dorothée s’est poursuivi durant la période passée au Ranft. Qu’ils sont restés un couple marié, malgré leur séparation physique.
Que sait-on de la vie du couple?
Au début, ils vivaient de façon très classique. Elle s’est mariée jeune, il était plus âgé. Ils ont eu dix enfants et ont géré la ferme selon une division du travail courante à l’époque. Elle était responsable de la maison, de la cour et du jardin, lui de l’agriculture. Nicolas était souvent aussi au conseil et au tribunal. En raison de ses fréquentes absences, Dorothée a dû prendre des décisions de manière indépendante. Elle est devenue le centre de la grande famille d’agriculteurs.
Qu’y avait-il de particulier chez Dorothée?
Elle a reconnu la vocation de Nicolas. Les sources montrent qu’elle était sa plus proche confidente. Elle a vécu de près son combat, sa recherche de Dieu, dans un processus douloureux de deux ans, avant finalement de soutenir sa décision de se consacrer totalement à Dieu. Ce ‘lâcher prise’, précisément parce que l’on aime vraiment quelqu’un, est exemplaire.
Le fait que Nicolas lui ait demandé la permission et qu’elle ait donné son consentement est conforme à notre conception actuelle du partenariat. Mais je pense qu’ils étaient en avance sur leur temps. Et pendant ses 20 ans comme ermite au Ranft (à un kilomètre de la maison familiale, ndlr), elle l’a couvert, socialement et matériellement. Elle l’a défendu publiquement, ce qui est extraordinaire et montre sa force.
Y a-t-il eu des cas similaires?
Il existe de nombreux exemples de femmes et d’hommes mariés devenus ermites. Mais les hommes ont pris cette mesure sans le consentement de leur femme, et les femmes seulement en tant que veuves. Selon Roland Gröbli, Nicolas et Dorothée sont le seul couple dont on connaît le consentement. À cet égard, cette décision commune est unique.
Quel est le rayonnement du couple Nicolas et Dorothée aujourd’hui?
Nicolas et Dorothée relient au-delà des langues, des pays et des confessions. Cela se reflète également dans l’association des Amis. Son comité comprend des membres de Suisse romande, du Tessin, de l’Eglise catholique, de l’Eglise réformée et des Eglises évangéliques. (cath.ch/kath.ch/rp/mp)