Don P.-A. Dumont: «Il faut redonner à la finance sa vraie finalité»
Le Fribourgeois Pascal-André Dumont, économe de la Communauté Saint-Martin, aborde les questions financières à la lumière de la doctrine sociale de l’Eglise. Dans un livre récent sur la vocation de l’investisseur, il honore cette réflexion éthique en plaidant pour une conversion des pratiques autour de l’argent.
Propos reccueillis par Bernard Litzler pour cath.ch
Joint par téléphone, Don Pascal-André Dumont revient sur son livre La vocation de l’investisseur à la lumière de la doctrine sociale de l’Église. La réflexion du religieux suisse dépasse la gestion des biens communautaires dont il a la charge. Comme prêtre, en lien avec l’Évangile, il veut nourrir la réflexion sur le monde de la finance. Afin d’éclairer de manière positive notre rapport à l’argent, «excrément du diable, mais aussi merveilleux engrais», comme l’exprime Bertrand Badré, ancien directeur général de la Banque mondiale dans la préface de l’ouvrage.
Votre livre est à la fois une synthèse et un rappel des éléments de la doctrine sociale chrétienne. Quelle est l’intention de cet ouvrage?
Pascal-André Dumont: J’ai accompagné un groupe de jeunes professionnels de la finance, qui se sont formés pendant plusieurs années à la doctrine sociale de l’Église. A un moment donné, il s’agissait d’y apporter leur propre contribution. Car la doctrine sociale de l’Église en matière financière n’en est qu’à ses débuts. La finance actuelle, surtout avec la mondialisation, a généré des phénomènes nouveaux que l’Église a peu appréhendés pour l’instant, si ce n’est à travers l’encyclique Caritas in veritate de Benoît XVI, au moment de la crise des subprimes en 2008. Depuis la réflexion a progressé avec les documents du Vatican Oeconomicae et pecuniariae quaestiones en 2018 et Mensuram bonam en 2022.
«La doctrine sociale de l’Église en matière financière n’en est qu’à ses débuts.»
Vous avez donc l’intention d’élargir la réflexion de l’Eglise sur la finance?
J’ai participé à l’élaboration de Mensuram bonam. Il faut réfléchir plus profondément que de juste élaborer des critères éthiques d’investissement. Et donner à un sens à la vie professionnelle des jeunes qui travaillent dans la finance. Pour que le monde de la finance retrouve sa finalité authentique, en définanciarisant les esprits. Comment? En remettant le profit à sa juste place et en donnant à la finance sa vraie finalité, à savoir ce qu’elle apporte plutôt que ce qu’elle rapporte.
La réflexion de l’Eglise sur l’éthique de la finance est déjà avancée, non?
Parler du bien commun et de la finalité de la finance, l’Église le fait depuis longtemps. Il faut s’appuyer sur ces fondamentaux et les utiliser comme des lumières qui viennent éclairer l’activité financière. Ce qui se développe depuis trois-quatre ans, c’est la réflexion sur le rôle spécifique de la finance.
Il existe bien des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), qui indiquent si les investissements sont éthiques ou non. Mais ces critères sont trop partiels, sans vision globale de l’activité financière. L’Église peut donner cette vision plus large, car avec les ESG, l’éthique est réduite à des processus.
Le rapport à l’argent est une question permanente, même pour les chrétiens. Votre livre essaie de repositionner les finalités.
Je ne diabolise pas l’activité financière, car on en a besoin. D’ailleurs Jésus, dans l’Évangile, parle d’argent: et même beaucoup, par exemple à travers le débiteur impitoyable, l’ouvrier de la 11e heure, la parabole des talents, etc.
Il dit aussi qu’on ne peut pas servir Dieu et l’argent. Car l’argent donne du pouvoir, et peut fasciner jusqu’à devenir une finalité en soi. Jésus nous met en garde contre cela. D’où l’importance de remettre l’argent à sa juste place: c’est un moyen, utile, mais il faut savoir bien l’utiliser, en l’obtenant de manière bonne, sans le voler, et ensuite savoir pour quel usage, pour qui, pour soi-même ou pour les autres.
«Il importe de donner à la finance sa vraie finalité, à savoir ce qu’elle apporte plutôt que ce qu’elle rapporte.»
A votre avis, les chrétiens ont-ils des difficultés face à l’argent?
Beaucoup de catholiques ont une vision négative de l’argent et des financiers qui sont considérés comme «tous pourris», etc. C’est puéril car cela ne change rien. Les personnes sont souvent dans un rapport coupable à l’argent. Elles font du profit un but ultime, tout en se sentant coupable de le faire. C’est pourquoi j’aime parler de «définanciarisation» des esprits. Parce que tout le monde est concerné et pas seulement les financiers qui en font leur profession.
Comment passer à un rapport positif à l’argent?
Jésus ne condamne pas, mais pousse à la conversion. Dans notre livre, nous évoquons les conversions nécessaires de l’investisseur pour une finance au service du bien commun. Or la finance, dans ses grandes lignes, n’est pas dans cette optique. Il existe de belles choses, mais ce sont des sentiers de traverse et non de grandes autoroutes de la finance, qui restent marquées avant tout par la recherche du profit.
«J’aime parler de «définanciarisation» des esprits. Parce que tout le monde est concerné.»
De fait, vous militez pour une confiance dans l’humain plutôt que dans les algorithmes.
La technologie qui se prétend infaillible contient le risque de déresponsabiliser les personnes. Parce qu’il est très difficile de prendre une décision financière contraire à ce que préconise l’écran ou l’algorithme. Surtout quand son poste de travail est en jeu.
Pourtant la foi, l’espérance en quelque chose de plus grand, poussent à prendre des risques. Dieu, le premier, a pris le risque de nous créer. Il a aussi pris le risque de la non-réciprocité de l’amour, que nous ne lui rendions pas l’amour qu’il nous donne. Et le risque, on le prend d’autant plus quand on a la foi. Les vertus chrétiennes peuvent nous aider à transformer la finance, sans risques inconsidérés : la tempérance permet de résister à l’appât du gain, la foi de persévérer dans les moments difficiles, etc.
Est-il possible d’ouvrir les esprits à la conversion à la pensée de l’Église?
Nous sommes dans une période propice parce que les temps sont marqués par une montée de la paupérisation, un clivage de plus en plus net entre les riches et les pauvres. Il y a aussi une quête de sens, aujourd’hui, dans la nouvelle génération qui veut être sûre que ce qu’elle fait est utile.
La Suisse a vécu une crise majeure avec l’effondrement récent du Crédit Suisse. Quel sentiment vous inspire cet événement?
Il existe un grand danger de concentration financière favorisé par la mondialisation. Les banques sont devenues des mastodontes interpénétrés. Un problème à un endroit produit un effet de dominos parce qu’il y a trop de financements croisés.
Les opérations des grandes banques ces dernières années prouvent qu’il n’y a pas de volonté éthique réelle. L’éthique est de bien faire le bien, mais si le seul critère est la quête du profit, elle passe aux oubliettes. Pour la doctrine sociale de l’Eglise, le profit ce n’est pas le bien. Cela ne veut pas dire que le profit est mal, mais le bien est autre chose. (cath.ch/bl)
Prêtre éclairé par la doctrine sociale
Don Pascal-André Dumont, économe de la Communauté Saint-Martin, a accompagné la croissance de sa communauté, dont la maison-mère est installée à Evron en Mayenne, dans l’ouest de la France. Juriste de formation, il a participé à la création du fonds d’investissement Proclero. «Je suis alors tombé dans le monde de la finance, dit-il, mais je ne serai jamais un financier». Sa mission: «Etre prêtre en allant aux fondements de l’activité financière et en étant éclairé profondément par la doctrine sociale de l’Église. C’est devenu un ministère depuis 2010».
Le livre La vocation de l’investisseur à la lumière de la doctrine sociale de l’Église a généré un parcours de formation à la finance intégrale, testé cet hiver à Paris par une douzaine de professionnels du monde de la finance. «Ce fut un grand succès. Nous allons encore l’améliorer en ouvrant trois parcours en septembre 2023 avec 15 à 20 personnes pour chacun, confie don Pascal-André. Au fur et à mesure va se former une nouvelle génération de financiers». BL
Don Pascal-André Dumont et Don Jean-Rémi Lanavère, La vocation de l’investisseur à la lumière de la doctrine sociale de l’Église, Salvator, 2022