Dominique Voinçon: «Ce que je suis, je le dois beaucoup à l’Eglise»
Journaliste au Centre Catholique de Radio et Télévision (CCRT), responsable du dialogue interreligieux dans le canton de Vaud, aumônier de prisonniers et de réfugiés, Dominique Voinçon a vécu de nombreuses vies. Arrivé à la retraite, il ouvre un nouveau chapitre avec son départ pour l’île Maurice, le pays de sa femme.
Discuter avec Dominique Voinçon c’est parcourir les pays et les continents, c’est rencontrer de multiples visages. Et le jeune retraité ne compte pas s’arrêter en si bon chemin puisqu’il est en train de boucler ses valises pour rejoindre l’île Maurice, au coeur de l’océan indien. «J’ai toujours aimé avoir l’océan à mes pieds», rigole celui qui est né en Alsace et a grandi à Grenoble.
Pour l’heure, le retraité n’a pas de projet précis, «mais je rendrai volontiers service si on me le demande… Ou peut-être je reprendrai l’écriture, pour raconter les beaux visages rencontrés au cours de ma vie.»
«J’ai découvert, au Burkina Faso, la cruauté de l’excision des femmes au sujet de laquelle j’ai écrit plus tard un livre»
L’île Maurice est le pays de sa femme Haydée, «nous fêtons dimanche nos 30 ans de mariage». Elle est aussi heureuse de pourvoir se rapprocher de sa mère âgée et malade. «Nos trois enfants ont quitté le nid familial et même de très loin, nous pourrons continuer à garder des contacts par internet.»
L’appel du large
L’appel du large a toujours résonné au coeur de Dominique. Après son baccalauréat puis son service militaire, au cours duquel il retrouve la foi, il entre au séminaire à Lyon, puis chez les missionnaires d’Afrique (Pères blancs). Premier contact avec la Suisse pour son année spirituelle à l’Africanum de Fribourg. Premier contact aussi avec le monde des médias, par le biais d’une visite à la télévision suisse romande à Genève.
Pas question pour Dominique de suivre un itinéraire trop balisé. Il prend deux ans pour vivre comme éducateur d’un foyer pour adolescents sortant de prison à Lyon. «C’était déjà de petits caïds». Sa formation se poursuit au Centre de recherche et de communication CREC-AVEX, à Lyon, fondé par le Père Pierre Babin, ‘gourou’ de la communication catholique. Un des formateurs du centre est André Kolly, directeur du Centre catholique de radio et télévision à Lausanne (CCRT).
Suivront deux ans de stage au Burkina Faso, au coeur de la brousse. «J’aurais préféré la ville, mais j’ai découvert la cruauté de l’excision des femmes au sujet de laquelle j’ai écrit plus tard un livre.» En 1988, il achève sa formation théologique à Toulouse, mais renonce à la prêtrise et reprend un vie de laïc comme enseignant de religion dans un collège laïc de Sélestat, en Alsace.
«Nous sommes passés d’un journalisme encore confessionnel, à un journalisme résolument oecuménique, traitant du fait religieux»
Journaliste radio
«Jusqu’au jour où, au début de l’année 1990, André Kolly m’appelle pour me proposer un poste qui vient de se libérer au CCRT. Ni une ni deux, j’ai débarqué à Lausanne. S’ensuivent quatorze ans de journalisme à la Radio suisse romande. Il y côtoie les grand noms de la profession, multiplie les rencontres et les voyages, «avec le ›nagra’ en bandouilère et les ciseau et le scotch pour les montages sur un coin de table de la chambre d’hôtel. «Un de mes premiers reportages fut la rencontre européenne de Taizé à Prague, en 1990, un an après la chute du mur de Berlin.» En 1992 ce fut un mois de reportage en Amérique latine pour les 500 ans de la découverte du continent. Il y aura encore le Guatemala, l’Irlande du Nord, Israël…
Il y aura aussi l’aventure du lancement de l’émission Hautes Fréquences avec son confrère protestant Cyrille Depraz. «Nous sommes passés d’un journalisme encore confessionnel, à un journalisme résolument oecuménique, traitant du fait religieux et nous dotant des moyens d’enquête nécessaires. Il y avait une attente pour ce genre de traitement. La meilleure preuve est que l’émission existe encore en 2023 et travaille dans le même esprit.»
«En 2001, j’en en ai eu un peu marre. J’ai fait ma crise de la quarantaine. J’avais été déçu par l’assemblée diocésaine AD2000 et par la lettre Domini Jesus du cardinal Ratzinger qui ‘rabaissait’ les protestants. J’ai rejoint l’information de la RTS où j’ai passé trois ans».
Aumônier de prison
En quittant le journalisme, Dominique Voinçon est engagé par l’Eglise catholique du canton de Vaud (FEDEC) comme aumônier de prison puis comme assistant pastoral à Payerne. Là encore un métier de rencontres où il tissera de nombreux liens. A partir de 2014, il devient délégué pour le dialogue interreligieux, en 2018 s’y ajoutera l’aumônerie du centre fédéral d’asile de Vallorbe. «Avec ma femme nous sommes devenus les parrains d’une famille de réfugiés kurdes qui ont pu obtenir un permis de séjour et s’installer à Genève.»
«A part quelques énervés, je n’ai jamais eu à faire à des islamistes conquérants et agressifs, nous ne sommes pas en France»
Dialogue interreligieux
«Dejà depuis ma formation chez les Pères blancs, j’étais sensibilisé au dialogue interreligieux. Avec les musulmans, mais aussi les juifs ou les bahà’is par exemple. A part quelques énervés, je n’ai jamais eu à faire à des islamistes conquérants et agressifs, nous ne sommes pas en France», témoigne Dominique Voinçon. Si l’islam a une image négative, l’Eglise catholique a aussi dû subir le poids des scandales sexuels ou autres. Aujourd’hui ce dialogue doit retrouver un deuxième souffle.»
Le bon grain et l’ivraie dans l’Eglise
Révolté, parfois en colère, au point de passer pour un râleur, Dominique Voinçon refuse surtout la manipulation et les extrémistes. «Nous avons le droit de ne pas être d’accord, mais nous n’avons pas le droit d’instrumentaliser des situations ou des personnes. Si je dérange c’est pour le bien de l’Eglise. Mais j’ai toujours tenu à faire voir les exemples des personnes admirables que je rencontre. Les révélations sur les abus de Jean Vanier m’ont beaucoup choqué, mais en face j’ai eu le témoignage de Mgr Tessier (évêque d’Alger) ou de Mgr Ruiz (évêque du Chiapas). C’est l’histoire du bon grain et de l’ivraie. Ce que je suis, je le dois beaucoup à l’Eglise», conclut-il. (cath.ch/mp)
Henri Pouillot et la torture en Algérie
Parmi les histoires qui ont marqué Dominique Voinçon, celle de l’interview d’Henri Pouillot fut un vrai moment de grâce. «En 2000, je participais à un rassemblement sur la torture en Algérie dans un cinéma parisien. A un moment donné, une personne se lève dans l’assemblée pour expliquer un peu confusément qu’il faut essayer de comprendre et ne pas juger trop vite. J’ai l’intuition qu’il a quelque chose sur la conscience et qu’il veut le dire. Je le rattrape à la sortie et lui demande s’il accepterait de parler au journaliste suisse que je suis. Nous trouvons un coin dans un des couloirs du cinéma et je sors mon micro. Henri Pouillot se livre: «Oui j’ai fais la guerre d’Algérie, comme simple appelé du contingent. Oui j’ai participé à la torture à la villa Susini…» Alors que je le connaissais pas, il me fait une confession qu’il n’avait pas dite à sa femme et me tombe dans les bras en pleurant. Henri Pouillot publiera plus tard son témoignage dans un livre, mais j’ai été le premier à qui il a parlé. Diffusé dans Hautes Fréquences, le témoignage fera date. MP