Dominique de Buman: «pour des multinationales responsables»
«On ne peut pas se dire chrétien et prendre des décisions aux antipodes…» Le démocrate-chrétien fribourgeois Dominique de Buman parle sans ambages: il milite au sein du comité bourgeois pour des multinationales responsables, qui prône le «oui» à cette initiative soutenue par les Eglises et de nombreuses personnalités issues de tous les partis politiques et des milieux culturels et économiques.
Dominique de Buman nous reçoit dans sa cave voûtée magnifiquement restaurée, dans un immeuble historique situé tout à côté du Musée Gutenberg, sur la Place Notre-Dame, qui donne de l’autre côté sur les falaises de la Sarine, avec en arrière-fond le pont à haubans de la Poya.
Une fibre chrétienne et sociale
Après 33 ans de mandats politiques, Dominique de Buman n’a plus de fonctions électives. Il a quitté en 2019 le Conseil national, où il était entré en 2003 et dont il fut président en 2017-2018. Mais ce chrétien convaincu, qui a gardé des engagements dans les milieux économiques et associatifs, continue de s’engager au plan des valeurs, notamment dans le comité bourgeois pour des multinationales responsables. Il évoque également pour cath.ch la disparition du «C» du parti démocrate-chrétien (PDC), qui pourrait devenir «Le Centre».
Loin de la doxa néolibérale, en cours dans une bonne partie de la droite, et même dans un secteur non négligeable de sa famille politique, Dominique de Buman se dit partisan d’une économie responsable. Pour lui, il n’est pas question de durcir la politique sociale à l’égard des plus faibles, alors qu’un nombre croissant de personnes vivant en Suisse sont déjà au-dessous du seuil de pauvreté, une situation aggravée par la pandémie du Covid-19.
«Le comité d’initiative avait consenti à des sacrifices douloureux»
«J’accepte les règles économiques, mais il est évident qu’un ordre économique libéral ne fonctionne qu’avec des conditions cadres claires auxquelles tous doivent se tenir…»
Les discussions au Parlement à Berne concernant l’initiative pour des multinationales responsables a duré près de trois ans. Durant tout ce temps, le comité d’initiative, dirigé par Dick Marty, ancien conseiller aux Etats libéral-radical tessinois, s’est montré très ouvert au compromis. «Le comité d’initiative avait consenti à des sacrifices douloureux jusqu’à la toute dernière seconde», explique le Fribourgeois, qui fut membre de la Commission de l’économie et des redevances du Conseil national de 2005 à 2019.
«Ils ont canardé toutes les propositions de compromis réel, et cela m’a révolté!»
Un contre-projet comprenant des règles contraignantes était soutenu par une part considérable de l’économie, notamment la Fédération des entreprises romande (FER), par Coop, Migros, la Fédération des Industries Alimentaires Suisses (fial), Swiss Textiles et la Conférence des chefs des départements cantonaux de l’économie publique. «Mais Economiesuisse et Swissholding (l’organisation faîtière des multinationales installées en Suisse, ndlr) ont empêché tout compromis et ces deux organisations ont ainsi montré qu’elles ne représentaient pas complètement les intérêts de l’économie», lâche-t-il.
«Ils ont canardé toutes les propositions de compromis réel, et cela m’a révolté!» Pour l’homme politique fribourgeois, l’économie n’a absolument rien à craindre de cette initiative qui prévoit que les entreprises ayant un siège en Suisse doivent veiller à ce que leurs activités commerciales respectent les droits humains et les normes environnementales.
Il en va aussi de l’image de la Suisse
D’ailleurs, de nombreuses multinationales ont introduit des programmes de compliance (c’est-à-dire l’ensemble des processus qui permettent d’assurer le respect des normes applicables à l’entreprise par l’ensemble de ses salariés et dirigeants, ndlr). Il en va aussi dans ce cas de l’image de la Suisse, qui aime à se présenter comme un modèle en matière de droits humains et de démocratie.
«Les entreprises multinationales ne doivent pas bénéficier d’avantages comparatifs en ne respectant ni les droits humains ni l’environnement, insiste-t-il. De plus, les PME ne sont pas concernées. Contrairement à ce que prétendent les opposants, l’ordre juridique suisse n’est pas renversé: c’est à la partie lésée qu’incombe d’apporter la preuve du dommage».
«Chrétien toujours pratiquant»
Celui qui se dit «chrétien toujours pratiquant» – influencé dans ses années au Collège St-Michel par des personnalités comme l’abbé Albert Menoud, le Père Emonet ou le professeur Georges Savoy – souligne «n’avoir jamais utilisé le goupillon pour se faire élire».
«Je ne cache pas ma foi, j’ose dire ce que je crois, mais je n’ai jamais fait de prosélytisme douteux!»
«J’ai été formé à la philosophie humaniste, et l’engagement est venu tout naturellement, avec pour principe la subsidiarité», explique celui qui a des liens avec l’Abbaye d’Hauterive (il fut durant 20 ans président de l’Association des amis d’Hauterive, un couvent qui abrite par ailleurs la tombe d’un certain… Dominique de Buman, un lointain grand-oncle qui fut Abbé d’Hauterive de 1659 à 1670). Le Fribourgeois est depuis 2017 vice-président de l’Association des Amis de «Frère Nicolas» – mehr Ranft.
Le «C» doit se mériter
Questionné sur la disparition éventuelle du «C» – pour chrétien – dans le nom de son parti, Dominique de Buman craint que le PDC, qui se meut dans une société de plus en plus déchristianisée, tout comme l’Eglise institutionnelle d’ailleurs, ne se dissolve dans l’esprit du temps. S’il est – «sentimentalement» – en faveur du maintien du terme chrétien dans l’appellation de son parti, encore faut-il qu’il en soit digne.
«On discute de l’étiquette, mais pas du flacon. L’appellation ‘Le Centre’ ne me dérange pas, mais il faut du contenu, des projets, des objectifs, des têtes qui portent ce projet». Pour le moment, Dominique de Buman ne voit pas d’élans nouveaux…»
Quant à l’Eglise «institutionnelle, politique», elle manque à ses yeux de courage prophétique sur des questions sociétales comme le mariage pour tous ou la procréation médicale assistée (PMA). «Elle est devenue muette, pour reprendre une citation du Père dominicain Ceslas Spicq, de peur de perdre encore davantage de fidèles…» Et lors de la pandémie du Covid-19, «elle a trop plié le genou devant le pouvoir civil». (cath.ch/be)
Personnalité de l’aile humaniste du PDC
Le politicien, qui se situe dans l’aile humaniste du PDC, a plongé dans le «bain» de l’ancien Parti conservateur chrétien-social, alors majoritaire dans le canton, à l’époque où il étudiait le droit l’Université de Fribourg. «Mes parents ne discutaient pas de politique à la maison, pas dans le sens de politique partisane. De côté de ma grand-mère maternelle, une Tissières, c’était la famille conservatrice valaisanne, tandis que mon grand-père, d’origine soleuroise, était libéral vaudois… Un bel assemblage!»
«Loin du vieil esprit ‘tépelet’ et bigot»
«A Lausanne, quand j’étais adolescent, j’allais écouter ce grand-père, qui, tout en étant libéral, était partisan du partenariat social avec les syndicats». Dominique souligne qu’il n’était pas formaté dans le système conservateur, «loin du vieil esprit ‘tépelet’ et bigot».C’est du temps de l’Université, où il était entré dans la société d’étudiants La Sarinia, qu’il s’est intéressé à l’engagement citoyen. «A 25 ans, encore étudiant, on m’a sollicité pour être sur la liste du PDC pour le Conseil général de Fribourg, je suis sorti 47e sur 80. C’est là que j’ai attrapé le virus de la politique!
Après, sa carrière suivra un cours rapide: Dominique est conseiller communal de la ville de Fribourg de 1986 à 1993, puis syndic de 1994 à 2004. Elu député à l’âge de 30 ans au Grand Conseil du canton de Fribourg, dont il sera président en 2001, il occupera cette charge de 1986 à 2003. Il se profilera aux côtés du conseiller d’Etat Michel Pittet lors de la lutte pour sauver la brasserie Cardinal, tombée aux mains du groupe argovien Feldschlösschen.»J’étais syndic depuis deux ans quand tombe la nouvelle de la fermeture de la brasserie de Fribourg, un 29 novembre 1996. On n’a pas laissé faire, on s’est battu, et la brasserie est restée à Fribourg pendant 15 ans. Quand tu vas au combat, tu t’aiguises!» JB
Plus de 350 politiciennes et politiciens bourgeois s’engagent
Plus de 350 politiciennes et politiciens du PBD, PDC, PEV, PLR, PVL et de l’UDC s’engagent au sein du comité bourgeois pour des multinationales responsables en faveur du «oui» à l’initiative soumise au peuple suisse le 29 novembre 2020. Le PBD Suisse, le PEV Suisse, les JDC Suisse ainsi que plusieurs sections cantonales des Vert’libéraux (VD, GE, LU, BL) ont déjà recommandé d’accepter l’initiative. Les Vert’libéraux Suisse n’ont pas encore émis leur recommandation de vote. Pour les membres du comité, ce que l’initiative demande est une évidence: les multinationales qui violent les droits humains ou détruisent l’environnement doivent rendre des comptes. «Liberté et responsabilité vont de pair pour que l’ordre économique fonctionne librement!» JB