Dissimulations d'abus: nouvelles accusations contre Jean Paul II
Un documentaire diffusé le 5 mars 2023 à la télévision polonaise affirme que le cardinal Karol Wojtyla, le futur pape Jean Paul II, a passé sous silence des abus sexuels sur mineurs, alors qu’il était archevêque de Cracovie. Il se serait contenté de transférer des prêtres dans d’autres paroisses afin de préserver l’image de l’Eglise.
«Il devait savoir mais il n’y avait pas de preuves. Et là, on a une preuve», assure Thomas Doyle dans le reportage de la chaîne privée polonaise TVN, rapporte l’AFP. L’ancien prêtre américain a été l’un des premiers à dénoncer les abus dans le clergé aux Etats-Unis, en 1985 déjà. Il fait référence, en tant qu’observateur, à l’une des séquences du documentaire relayant un témoin anonyme assurant avoir transmis en personne à Karol Wojtyla, alors qu’il était archevêque de Cracovie en 1973, des informations sur un cas de pédophilie. «Wojtyla voulait d’abord s’assurer qu’il ne s’agissait pas d’un bluff, affirme le témoin dans le reportage. Il a demandé de ne le rapporter nulle part, il a dit qu’il s’en occuperait». Selon le témoin, le cardinal lui avait explicitement demandé si l’affaire pouvait rester étouffée.
L’enquête de TVN a été menée par le journaliste Michal Gutowski. Ce dernier a rencontré des victimes de prêtres, leurs proches, ainsi que d’anciens employés du diocèse. Il a aussi eu accès à des documents de l’ancienne police secrète polonaise, ainsi qu’à de rares documents de l’Église. Michal Gutowski affirme ainsi que l’archevêque Wojtyla a été mis au courant de plusieurs affaires d’abus sur mineurs par des prêtres de son diocèse, qu’il aurait seulement changé de paroisse.
Cumul d’accusations
De telles accusations contre le pape polonais, décédé en 2005, ont surgi depuis déjà plusieurs années. Nombre d’enquêtes de presse ont mis à jour des indices de plus en plus précis. En mai 2019, un premier documentaire télévisé, intitulé Ne le dis à personne (Tylko nie mow nikomu), qui avait engrangé des millions de vue sur YouTube, révélait de nombreux cas d’abus et de dissimulations par les autorités ecclésiastiques et étatiques polonaises. Le reportage posait également la question de ce que savait le futur Jean Paul II.
Le journaliste néerlandais Ekke Overbeek avait déclaré en décembre 2022 détenir des preuves que Karol Wojtyla a dissimulé des abus sur mineurs. Des éléments exposés dans un livre qui doit paraître le 8 mars 2023, et qui apportera sans doute un éclairage supplémentaire. En décembre 2022 également, le quotidien polonais Rzeczpospolita a publié un rapport de plusieurs pages sur des cas de traitements problématiques, par l’archevêque de Cracovie, de prêtres abuseurs. Le Vatican envisagerait en outre de lancer une enquête sur le sujet.
Influencé par son expérience communiste?
Comme le note le journal La Croix, beaucoup mettent le silence de Karol Wojtyla sur le compte du contexte de l’époque en Pologne. Les services secrets communistes n’hésitaient pas à répandre de fausses accusations d’abus sexuels pour piéger des prêtres et réduire l’influence de l’Église catholique. Une réalité qui aurait orienté son attitude à l’égard de ces affaires. Le cumul des accusations jette toutefois une ombre supplémentaire sur la réelle volonté du Polonais d’agir contre les abus au sein de l’Eglise, à la fois en tant qu’archevêque et plus tard en tant que pape.
Des voix s’élèvent toutefois en Pologne pour défendre la mémoire de l’ancien pontife, à l’image du Père Stanislaw Tasiemski, vice-président de la KAI, l’Agence d’information catholique polonaise, qui estime que Karol Wojtyla a agi «selon les lois de l’époque». A noter que le cardinal Stanislaw Dziwisz, l’ancien bras droit de Jean Paul II, a également fait l’objet d’une enquête canonique pour dissimulation d’abus, ordonnée en 2021. En avril 2022, le Vatican a conclu que le prélat polonais avait réagi correctement aux informations concernant des abus sexuels portés à sa connaissance. (cath.ch/afp/cx/arch/rz)