Lausanne: André Comte-Sponville a débattu d’une spiritualité sans Dieu
Disputatio philosophique et théologique à l’EPFL
Lausanne, 18 mai 2011 (Apic) Le philosophe athée André Comte-Sponville a croisé le fer avec les théologiens Lytta Basset et François-Xavier Amherdt, le 17 mai 2011 à l’EPFL à Lausanne, lors d’un débat intitulé «Vers une spiritualité sans Dieu».
Agrégé, thésard en Sorbonne, enseignant en philosophie, auteur prolifique (déjà 25 livres à son actif), André Comte-Sponville se définit lui-même comme un «athée fidèle». C’est à ce titre que l’aumônerie de l’EPFL a invité le philosophe parisien à débattre des possibilités d’une spiritualité sans Dieu, avec les professeurs Lytta Basset et François-Xavier Amherdt. Le débat a fait salle comble et ce n’est pas peu dire quand il s’agit du Rolex Learning Center.
Un athée spécifiquement chrétien
André Comte-Sponville a commencé par exposer la signification de la spiritualité sans Dieu. Selon lui, les athées n’ont pas moins d’esprit que les autres. Ce sont des croyants intelligents et lucides, qui ne s’abrutissent pas avec un savoir arrêté à propos de Dieu. Ils ne sont pas sans opinion comme les agnostiques, mais croient simplement que Dieu n’existe pas. «C’est une croyance et non une connaissance, puisque on ne peut rien connaître de Dieu», a-t-il expliqué.
Dès lors l’athéisme s’inscrit en réaction à ce qui est dit de Dieu. La façon d’être athée dépend de la religion récusée. Celle de Comte-Sponville, homme enraciné dans la culture occidentale, se veut spécifiquement chrétienne. Lorsqu’on est athée, il ne subsiste presque rien de la foi, qui est remplacée par la fidélité envers des valeurs traditionnelles, d’origine chrétienne. Celles-ci forment un héritage historique et géographique digne d’être transmis de génération en génération.
Citant St-Paul, St-Augustin et St-Thomas d’Aquin, le philosophe montre combien le Christ n’a jamais eu ni la foi, ni l’espérance. Comte-Sponville estime qu’il était cependant d’une charité parfaite. Imiter Jésus reviendrait alors à suivre une spiritualité de l’amour. Curieusement, l’athée fidèle ne défend pas non plus cette vertu théologale.
André Comte-Sponville a aussi décrit une de ses propres expériences mystiques, lors d’une balade sous un ciel étoilé. De l’avis du philosophe, rien de meilleur, de plus fin et de plus bouleversant que ces quelques minutes: une béatitude hors du temps où l’on n’éprouve même plus le besoin d’être aimé; les histoires d’amour des chrétiens avec leur bon Dieu étant alors jugées sans le moindre intérêt.
Crédibilité et relation personnelle
Lytta Basset et François-Xavier Amherdt, respectivement professeurs de théologie protestante et catholique aux Universités de Neuchâtel et Fribourg, se sont ensuite livrés à un exercice périlleux: répondre au philosophe. Lytta Basset a présenté l’alternative d’une spiritualité insufflée par l’amour. Elle a offert un témoignage poignant de sa vie de mère endeuillée, martelant que le rapport à Dieu ne se construit pas dans une verticalité en projetant sur lui une idée préconçue, mais dans la relation horizontale de l’amour partagé entre les hommes.
L’abbé François-Xavier Amherdt a osé la disputatio, en «champion» de la foi catholique. Lecteur attentif du philosophe, il s’est donné pour but de montrer en quoi la proposition chrétienne rejoint la plupart des intuitions de Comte-Sponville, en leur apportant toutefois une coloration différente, tout en demeurant rationnellement compréhensible. Il a insisté sur les différences en introduisant la notion de personne, propre au christianisme. Pour l’abbé, la mystique chrétienne se vit aussi bien sous un ciel étoilé que de jour, dans sa cuisine. Elle est relationnelle et sa dimension d’amour ne se prouve pas, elle s’éprouve, car Dieu n’est pas objet de connaissance, mais sujet d’une rencontre possible.
Une profonde cassure
Au final, la cassure entre l’athée fidèle et le chrétien n’apparaît pas légère ou simplement colmatable. Le philosophe ne fait l’expérience de l’amour nulle part, sinon dans l’orgueil de s’aimer soi-même plus que tout ou, à la rigueur, dans l’amour de ses enfants. Dieu serait alors une projection de cet amour paternel, une illusion. D’ailleurs c’est précisément parce qu’il est préférable que Dieu existe qu’André Comte-Sponville n’y croit pas. Il paraît être le produit de nos désirs humains: ne pas mourir, être aimé et retrouver ceux que l’on a aimés. Une illusion, selon le philosophe.
Et l’abbé Amherdt de demander, en guise de conclusion: «Quelle est la plus grande illusion? Décréter que Dieu ne serait que la projection des désirs que pourtant nous expérimentons, ou vivre autant qu’il est possible dans le sens des désirs les plus profonds que nous portons en nous? Jésus crucifié est-il vraiment la projection de nos rêves?» (apic/pf/nd)