'Dilexit Nos': «L’essentiel est le cœur à cœur avec le Christ»
Dans sa dernière encyclique Dilexit Nos (Il nous a aimés) passée un peu inaperçue au moment de sa publication le 24 octobre 2024, en même temps que la clôture du Synode, le pape François rappelait que «L’essentiel est le cœur à cœur avec le Christ». Peut-on voir dans cette encyclique le testament du pape François?
«Lorsque nous sommes tentés de naviguer en surface, de vivre à la hâte sans savoir pourquoi, de nous transformer en consommateurs insatiables, asservis aux rouages d’un marché qui ne s’intéresse pas au sens de l’existence, nous devons redécouvrir l’importance du cœur,» insistait le pape François.
L’abbé François-Xavier Amherdt, ancien professeur de théologie pastorale à Fribourg, aujourd’hui curé de Savièse (VS) revient pour cath.ch sur quelques éléments centraux de ce texte et de la spiritualité du pape François.
Le titre de l’encyclique Dilexit Nos (Il nous a aimés) est tiré de l’épitre aux Romains (8.37) Que nous dit-il?
François-Xavier Amherdt: À travers le titre déjà, le pape François veut nous centrer sur l’essentiel. L’amour et la tendresse de Dieu qui prennent visage en Jésus-Christ constituent l’élément central de notre foi chrétienne. Dans le langage biblique le cœur n’est pas que le siège de l’émotion, c’est le centre de la personne où se prennent les grandes décisions. Jésus se présente lui-même comme «doux et humble de cœur» (Mt 11,29).
C’est une source de consolation pour tant d’hommes et de femmes marqués par les divisions, la maladie, la guerre, le découragement, le deuil. Cela peut parler à nos contemporains.
Peut-on voir dans cette encyclique le testament du pape François?
À mon avis, cette encyclique est un plaidoyer pour l’unité. C’est une invitation à nous unir autour de l’essentiel. Le pape a publié cette encyclique juste au moment où s’achevait le synode sur la synodalité à Rome. Car pour lui, c’est dans le cœur du Christ que nous pouvons trouver une source de communion au-delà des diverses positions ecclésiales.
Il est très intéressant aussi que le pape François la publie après deux encycliques plus sociales, Laudato si’ sur la sauvegarde de la ›maison commune’ et Fratelli tutti sur la fraternité humaine. Ce texte explicitement spirituel sous-tend les deux autres. Enfin rappelons qu’il n’y a chez lui aucune opposition avec les papes précédents. La forme est peut-être différente, mais le message est le même.
Pour certains, la dévotion au Sacré-Cœur apparaît comme mièvre.
Oui, il peut y avoir un côté un peu mièvre lorsqu’on parle de cœur. C’est le petit cœur rose en sucre, alors que la dévotion au Sacré-Cœur n’est pas douceâtre mais enflamme. Certains trouvent Thérèse de l’Enfant Jésus trop sentimentale, mais en fait, elle reprend avec ses mots puissants, la parole de l’évangile «Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous procurerai le repos» (Mt 11,28). Vivre la dévotion au Sacré-Cœur c’est rejoindre le mouvement même de Jésus vers les hommes.
«Dans une famille, dans une société, quand on manque de cœur, tout s’écroule.»
L’encyclique dénonce ceux qui se moquent de la piété populaire.
Populaire veut dire du peuple. Or la Bible est marquée par l’alliance de Dieu avec son peuple. Ce qui vient du peuple a ainsi une force de vérité et d’authenticité. On met du ›cœur à l’ouvrage’, du ›cœur à chanter à jouer’. Cette piété peut toucher toutes les expériences humaines. Dans une famille, dans une société, quand on manque de cœur, tout s’écroule.

Le pape regrette le peu de place du cœur dans la philosophie et la théologie.
La philosophie et la théologie doivent éviter un certain intellectualisme froid. Il s’agit aussi de prévenir un jansénisme moralisateur selon lequel il convient de s’attirer les bonnes grâces de Dieu par le respect du devoir. C’est une voie médiane entre esprit, volonté et émotion. On retrouve là une démarche typiquement jésuite, mais finalement très moderne dans sa conception de l’homme.
C’est une vision très équilibrée où les émotions sont mises à leur place, sans les déconnecter de l’esprit et de l’intelligence. Les deux dimensions de la sensibilité et de l’engagement sont présentes chez Ignace de Loyola. Il faut savoir les choses, mais il faut aussi les sentir, les goûter intérieurement, dans la prière et la contemplation.
Le texte revient assez longuement sur la notion de cœur dans une perspective biblique.
On peut commencer avec le grand commandement de l’Ancien Testament: «Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force.» (Dt 6,5) Le cœur est affirmé comme lieu de la réponse à l’appel du Seigneur: «Écoute Israël.»
Ce commandement est repris par Jésus lorsqu’on lui pose la question: «Quel est le plus grand des commandements?». Cet amour fort et concret porte l’Ancien et le Nouveau Testaments. Jésus présente son cœur comme un havre de paix pour ceux qui cherchent un sens à leur vie.
«Se brancher sur le cœur du Christ, c’est accepter de faire la vérité sur nous-mêmes.»
Je ressens en pastorale, surtout pour les malades et les personnes en deuil, combien se rapprocher du cœur de Jésus avec Marie peut être important. Au-delà d’un faux sentimentalisme, nous sommes rejoints dans nos tripes, nos entrailles. Quelle plus belle imitation du Christ que d’ouvrir notre cœur à la souffrance des autres?
Le pape dénonce aussi une spiritualité ›sans chair’.
Dans Evangeli gaudium , le pape François définissait la pastorale comme ›un constant corps à corps’. Nous sommes appelés à ›toucher’ la chair de l’autre c’est-à-dire ce qui fait son humanité. Dans notre monde de réseaux sociaux, d’algorithmes, d’intelligence artificielle, ce rappel me semble bienvenu. Dans ce monde virtuel, revenir au cœur est aussi revenir à la vérité. Se brancher sur le cœur du Christ, c’est accepter de faire la vérité sur nous-mêmes.
Le pape y voit un antidote contre la mentalité actuelle où tout s’achète et se vend, y compris la dignité humaine.
Le cœur et la chair représentent par excellence l’unicité inviolable de la personne, sa dignité ›indépassable’. Blesser et briser le cœur d’un enfant constitue le sommet de la violence. C’est exactement le contraire de ce que le Christ veut pour nous. C’est un antidote à la marchandisation et l’exploitation de l’être humain sous toutes ses formes.
«Le Sacré-Coeur sonne juste parce que les gens ont besoin d’un Dieu proche.»
La dévotion au Sacré-Cœur n’a donc rien d’anachronique.
Elle sonne juste parce que les gens ont besoin d’un Dieu proche, d’une Église proche. On revient au centre, loin d’un catalogue de dogmes ou de listes de choses permises ou défendues. Nous ne sommes pas dans une dogmatique froide ni un moralisme impitoyable, mais dans une spiritualité existentielle. L’essentiel est le cœur à cœur avec le Christ, dans le silence.
Durant les dernières décennies, on a eu souvent au sein de l’Église un peu de mépris pour cette dévotion comme une forme de superstition, de pensée magique.
Le pape François propose un bel équilibre entre la théologie et l’invitation à la vivre dans le concret de l’existence. Les recherches anthropologiques actuelles sont revenues d’un rationalisme structuraliste étroit. Je constate dans ma pastorale, combien il est important, notamment pour les jeunes, d’avoir non seulement une réflexion et des paroles, mais aussi des gestes et des images. Nous pouvons encore évoquer l’importance des racines puisque cette piété populaire nous vient à travers les siècles. Nous renouons ainsi avec nos racines, pour mieux résister aux vents contraires de notre monde.
«À quoi servent des structures qui ne sont pas animées par un cœur et l’oraison amoureuse?»
L’encyclique critique les communautés et les pasteurs concentrés sur les réformes de structures.
Il faut évidemment des structures et une réflexion sur les modalités de gouvernance de l’Eglise, mais sans jamais oublier l’essentiel qui reste de favoriser la relation personnelle avec Dieu. À quoi servent des structures qui ne sont pas animées par un cœur et l’oraison amoureuse? Avec cette encyclique le pape remet de la chair et un cœur sur le squelette. C’est en vivant une spiritualité forte que les agents pastoraux pourront la communiquer à d’autres, sinon cela reste cérébral, extérieur.

Le pape se penche aussi sur les notions de réparation et de consolation. Dans la dévotion traditionnelle au Sacré-Cœur, il s’agit de consoler le Christ et de compléter ses souffrances. Ce qui ne paraît pas très concevable dans la vision actuelle.
Réparation et consolation sont deux notions différentes. La réparation signifie que par le cœur du Christ, nous pouvons réparer et soigner les blessures faites aux êtres humains. Parfois la réparation est un peu ambiguë, si on la considère comme un calcul ou un décompte d’une dette que l’on devrait à Dieu. Non, le don de Dieu est gratuit et nous pouvons y répondre en soignant gratuitement ceux qui souffrent. N’entrons pas dans la logique du donnant-donnant.
La consolation du Christ rappelle que le Christ pleure de voir toutes les abominations commises par les êtres humains. L’Évangile raconte que Jésus pleura sur Jérusalem. (Luc 19,41). Vouloir consoler Jésus, c’est lui dire: ›Nous pleurons avec toi. Nous travaillons à ton œuvre pour que ton corps soit restauré.’
Le jésuite François Varillon parlait de la joie et de la souffrance de Dieu. Jésus nous est si proche qu’il a en quelque sorte ›besoin’ d’être consolé par notre attitude, notre réponse, notre engagement. (cath.ch/mp)
Ce texte est la reprise d’un article paru sur cath.ch le 8 novembre 2024
La nouvelle de la mort du pape François a été annoncée à 9h45, par le cardinal Kevin Farrell, Camerlingue de la Chambre apostolique, depuis la Maison Ste Marthe. Le pape François est décédé en ce lundi de Pâques, 21 avril 2025.