Dietrich Bonhoeffer, martyr du nazisme exécuté il y a 75 ans
En avril 1945, le pasteur Dietrich Bonhoeffer, 39 ans, est pendu par les nazis dans le camp bavarois de Flossenbürg. Résistant et martyr, ce brillant théologien a redécouvert l’humilité de Dieu à partir de la figure du Christ. Il est devenu un maître spirituel majeur du XXe siècle.
9 avril 1945: l’étau se resserre sur le pouvoir nazi. Pourtant, un mois avant la fin de la Deuxième Guerre mondiale, le Führer fait exécuter les commanditaires de l’attentat perpétré contre lui. Parmi les complices du conspirateur principal, l’amiral Wilhelm Canaris, figure un pasteur luthérien, Dietrich Bonhoeffer.
Aujourd’hui, la pensée de ce théologien et penseur irrigue encore les cercles spirituels, notamment grâce aux textes rédigés durant l’emprisonnement de deux ans subi avant son exécution. L’ouvrage Résistance et soumission, paru en 1951 et traduit en plusieurs langues, dévoile ses interrogations sur la foi, sur Dieu et sur l’évolution du monde. Le témoignage de Bonhoeffer, mêlant action et réflexion, engagé jusqu’à la mort contre les chimères du national-socialisme, reste un modèle d’inspiration.
Contre la hiérarchie luthérienne
Son cheminement épouse une époque troublée. Né en 1906 dans une famille bourgeoise de Breslau (l’actuelle Wroclaw en Pologne), Dietrich Bonhoeffer fait d’abord de brillantes études. Quand ses frères lui déconseillent la théologie, car l’Eglise est dépassée, il rétorque, à 17 ans: «Alors je réformerai l’Eglise!». Il s’intéresse notamment à l’œcuménisme et à la dimension mystique de l’Eglise. A 18 ans, il assiste, séduit, à la messe des Rameaux à Saint-Pierre de Rome. «Voilà ce qui donne une impression fabuleuse de l’universalité de l’Eglise: on voit des Blancs, des Noirs, des Jaunes, tous rassemblés dans l’Eglise».
Sa réflexion croyante prend une orientation novatrice: penser l’Eglise à partir du Christ. Après un stage pastoral à New York en 1931, il est nommé pasteur à Berlin. Rapidement, il est confronté à la montée du nazisme et aux persécutions contre les juifs. Il entre en résistance contre sa propre hiérarchie, complaisante à l’égard d’une idéologie que Bonhoeffer estime idolâtre. Il fonde alors, avec une vingtaine de théologiens, une Ligue de crise, qui rallie en 1934 jusqu’à 7’000 pasteurs, soit un tiers du corps pastoral allemand, dressés contre les persécutions antisémites.
Le Predigerseminar
Bonhoeffer est interdit d’enseignement à l’université et même interdit de séjour à Berlin. En parallèle naît une «Eglise confessante», structure dissidente aux courants ecclésiaux officiels favorables au nazisme. De 1935 à 1937, il va diriger le séminaire de Finkenwalde près de Stettin destiné à former les futurs pasteurs de cette nouvelle Eglise. Il y compose deux livres importants, Le prix de la grâce, sur la nécessité de suivre le Christ y compris dans la souffrance, et De la vie communautaire, sur l’expérience quasi-monastique du groupe des confessants.
S’appuyant sur le Christ, qui a donné sa vie pour que l’homme bénéficie de la grâce, il oppose «la grâce bon marché, pire ennemi de notre Eglise, à la grâce qui coûte». La police fait fermer le Predigerseminar en 1937 et les étudiants sont arrêtés. La formation va se poursuivre de manière plus discrète.
«La question est de savoir ce qu’est le christianisme et qui est le Christ. (…) Nous allons au-devant d’une époque non religieuse».
Dietrich Bonhoeffer, lettre du 30 avril 1944 à Eberhard Bethge
En 1939, menacé par le régime, le pasteur Bonhoeffer quitte l’Allemagne pour les Etats-Unis. Il revient dans son pays à la veille de la guerre. Son activité clandestine le conduit bientôt vers les réseaux de résistance, grâce à des membres de sa famille. Il est notamment en contact avec l’amiral Canaris, chef du contre-espionnage. Ce dernier projette d’assassiner Adolf Hitler.
Le Dieu de la Bible
Dietrich Bonhoeffer défend activement les juifs persécutés. De leur côté, Canaris et ses amis essaient de mettre à exécution leur projet de tuer le Führer, le 13 mars 1943. Ils échouent. Peu après, le pasteur est arrêté et emprisonné. Les deux ans que Bonhoeffer, bon vivant et actif, va passer derrière les barreaux d’une prison berlinoise révèlent un homme en proie au doute, mais à la réflexion aiguisée.
Dans ses lettres à sa jeune fiancée, Maria von Wedemeyer, il s’interroge: «La question est de savoir ce qu’est le christianisme et qui est le Christ. (…) Nous allons au-devant d’une époque non religieuse». En avance sur son temps, il entrevoit que «l’évolution du monde vers l’âge adulte, faisant table rase d’une fausse image de Dieu, libère le regard de l’homme pour le diriger vers le Dieu de la Bible qui acquiert sa puissance et sa place dans le monde par son impuissance».
Dieu sans religion
En prison, il réalise l’absence de Dieu dans la conscience humaine. Le langage religieux de ses codétenus le met mal à l’aise. Les générations futures auront à «parler de Dieu sans religion», estime-t-il. Il est également taraudé par la question du mal, à partir de son expérience personnelle. Le mal a tant «de déguisements innombrables, honorables et séduisants», dit-il, que même «l’homme de devoir exécutera finalement les ordres du diable en personne». Mais l’homme qui veut combattre le mal n’a qu’une issue: celle du détachement complet et de la remise totale de son être à Dieu. Ce qui aide le plus Bonhoeffer à vivre durant sa captivité, c’est la découverte de la faiblesse de Dieu, et non sa toute-puissance.
Confronté à la perspective de la mort, il précise, dans une lettre: «Ce n’est pas l’action seulement, mais aussi la souffrance qui sont un chemin vers la liberté. Dans la souffrance, la libération consiste à faire passer sa cause de ses propres mains à celles de Dieu. Dans ce sens, la mort est le couronnement de la liberté de l’homme».
Penseur, résistant, visionnaire, le théologien allemand a vécu l’expérience douloureuse de la perte de son aura sociale, jusqu’à la mort par pendaison, le 9 avril 1945. Son influence sur la théologie protestante reste déterminante. Aujourd’hui, sa personne et sa pensée intéressent à nouveau, dans le cadre d’une foi en dialogue avec le monde sans Dieu. (cath.ch/bl)
Biographie
4 février 1906: naissance de Dietrich Bonhoeffer à Breslau (actuelle Wroclaw)
1912: la famille déménage à Berlin
1923-31: études de théologie à Tübingen
1933-35: pasteur à Londres
1935-37: dirige le «Predigerseminar» de Finkenwalde
1939-1942: activités ecclésiales, voyages à l’étranger, contacts avec la résistance allemande et les alliés
1943-1945: emprisonnement à Berlin, puis à Buchenwald et Flossenbürg
9 avril 1945: pendaison à Flossenbürg