Devenir prêtre? «Ma femme et moi avons dit oui»
Si les vocations sacerdotales sont rares, celle de Naseem Asmaroo l’est plus encore. Irakien d’origine établi à Yvonand (VD), marié à Lusia Shammas, il sera ordonné prêtre samedi 25 novembre 2017 à Winterthur pour la communauté chaldéenne en Suisse – une Eglise orientale pleinement unie à l’Eglise catholique. L’occasion d’évoquer son parcours de vie, sa communauté ecclésiale et la pertinence de l’ordination d’hommes mariés.
Qui sont les Chaldéens de Suisse?
Naseem Asmaroo: Il s’agit d’environ 200 familles réparties sur cinq ou six cantons. Un petit millier de personnes issues de l’Eglise chaldéenne, de rite orientale, pleinement rattachée à l’Eglise catholique depuis le 16ème siècle. La grande majorité des fidèles sont Irakiens. Une minorité vient de Turquie et de Syrie. Les premiers sont arrivés dans les années 80 avant que d’autres les rejoignent à travers trois grandes vagues d’immigration liées aux guerres du Golfe, à l’embargo économique et à l’émergence de l’Etat islamique.
Quels sont les traits spécifiques de cette communauté?
Sur un plan liturgique, nous prions en araméen, la langue du Christ. Tous les éléments d’une messe catholique de rite latin se retrouvent dans le rite chaldéen. Avec de petites spécificités. Par exemple, le baiser de paix a lieu avant la consécration. La bénédiction finale, quant à elle, est donnée depuis l’autel.
L’Eglise chaldéenne, qui connaît une importante diaspora depuis une trentaine d’années, est ancienne. La tradition fait remonter ses origines aux apôtres. A deux disciples de saint Thomas, pour être plus précis: Addaï et Mari.
Prier dans la langue du Christ
La liturgie chaldéenne ressemble à celle de l’Eglise catholique, avec quelques spécificités. A commencer par la langue: l’araméen, «la langue du Christ».
Sur un plan sociologique, la famille tient une place très importante au sein de la communauté. Il arrive que des jeunes mariés restent encore quelques temps sous le même toit que leurs parents. Hors de leur terre d’origine, les chaldéens se caractérisent par une bonne capacité d’intégration. En Suisse, la plupart travaillent ou étudient. Une petite minorité bénéficie malgré tout de l’aide sociale, surtout les personnes âgées. Elles sont cependant entourées de beaucoup de respect et restent le plus souvent à la maison, prises en charge par les familles. Il faut aussi noter que les temps festifs tiennent une place importante pour ces familles qui restent, somme toute, assez patriarcales.
Qu’est-ce qui explique cette bonne intégration?
Les chaldéens sont minoritaires dans leurs pays d’origine. Ils ont appris à composer avec la différence, à l’accepter, à en retirer le positif. Le bon niveau général d’éducation y est sans doute pour quelque chose. Les études ouvrent l’esprit, elles suscitent une certaine curiosité. Qui est l’autre? Quel est son contexte de vie? A force de s’y intéresser, on finit par se faire des amis, tout en gardant ses propres traditions.
S’il fallait déceler un accent dans votre français, ce serait une petite touche de parler Vaudois. Quid de votre propre intégration?
Je suis arrivé en Europe par la Belgique, en 2007. A Louvain-la-Neuve, pour y poursuivre mes études de théologie et de philosophie entreprises en Irak. A force de souffrances, on apprend à relativiser certaines choses. Dans le même temps, on développe un certain sens du défi. Et là j’en avais un beau. Il fallait achever un master tout en assimilant une nouvelle langue. Je passais six heures sur chaque cours pour traduire et comprendre. Au bout d’un semestre, je parlais français. Par moment, la tentation de retourner au pays était grande. En Irak, j’avais une vie bien remplie et épanouissante. Mais je bénéficiais d’une bourse d’étude, je voulais aller jusqu’au bout. Je me suis également intéressé aux personnes qui m’entouraient, à leur culture, à leur façon de voir les choses, avec un maître-mot: l’accueil de la différence.
Pourquoi avoir ensuite quitté la Belgique pour la Suisse?
Ma femme Lusia vivait et étudiait en Suisse. Lorsque nous nous sommes mariés en septembre 2010, elle venait d’être engagée par l’Eglise catholique dans le canton de Vaud. Nous avons pris la décision de nous installer ici.
Comment l’appel à devenir prêtre a-t-il émergé dans votre vie?
Par la communauté. Les familles chaldéennes sollicitaient depuis longtemps le Visiteur apostolique, qui représente le patriarche en Europe, pour avoir un prêtre, en Suisse. Tout au long de mes études et après mon mariage, plusieurs évêques – et même le patriarche lui-même – me demandaient si la question du sacerdoce était envisageable pour moi.
Pourquoi avoir choisi Naseem Asmaroo?
La réponse de Mgr Saad Sirop Hanna, Visiteur apostolique des chaldéens en Europe.
En 2016, Mgr Saad Sirop Hanna a été nommé Visiteur apostolique des chaldéens en Europe. Lors de sa venue en Suisse, la communauté lui a proposé de m’ordonner prêtre. L’évêque m’a demandé d’y réfléchir sérieusement. Avec ma femme, nous avons pris le temps de discerner et nous avons dit oui. Une fois notre décision prise, nous sommes allés voir Mgr Morerod. Il s’est montré très favorable et s’est proposé d’effectuer une demande auprès de Rome, après mon ordination, pour que je puisse célébrer dans les deux rites, latin et chaldéen. Ce qui me permettra de servir aussi l’Eglise catholique en suisse.
Un engagement nécessaire
Parmi les enjeux de l’ordination de Naseem: perpétuer une tradition.
Prêtre et époux. Quels sont les réactions autour de vous?
Nous avons organisé deux soirées d’information dans l’Unité pastorale dans laquelle je suis engagé. Une à Yverdon et une à Sainte-Croix, afin d’expliquer aux paroissiens le contexte particulier dans lequel je serai ordonné prêtre. La plupart savaient qu’il existe des prêtres mariés dans d’autres rites catholiques. Nous avions à cœur de ne rien brusquer. Expliquer clairement les choses telles qu’elles sont afin de préparer et non imposer. Je crois que c’est une chance pour la communauté et les réactions vont en ce sens. Parmi le clergé, je ne sais pas comment cette nouvelle est accueillie. Ici à Yverdon, les prêtres sont tous très ouverts parce qu’ils me connaissent. Les autres? Je ne sais pas.
Quel est l’enjeu, selon vous, d’ordonner des hommes mariés?
Cette pratique, qui remonte aux origines de l’Eglise, permet une liberté de choix. Le choix de rester célibataire, pour certains prêtres, ou de se marier au préalable, pour d’autres. Le mariage est aussi un gage d’équilibre dans la vie affective et familiale. J’y vois également un enjeu pastoral. Un prêtre marié connaît de l’intérieur les joies et les peines d’une vie de famille. Confronté, au quotidien, aux défis d’une vie de couple, il est peut-être un peu plus à l’abri d’un certain fonctionnariat. Reste une grande question: comment être à tous et, dans le même temps, à sa femme.
Est-ce également une réponse à la crise des vocations?
Il n’y a pas de solution miracle. Est-ce que l’ordination d’hommes mariés résoudra la question des vocations ou pas? Ce n’est pas la question. Il faut surtout s’atteler véritablement à la réflexion de fond: ordonner ou non des hommes mariés. (cath.ch/pp)
Deux cœurs pour un ministère
Naseem Asmaroo sera ordonné le 25 novembre 2017 par le Visiteur apostolique des chaldéens en Europe, Mgr Saad Sirop Hanna, à Winterthur. La première tâche à laquelle il compte s’atteler: organiser la communauté. Lui donner une structure pour s’engager à son service. Dans cette perspective, sa femme Lusia sera sa plus proche conseillère. «J’aurai à cœur de partager certaines choses avec elle, en accuillant son conseil. Elle travaille dans l’Eglise, elle a aussi pour elle une grande expérience. Son regard est très enrichissant». Le mot qui caractérisera son engagement? Intégration. «Je veux mettre en relation différentes réalités entre elles. Pouvoir établir des ponts entre les différentes communautés». Une réalité que Naseem incarne déjà dans sa personne. «Au-delà de l’organisation, je souhaite aussi m’engager au service des personnes afin de servir chacun dans ses différents charismes».
Notre-Père en araméen, la langue du Christ
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