Fribourg: La solidarité offerte aux pays en développement est-elle efficace?
Deux points de vue inconciliables
Fribourg, 28 octobre 2011 (Apic) Antonio Hautle, directeur de l’Action de Carême, et Beat Kappeler, journaliste économique, ont croisé le fer sur le thème de la «globalisation de la solidarité» lors d’une table ronde organisée par la Faculté de théologie de l’Université de Fribourg, le 27 octobre 2011. Deux points de vue inconciliables.
Inscrit dans le cycle de conférences publiques «Politique et responsabilité chrétienne», la conférence du 27 octobre mettait face à face deux défenseurs d’optiques radicalement opposées. Introduit par Mariano Delgado, doyen de la Faculté de théologie de l’Université de Fribourg, le thème pose la question du lien possible entre solidarité et mondialisation. Pour Delgado, la solidarité suppose une civilisation de l’amour, ce qui donne son sens à l’aide au développement offerte par les chrétiens.
La solidarité: un mauvais principe directeur pour le développement du Sud
Beat Kappeler, éditorialiste à la «Neue Zürcher Zeitung» et chroniqueur au «Temps», se déclare sceptique à l’égard des quarante dernières années de «l’aide au développement». Avec minutie, et parfois cynisme, il attaque sur plusieurs fronts le travail des Eglises dans ce domaine, allant jusqu’à dire que la religion n’a pas à s’occuper de cette question. Selon lui, les pratiques des institutions caritatives n’ont profité qu’aux riches, laissant les pauvres dans leur situation. Affirmant que dans l’histoire, lors du colonialisme, les transferts vers le Sud n’ont rien apporté aux pays d’origine de l’hémisphère nord, mis à part peut-être l’industrie textile en Inde et l’étain de Malaisie, il constate que l’entrée du Sud dans l’économie mondiale a beaucoup apporté aux pays du Sud, les investissements des pays du Nord étant énormes.
Selon Kappeler, les éléments de succès de la société civile, de l’organisation de l’Etat, de l’organisation de marché et de la propriété privée vont de pair. Si l’on ne veut pas l’admettre, affirme-t-il, il ne faut pas non plus se plaindre du manque de développement ou du sous-développement. La redistribution des biens et les offres d’aides préconisées par les religions monothéistes sont toujours en faveur des pauvres et au détriment des riches. Mais elles ont des effets sur les comportements économiques: on retourne à l’âge du néolothique où prédomine la production agricole, sans augmentation de la productivité et sans l’argent comme moyen de transaction.
Le journaliste critique la notion de solidarité comme une erreur. Remontant à l’étymologie du terme, il montre que «in solidum» en latin renvoie au devoir de tous les intéressés de faire tout ce qui est possible pour atteindre par eux-mêmes un but. Les élites des pays du Sud n’ont pas crû, là où l’Europe croit encore devoir intervenir, devoir prendre ce devoir en main.
Beat Kappeler conclut en déclarant que la politique du développement depuis les années 1950 appartient à l’histoire d’une erreur, celle de ne pas «être dans le coup», de vivre en dehors du temps présent. Il reproche aux Eglises leur manque de lucidité à ce sujet.
«Il ne s’agit pas, au nom de l’inspiration supérieure, celle de la religion, d’intervenir dans de telles choses», lance-t-il péremptoirement, demandant que la religion ne se mêle pas d’économie.
Nécessité de la politique de développement et de la coopération
Antonio Hautle, directeur de l’Action de Carême, a une tout autre vision des choses. La coopération et la politique de développement sont indispensables, du point de vue de la responsabilité chrétienne, à cause précisément de l’effet limité de la rationalité du marché pour l’avenir de l’humanité.
Un graphique de la famine dans le monde révèle la situation difficile d’une très grande partie de l’humanité. Antonio Hautle analyse les dépenses des pays riches et les subventions accordées aux pays en voie de développement. Si 380 milliards de francs sont alloués à titre de subventions agricoles dans le monde, 10’600 milliards sont consacrés à l’armement. Dans ce déséquilibre, il s’agit de voir plus clair et de proposer des solutions qui ne sont toujours que partielles.
Les causes de la pauvreté sont multiples: sous-développement, absence de formation, absence d’eau, mais aussi famine, conflits, dénis de l’Etat, corruption et mentalité de mendiant, sans oublier les injustices. Pour Hautle, «l’aide au développement est une partie du problème, mais pas le problème». Il se pose alors la question des solutions possibles, admettant que ce sont avant tout des pistes de réflexion et d’action, non exclusives les unes des autres. La solidarité chrétienne, avec son option pour les pauvres, ainsi que «l’aide sociale globale» peuvent, selon lui, cohabiter avec une globalisation de l’économie de marché et le transfert de valeurs et de cultures, tout en faisant attention à expliquer qu’il ne s’agit pas de colonisation, mais d’aide pour que les pays puissent prendre leur propre élan.
Se référant à Paul Cellier, économiste de renom, Antonio Haute constate que les causes de la pauvreté ont pris de nouvelles dimensions: les conflits sont cités en premier lieu, puis le problème des ressources, minières, par exemple, qui sont souvent aux mains des grands groupes internationaux. A cela s’ajoutent la mauvaise gouvernance et la tendance à laisser les choses aller, ce qui entraîne une marginalisation économique.
Nouvelles exigences pour l’aide au développement
Les changements climatiques, les crises financières et alimentaires, les dettes des pays, les intérêts politiques des Etats industrialisés et la croissance démographique amènent de nouvelles exigences pour l’aide au développement.
Si le travail d’aide est nécessaire, il ne résout pourtant pas tous les problèmes. Mais l’attentions doit être portée sur certains points concrets: viser à une réduction de la pauvreté, chercher à offrir un transfert adéquat des savoirs, veiller à assurer la subsistance, apporter un soutien à une bonne gouvernance, travailler avec d’autres organisations.
Le directeur de l’Action de Carême conclut en affirmant: «La solidarité chrétienne signifie se solidariser avec les pauvres et, avec eux et les puissants, chercher des solutions adéquates pour l’avenir et la dignité de l’homme.»
Discussion impossible
La discussion qui a suivi les exposés n’a pas permis un véritable dialogue, les référents campant sur leurs positions. Les intervenants n’ont pas non plus amené de l’eau au moulin de l’un ou de l’autre. Il faut dire que Beat Kappeler assène ses positions comme des vérités, alors qu’Antonio Hautle présente des éléments concrets et suggère des réflexions pour un engagement efficace, où le chrétien assume sa responsabilité à l’égard de son frère en optant pour l’option pour les pauvres défendue par l’Eglise catholique. (apic/js)