Au Burkina Faso, des milliers de femmes accusées de sorcellerie ont dû fuir leur village
Des religieuses les accueillent au Centre Delwendé de Tanghin
Ouagadougou, 11 octobre 2010 (Apic) Des femmes âgées filent du coton brut, d’autres préparent la cuisine au feu de bois le long de baraquements en adobe ceints d’un grand mur. Rien, dans cette atmosphère paisible, ne laisse entrevoir le drame que vivent ces femmes Mossi, l’ethnie majoritaire au Burkina Faso, qui ont dû fuir leur village sous peine de mort. Accusées sans la moindre preuve d’être des sorcières ou des «mangeuses d’âme», ces vieilles femmes n’avaient plus de famille pour les défendre et les prendre en charge. Près de 400 d’entre elles ont trouvé refuge au Centre Delwendé de Tanghin, tout près du barrage numéro 2, à Ouagadougou.
Grâce à l’Eglise catholique, ces vieilles femmes bannies de leur communauté trouvent soutien et réconfort. Au Centre Delwendé, elles apprennent à reconstruire leur personnalité. Missionnaire de Notre-Dame d’Afrique (SMNDA), Sœur Carmen Garcia, responsable de ce centre créé dans les années 1960 par la communauté des Soeurs blanches et soutenu par le ministère de l’Action sociale et la mairie de Ouagadougou, n’est pas là en ce moment.
Le vieux secrétaire qui nous reçoit à l’entrée ne souhaite pas donner d’informations… «Il faut demander la permission au Ministère… c’est seulement la Sœur qui peut parler !» Question d’image aussi: la réalité de ces pauvres femmes ostracisées par leur communauté et qui ont dû fuir pour sauver leur vie montre la persistance au Burkina Faso d’anciennes croyances. Ces coutumes d’un autre âge font tache pour l’élite burkinabé qui a pris ses quartiers à Ouaga 2000, le nouveau quartier aux villas plantureuses du sud-est de Ouagadougou. En effet, cette pratique ancestrale vise les femmes démunies et sans soutien, pas les membres des grandes familles !
Accusées d’être des sorcières ou des «mangeuses d’âme»
Le Centre Delwendé, qui signifie «s’adosser à Dieu» en langage mooré, la langue des Mossi, accueille des femmes pauvres considérées comme parias dans leur village. Accusées sans la moindre preuve d’être des sorcières ou des «mangeuses d’âme», bannies de leur communauté, elles risquent même d’être mises à mort si elles ne s’en vont pas. Sans protection familiale, elles sont promises à la déchéance physique, morale, sociale et psychologique. Pour sauver leur vie, elles sont contraintes à errer des jours durant dans la nature, à marcher pour trouver un lieu qui les accueille et les protège, comme Delwendé, dans le secteur 23 de Ouagadougou, ou la «cour de solidarité» de Paspanga, dans le secteur 12. D’autres centres disséminés sur le Plateau mossi hébergent des milliers de femmes chassées pour ce genre de «raisons».
«L’exclusion dont ces pauvres femmes sont victimes est la manifestation des irrédentismes d’une société qui se veut moderne mais qui perd souvent le sens de la mesure devant certaines réalités. Et c’est ainsi que la traque se poursuit dans une indifférence quasi générale», note l’Organisation catholique pour le développement et la solidarité (Ocades-Caritas Burkina). (www.ocadesburkina.org) Cet instrument de la pastorale sociale de l’Eglise au Burkina travaille en collaboration notamment avec Caritas Internationalis, Catholic Relief Service (CRS – Etats-Unis), Secours Catholique (France) Caritas Innsbruck (Autriche) et Misereor (Allemagne).
Une épidémie a tué beaucoup d’enfants, on m’a accusée d’être responsable de leur mort
Ces femmes ont été «officiellement» reconnues coupables après avoir passé «l’épreuve de vérité». Celle-ci consiste à boire un breuvage spécial. Une femme accusée d’avoir tué quelqu’un peut ainsi être désignée «coupable» après que les porteurs du cadavre du défunt aient senti une force les mener vers la porte de sa maison. Ces femmes sont par la suite privées de l’affection de leurs enfants et de leurs petits-enfants. Il leur est strictement interdit de rendre visite aux «sorcières» hébergées au Centre. S’ils le font, ils sont eux aussi bannis, car soupçonnés de pouvoir commettre par la suite des actes de sorcellerie pouvant mettre à mal le village.
«Il y a eu une épidémie dans mon village qui a tué beaucoup d’enfants, et on m’a accusée d’être responsable de leur mort. Les jeunes ont alors brûlé ma case et les vieux m’ont bannie du village sans que le chef n’intervienne», témoigne ainsi Poko, une sexagénaire au visage tuméfié. Les coups de bâtons, les jets de pierres, les scarifications avec des objets contondants ont laissé des traces indélébiles sur son corps. «Certains voulaient en finir avec elle sur le champ», note Arsène Flavien Bationo sur le site internet de l’Ocades. La mort dans l’âme, Poko a dû fuir son village de Tema-Bokin, bourgade située à 55 cm de Yako, dans la province du Passoré, dans la Région Nord du Burkina Faso. Aujourd’hui, elle quémande sa nourriture quotidienne dans les ruelles de Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso. «Ployant sous le poids des meurtrissures, elle a l’apparence d’une folle…», témoigne l’Ocades-Caritas.
Gando, elle, a 80 ans. Elle a été abandonnée en pleine forêt après avoir été battue, avec interdiction de retourner chez elle. Il y a 6 ans, un enfant est mort dans son village. Des doigts accusateurs se sont automatiquement pointés vers la vieille Gando. On l’a soupçonnée d’avoir «mangé» l’âme du petit. Elle s’en est défendue. Mais rien n’y fit. Quelques jours plus tard, des hommes ont promené le cadavre de l’enfant dans le village. Et ils ont affirmé que le petit mort avait frappé à sa porte.
«C’était, à leurs yeux, la preuve irréfutable qu’elle était coupable et qu’elle devait quitter le village. Elle ne voulait pas partir de chez elle. Mais plus personne ne la saluait, ni n’acceptait lui vendre à manger. Un matin, le père de l’enfant décédé est venu la menacer de mort avec une machette», poursuit Arsène Flavien Bationo. Gando a donc été contrainte de s’enfuir dans la brousse. Elle a marché trois jours et trois nuits avant d’arriver à Ouagadougou. Ce ne sont là que deux exemples des nombreuses femmes accueillies dans le Centre Delwendé de Tanghin.
La croyance à la sorcellerie a la peau dure au Burkina Faso
La croyance à la sorcellerie a la peau dure au Burkina Faso et dans plusieurs pays africains. La sorcellerie est associée au mal. On la distingue du maraboutage et du charlatanisme. Marabouts et charlatans seront considérés comme des personnages capables de venir en aide à des personnes en difficulté (maladie, problèmes sentimentaux, familiaux, perte ou recherche d’un emploi, élections politiques etc.). Mais de nombreuses personnes consultent des charlatans pour des règlements de compte ou encore pour faire du mal à une tierce personne.
«Pourtant, on n’accusera jamais les charlatans d’être sorciers même s’ils ont le pouvoir de faire du mal à autrui. Au Burkina Faso, la sorcellerie a arbitrairement un visage féminin. Celles qui sont taxées de ›sorcières’ sont des veuves que l’on accuse souvent d’avoir tué leur conjoint, des femmes très âgées, stériles, issues de foyers polygames… », note l’Ocades-Caritas.
Le phénomène de la «chasse aux sorcières» pas près de cesser au Burkina Faso
Comme Gando et Poko, au terme d’une longue errance, de nombreuses vieilles femmes finissent par échouer au Centre Delwendé de Tanghin. Géré par la congrégation des Sœurs de Notre-Dame d’Afrique (SMNDA), il fonctionne grâce à la générosité de nombreux donateurs africains et occidentaux, et aussi à une subvention annuelle de l’Etat.
Le phénomène de la «chasse aux sorcières» n’est pas près de cesser au Burkina Faso. En 2006, une étude menée par le ministère de l’Action sociale et de la Solidarité nationale a montré qu’environ 90% des femmes bannies se suicidaient.
Pour la seule année 2009, on a enregistré 36 suicides liés aux accusations pour sorcellerie sur 100 tentatives. Le texte de loi réprimant l’acte consistant à chasser ces vieilles femmes que les responsables des centres d’accueil réclament depuis des années n’a jamais été voté. Dans les contrées rurales du Burkina Faso, face à ces vieilles, pauvres et abandonnées, l’option est donc très claire: «justice expéditive, justice sauvage» ! La Commission Justice et Paix de la Conférence épiscopale Burkina-Niger (CEBN) participe elle aussi, avec d’autres ONG, à la campagne contre l’exclusion et les violences faites aux femmes, en particulier celles accusées de sorcellerie.
A Ouagadougou, pendant longtemps, les parents ont mis en garde les enfants apeurés, afin qu’ils ne s’approchent pas des «sorcières», sous peine de «perdre leur âme». Maintenant que l’information circule davantage, les habitants sont devenus moins craintifs.
L’idée que ces femmes ont peut-être été victimes d’accusations sans fondement fait doucement son chemin et les «vieilles sorcières» du Centre ne sont plus autant craintes que dans le passé. Elles ne sont désormais plus obligées de mendier et développent maintenant une activité économique qui leur permet de faire face à leurs besoins. Le coton qu’elles tissent ou le savon qu’elles produisent sont vendus en ville, ce qui était impensable dans le passé. Ce progrès est le fruit de diverses émissions télévisées qui ont mis en exergue le travail du Centre Delwendé, mais aussi de l’action de sensibilisation des pouvoirs publics. (apic/be)