Des petites sœurs mendient dans les rues de Buenos Aires
«Nous mendions de maison en maison, à deux ou à trois petites sœurs, en priant l’Evangile du jour, avec comme seul bagage une petite Bible et un … Tupperware, pour recueillir la pitance que nous offrent les gens du quartier», confie la «hermanita» Clotilde. La petite sœur appartient à la Communauté de l’Agneau, installée en Argentine depuis les années 1990.
«La plupart de ceux qui nous accueillent sont très pauvres, mais si heureux et honorés de recevoir des religieuses dans leur modeste demeure», relève la religieuse mendiante – une Française d’Epinay-sur-Seine, depuis dix ans dans la Communauté des Petites sœurs de l’Agneau, appelées ici les «Hermanitas del Cordero«.
Elle reçoit le responsable des projets d’Aide à l’Eglise en Détresse (ACN) et le journaliste de cath.ch dans une petite demeure en briques rouges dont le clocher de la chapelle se profile en arrière-plan, au cœur du barrio Villa Unión, dans le diocèse de Gregorio de Laferrere.
La moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté
Le jeune diocèse né en novembre de l’an 2000, dans le premier cordon urbain du Grand Buenos Aires (GBA), la capitale de l’Argentine, comprend les deux-tiers du district de La Matanza (plus d’un million d’habitants, dont 70% sont catholiques et 30% appartiennent à diverses sectes évangéliques) ainsi que le district de Canuelas. Il s’étend sur 1’393 km2.
La population, dans ce district populaire, dont plus de la moitié se situe sous le seuil de pauvreté, vit souvent de subsides de l’Etat sinon de travail irrégulier et informel. La zone accueille des Argentins de l’intérieur du pays, des Paraguayens, des Boliviens, et plus récemment des Péruviens, ainsi que, depuis quelques temps, des Vénézuéliens fuyant la crise qui dévaste leur pays.
Le monastère en chantier
En ce moment, la maison des religieuses est en chantier: des ouvriers paraguayens s’affairent à l’agrandissement de ce qui va devenir un petit monastère du nom de «Lumière de Marie au pied de la Croix», prêt à accueillir davantage de religieuses. Dans la chapelle, un grand tableau de la Trinité représentant l’hospitalité d’Abraham, une icône russe peinte par Andreï Roublev entre 1410 et 1427. L’édifice va être complété par un réfectoire, des cellules et un cloître.
«Nous vivons de la Providence. C’est le charisme de notre communauté, dont la devise est: ‘Blessé, je ne cesserai jamais d’aimer’. Nous frappons aux portes des maisons, nous demandons notre pain dans un geste de pauvreté, afin que Dieu entre dans la maison», confie la petite sœur Clotilde. La «hermanita» vivait auparavant dans la communauté de Vienne, en Autriche, «où c’était plus difficile de contacter les gens, car il y a souvent un interphone, et ils sont plus méfiants qu’ici».
Dans les mains de la Providence
«Dès le début, les amis et les voisins du quartier ont soutenu notre mission, partageant avec nous la prière, la Parole et la simplicité de vie. Dans le barrio, bien que les maisons soient barricadées à cause des voleurs, les gens nous voient quand nous frappons à leur porte. Ils nous connaissent, car nous sommes ici depuis une trentaine d’années. Ils nous accueillent plus volontiers, ici, c’est un peuple de croyants, des amoureux de la Vierge Marie!»
Avec l’Evangile en poche, ces missionnaires vêtues d’une tenue bleue, avec un scapulaire de la même couleur, le rosaire à la ceinture et un médaillon avec un agneau portant un crucifix, partagent un moment de prière avec les habitants. Elles repartent ensuite dans la rue, ayant reçu d’eux un viatique très frugal: du pain, des fruits, parfois des restes de repas qu’elles emportent dans leur ustensile en plastique.
A Noël, poursuit la religieuse, «nous sommes allés dans la rue, inviter les gens du quartier au festin de l’Agneau, et presque tout le monde est venu. Nous avions monté un petit théâtre pour les enfants. Les gens nous connaissent depuis le temps et il s’est bâti une belle amitié avec les gens du barrio. Ils savent que la prière et la liturgie sont le centre de notre vie et que notre mission est essentiellement la rencontre gratuite». Les «hermanitas», en effet, ne font pas de prosélytisme et ne sont pas engagées dans la catéchèse.
«Les pauvres sont nos maîtres»
Arrivée depuis cinq mois dans cette petite communauté issue de la famille de saint Dominique, fondée dans les années 1980 par une religieuse dominicaine, petite sœur Marie Coqueray, et par le Frère franciscain Jean-Claude Chupin, la «hermanita» Clotilde vit avec deux autres petites sœurs françaises, une chilienne et une argentine. Elle commence à bien maîtriser la langue locale, le «castillano», un espagnol fortement mâtiné d’accent argentin.
«Je dois encore tout découvrir et tout apprendre dans ce pays», lance-t-elle avec modestie. «Je suis consciente que les pauvres sont très généreux, qu’ils sont nos maîtres! Nous rencontrons des gens très différents, aussi des riches… Même celui qui n’ouvre pas sa porte nous enseigne aussi et nous rappelle toutes les fois que nous-mêmes avons fermé notre porte aux autres…»
Erigée en février 1983 par Mgr Jean Chabbert, franciscain, alors évêque de Perpignan, la Communauté de l’Agneau, une association de fidèles catholiques, a été reconnue la même année par le maître de l’ordre dominicain d’alors, le Père Vincent de Couesnongle, comme «appartenant comme telle à la Famille de saint Dominique». Depuis 1996, elle est placée sous la responsabilité du cardinal Christoph Schönborn, archevêque de Vienne, en Autriche.
«C’est une grâce qu’elles soient dans notre diocèse!»
«Pour moi, c’est une grâce qu’elles soient dans notre diocèse, les gens les apprécient beaucoup, pour leurs prières et leur témoignage de la présence de Dieu», confie Mgr Gabriel Bernardo Barba, évêque de Gregorio de Laferrere.
«Les gens du quartier les connaissent, elles sont là depuis trois décennies. Elles donnent un témoignage fort et les habitants sont très impressionnés par leur pauvreté: elles mendient leur nourriture, voyagent en stop, les bus les transportent gratuitement. Beaucoup de gens viennent les voir dans les moments difficiles, prient avec elles, beaucoup de jeunes participent. Elles se rendent en mission dans d’autres quartiers, toujours joyeuses, toujours souriantes, transmettant cette joie de Dieu».
Les «petites sœurs», les «hermanitas», vont par deux ou trois en mission dans les zones pauvres. Durant la Semaine Sainte, un curé peut les appeler pour prier une journée dans sa paroisse. Il peut aussi leur confier pour toute la semaine une «capilla» (une chapelle dépendant de la paroisse, qui peut en compter des dizaines, selon la grandeur de son territoire, ndlr.).
C’est un ‘plus’ pour son diocèse, insiste Mgr Gabriel Bernardo Barba, qui rappelle que le pape François les aime beaucoup et les appuyait très concrètement quand il était encore archevêque de Buenos Aires. (cath.ch/be)
En Europe, en Amérique latine et aux Etats-Unis
Au plan mondial, la Communauté de l’Agneau compte 170 sœurs et la branche masculine (reconnue en 1990) regroupe 35 frères. La Communauté de l’Agneau a essaimé en Europe, en Amérique latine et aux Etats-Unis. Elle est implantée essentiellement en France (Toulouse, Marseille, Avignon, Béthune, Lyon, Rennes, Paris et Plavilla, dans l’Aude), mais également en Espagne (Madrid, Barcelone, Valencia, Granada), en Argentine (Buenos-Aires et La Matanza), au Chili (Santiago), en Autriche (Vienne), en Allemagne (Münster), aux Etats-Unis (Kansas City), en Pologne (Czestochowa), et en Italie, à Rome. JB
Ce reportage, qui sera suivi d’autres ces prochaines semaines, a été réalisé en février 2020 lors d’une visite de projets soutenus en Argentine par l’œuvre d’entraide catholique internationale «Aide à l’Eglise en Détresse» (ACN), une fondation de droit pontifical. En 2018, ACN a investi dans ce pays, dont la situation économique s’est gravement détériorée ces dernières années, environ 500’000 Euros, notamment pour la subsistance de base de prêtres, religieuses et religieux, des intentions de messe, l’apostolat des médias, la formation et la littérature religieuse, ainsi que pour la construction ou la rénovation d’édifices religieux. ACN a consacré 14% de son aide au plan mondial à l’Eglise en Amérique latine (près de 1’000 projets pour plus de 12 millions d’Euros), principalement au Brésil, avec désormais une priorité pour le Venezuela et Cuba. JB