Défense de la vie: «Il faut repartir des fondements»
Tessin: Interview du cardinal Elio Sgreccia, bioéthicien de réputation mondiale
Lugano, 11 juillet 2011 (Apic) Le cardinal Elio Sgreccia, ancien président de l’Académie pontificale pour la vie et bioéthicien de renom, a donné une conférence à l’Université (L.U.de.S) de Lugano, le 7 juillet 2011. A cette occasion, le «Giornale del Popolo» l’a rencontré.
Nous reprenons les propos du cardinal sur l’avortement et le principe d’autonomie de la personne, accusations portées régulièrement contre l’Eglise.
Ces jours-ci, une initiative fédérale a été déposée. Elle remet en cause la prise en charge de l’avortement par l’assurance maladie de base. Est-ce sur ce plan que les défenseurs de la vie doivent se mouvoir?
Elio Sgreccia: Il ne sert à rien de parler d’avortement sans préciser, au fond, qu’il relève de l’élimination de Dieu. Cela seul donne un fondement au discours.
Il est vrai cependant que l’économique subit aussi les effets de l’avortement. Déjà en 1980, le prix Nobel Gary Becker a démontré que dans un pays donné, le manque de jeunes et de fertilité dans les familles occasionne une crise. C’est la raison pour laquelle des pays comme la Suède revoient les politiques sur l’éducation sexuelle et sur la planification familiale. Mais tout cela est insuffisant, si on ne propose pas de nouveau une culture qui examine les fondements: là où notre existence tient son origine, là se trouve aussi l’origine de notre vivre en commun. Quand on enlève cette racine, le pouvoir du plus fort s’implante tout de suite. Il appartient aujourd’hui à celui qui possède l’argent.
Il faut encore relever que si, en Amérique latine, la libéralisation de l’avortement progresse, ailleurs, un mouvement opposé est en train de s’affirmer, soit pour des motivations économiques, soit suite à l’expérience négative de médecins qui l’ont pratiqué. Ces jours-ci, la Pologne efface les dernières traces de la loi nazie et communiste qui le facilitait. Nous ne pouvons pas «faire la paix» avec des lois permissives sur l’avortement. La loi doit toujours être pour la défense de la vie.
L’Eglise est souvent accusée d’enfreindre le principe d’autonomie de la personne, en affirmant «des préceptes non négociables»: que répondriez-vous?
Elio Sgreccia: Il faut comprendre le sens de l’autonomie, parce que c’est un concept ’équivoque’. Certes, il est vrai que l’autonomie doit être respectée. Nos actes sont moraux en tant qu’ils procèdent de notre «je» «en science et conscience». S’il n’y a pas cette autonomie intérieure, qui défend la liberté et donc aussi la responsabilité, il n’y a pas non plus d’acte moral.
L’autonomie ne saurait être lue selon une clef extensive, comme on le fait aujourd’hui, tellement qu’on veut aussi l’affirmer sur la vie. Or, la vie est un présupposé de l’acte moral. Si je taille la racine de la vie, alors j’enlève aussi celle de l’autonomie, chose absurde et injuste, parce que nous ne nous donnons pas la vie nous-mêmes. Prétendre une autonomie sur la vie est en réalité l’offense plus grande que l’on peut faire à l’autonomie, et elle instaure la pire des dictatures, parce que l’égoïsme n’a pas de limites. Regardons notre société: de plus en plus, nous devons mettre des grilles à nos fenêtres et rester attentifs à notre façon de marcher dans les rues…
Encadré
Le cardinal Elio Sgreccia, né dans la province d’Ancône en 1928, est une des personnalités les plus autorisées dans le milieu de la bioéthique.
Depuis 1985, il a dirigé le centre de bioéthique de l’Université catholique (siège de Rome). Il a joué un rôle important dans la rédaction du collectif «Les droits de l’homme et la médecine», établie par le Conseil de l’Europe. Dans les années 90, il a été observateur du Saint-Siège au sein du Comité d’éthique de cet organisme. De 1990 à 2006, il a été membre du Comité national italien pour la bioéthique.
Parmi ses œuvres, on peut signaler le «Manuel de bioéthique. Les fondements de l’éthique bio-médicale» pour médecins et biologistes, traduit en plusieurs langues.
En 1992, il a été élu évêque titulaire de Zama Minor et secrétaire du Conseil pontifical pour la famille. En 1996, il est nommé vice-président de l’Académie pontificale pour la vie, qu’il a ensuite présidé de 2005 à 2008.
Benoît XVI l’a créé cardinal lors du Consistoire du 20 novembre 2010. (apic/gdp/rbp/ggc)