Défaits au Moyen-Orient, les djihadistes se redéploient au Sahel
Ceux qui pensent que la menace djihadiste a pris fin avec la défaite de Daech, l’Etat islamique, en Irak et en Syrie, se trompent: le terrorisme se réclamant du fondamentalisme islamique se répand à grande vitesse en Afrique. Il menace gravement la présence chrétienne dans le Sahel, notamment au Burkina Faso. L’Eglise tire la sonnette d’alarme.
Divers groupements sèment la terreur dans la région sahélienne, notamment l’Etat islamique dans le Grand Sahara (EIGS), la Jamāʿat nuṣrat al-islām wal-muslimīn (JNIM), liée à Al-Qaïda, ou encore le groupe salafiste Ansarul Islam. Ce groupe actif au Burkina Faso et au Mali recrute surtout parmi les populations pastorales peules, ce qui donne au conflit une dangereuse dimension intercommunautaire.
Crise humanitaire sans précédent
Depuis 2015, des groupes djihadistes, auparavant surtout actifs au Mali, se sont progressivement implantés au Burkina Faso. Les attaques se sont multipliées dans le courant de l’année 2018 et se sont intensifiées en 2019.
Selon le dernier rapport du Bureau de la Coordination des Affaires Humanitaires de l’ONU (BCAH ou OCHA en anglais), daté du 29 août 2019, le Burkina Faso est confronté à une crise humanitaire sans précédent liée à une augmentation soudaine des violences.
«Plus de 271’000 personnes ont été forcées de quitter leurs foyers, soit quatre fois plus depuis le début de l’année. Plus de 95% de déplacés internes sont accueillis dans des communautés hôtes. 2’024 écoles sont fermées, privant ainsi plus de 330’000 enfants d’éducation». Le BCAH affirme que depuis le début de l’année, 30’000 personnes en moyenne fuient chaque mois leur domicile, estimant que le nombre de personnes déplacées dépassera les 300’000 avant la fin de l’année.
Plus de 2’000 écoles fermées
Mgr Pierre Claver Malgo, évêque de Fada’Ngourma, un diocèse situé à l’Est du Burkina Faso, lance un cri d’alarme: «Mon diocèse, le plus grand du pays, se trouve dans l’une des zones les plus touchées par les attentats. La violence a provoqué le déplacement d’un très grand nombre de personnes dont nous nous occupons. Pour le moment, nous les avons logées dans les salles de classe des écoles, même si cela signifie que nous ne pouvons pas commencer l’année scolaire».
Cité par Vatican News, l’évêque de Fada’Ngourma estime que les attaques sont le fait de plusieurs groupes opérant dans la même région, «mais il est clair que tous ont un plan: occuper l’intégralité de la région du Sahel!» Mgr Malgo note que la violence n’a pas affecté uniquement la communauté chrétienne. Lorsque les fidèles sont attaqués, ajoute-t-il, «on leur demande toujours de se convertir à l’islam et d’abandonner leur foi. Sans parler de la destruction et de la profanation des symboles religieux chrétiens».
Se convertir à l’islam ou fuir
C’est le cas dans le nord du pays, par exemple dans les villages de Hitté et Rounga. Récemment attaqués par les djihadistes, les chrétiens y ont été forcés à se convertir ou à quitter leur maison. Près de 2’000 personnes auraient ainsi pris la fuite. Les violences anti-chrétiennes visent aussi les prêtres et les pasteurs, enlevés et souvent tués.
S’ils s’en prennent aux symboles de l’Etat burkinabè (militaires, écoles, centres de santé) et aux personnalités locales (imams, chefs coutumiers, élus ou groupes d’autodéfense), les terroristes ont également pris pour cible, depuis avril 2019, l’Eglise catholique et les diverses communautés évangéliques.
Les évêques de la Conférence épiscopale du Burkina-Niger, dans une déclaration publiée à Ouagadougou, le 13 juin 2019, relèvent que «les attaques terroristes connaissent une intensification et prennent une nouvelle tournure, religieuse, à travers des enlèvements et des assassinats ciblés».
Longue liste d’exactions
Ils dressent une longue liste des exactions de ces groupes djihadistes en 2019: Quatre fidèles catholiques, un fidèle protestant et trois tacherons abattus, à Zeky, dans le diocèse de Dori, pendant l’office du vendredi Saint en avril dernier; un prêtre du diocèse de Kaya et cinq de ses fidèles assassinés pendant la messe dominicale à Dablo, le dimanche 12 mai; assassinat, le lendemain, de quatre fidèles à Singa, dans le diocèse d’Ouahigouya, diocèse voisin de Kaya, alors qu’ils revenaient d’une procession mariale. La statue de la Vierge Marie a été détruite. Peu de temps après, quatre autres fidèles du diocèse d’Ouahigouya ont été abattus à Toulfè, pendant la prière dominicale. Le 28 avril, une attaque d’un lieu de culte protestant à Silgadji, près de Djibo, s’est soldée par la mort du pasteur et de cinq de ses fidèles.
A ces attaques qui ont semé la panique dans les paroisses isolées, s’ajoute l’enlèvement de l’abbé Joël Yougbaré, curé de Djibo, dimanche 17 mars 2019.
«Et la liste est longue, trop longue, de tant d’autres enlèvements et assassinats de responsables religieux, coutumiers et administratifs ici et là, d’enseignants, d’éléments des Forces de Défense et de Sécurité et de bien d’autres», écrivent les évêques de la Conférence épiscopale du Burkina-Niger.
Les djihadistes visent un conflit interreligieux
Début août 2019, le président de la Conférence des évêques du Burkina Faso et du Niger, et évêque du diocèse de Dori, Mgr Laurent Birfuoré Dabiré, a lui aussi dénoncé à Vatican News les massacres de chrétiens «perpétrés par des groupes djihadistes bénéficiant d’un soutien étranger». Des groupes «mieux armés et équipés» que l’armée nationale burkinabè.
«Ils s’attaquent à l’armée, aux structures civiles et à la population, mais leur cible principale semble désormais être les chrétiens. Je crois qu’ils cherchent à déclencher un conflit interreligieux». Et de lancer un cri d’alarme: «si le monde continue à ne rien faire, il en résultera l’élimination de la présence chrétienne» dans la région. (cath.ch/vaticannews/com/be)