Déconfinement en France: cultes pas tous sur la même longueur d'onde
De nombreux responsables de cultes non-catholiques en France appellent au respect du calendrier gouvernemental pour le «déconfinement» et ont du mal à comprendre les fortes revendications d’une partie de la hiérarchie et des fidèles catholiques pour une rapide reprise des messes publiques dès la mi-mai.
Haïm Korsia, le grand rabbin de France, relève qu’il n’est pas obsédé par la date: «Nous attendons les propositions du gouvernement». Le pasteur François Clavairoly, président de la Fédération protestante de France (FPF), indique les services d’actions de grâce ont été repoussés. «Ils attendront quelques semaines. Ce n’est pas à nous, les cultes, de décider. Les impératifs sanitaires sont l’affaire des autorités!»
Les impératifs sanitaires sont l’affaire des autorités
«Attendons de voir comment se passe le déconfinement. Nous sommes prêts à différer l’ouverture des mosquées jusqu’à ce que nous soyons sûrs qu’il n’y a pas de risque important à le faire», affirme pour sa part Mohammed Moussaoui, président du Conseil français du culte musulman (CFCM).
S’il souhaite une réouverture des églises, Mgr Luc Ravel, archevêque de Strasbourg, estime toutefois que le gouvernement français a pris des mesures globales «pour éviter la discrimination religieuse».
Crainte d’une seconde vague de contamination
Les temples, les mosquées, les synagogues et les paroisses sont très impatientes d’ouvrir à nouveau leurs portes, dans le respect des gestes barrières, mais le gouvernement français craint que d’éventuels grands rassemblements ne produisent une seconde vague de contamination.
Rappelons qu’un événement organisé par une «méga-église» évangélique, la Porte ouverte chrétienne, qui avait rassemblé pas moins de 2’300 personnes à Mulhouse du 17 au 21 février, a été un des plus importants foyers de la pandémie du Covid-19 en France.
Mgr Luc Ravel rappelle le traumatisme vécu en Alsace
Sur le site de l’Eglise catholique en Alsace, une région qui a été l’un des points de départ de la pandémie en France, Mgr Luc Ravel, archevêque de Strasbourg, dit, de façon très diplomatique, s’associer «intégralement sur le fond et dans les termes à la déclaration du Conseil permanent de l’épiscopat» français qui a exprimé sa vive déception du plan gouvernemental de déconfinement. Mais s’il comprend les réactions individuelles de certains de ses confrères, il rappelle aussi que «notre Alsace avec ses deux départements et ses 980 communes vit encore une secousse d’une violence que ne connaissent pas d’autres régions de France».
«Aussi, je recommande à nos chrétiens, prêtres en tête, cette même obéissance intelligente et responsable que nous avons mise en œuvre au début du confinement en Alsace. Elle implique de rester au plus près du droit, sans le durcir, et de faire tout ce qui est légalement permis pour soutenir les catholiques dans leur foi. En particulier, je recommande vivement l’ouverture des églises. Elle implique d’entrer en contact suivi et confiant avec les maires et les autorités sanitaires pour préparer localement un déconfinement qui commence par le service des plus pauvres et des plus fragiles. Je reste pour ma part en lien régulier avec nos deux préfets».
Œuvrer «ensemble sans mépris»
Cette «obéissance intelligente et responsable» implique «de préparer avec les membres déjà actifs de nos communautés les trois phases successives: jusqu’au 2 juin; entre le 2 juin et la mi-juillet; après la mi-juillet. Ces prochains mois ont été prévus de grands rassemblements. La Fête-Dieu, le 14 juin, avec ses processions formidables, les pèlerinages, le 15 août par exemple, etc.»
Mgr Luc Ravel demande d’œuvrer «ensemble sans mépris» afin de sortir de cette épreuve «par le haut». Il ne veut pas entrer dans des propos «idéologiques», et relève qu’à ses yeux, il n’y avait aucune mauvaise intention [du gouvernement] de priver les cultes plus que les autres. Et de rappeler qu’en Alsace, effectivement, c’est un de ces cultes – «hélas, ce n’est pas de leur faute, mais c’est ainsi» – qui a été «à l’origine d’un ‘cluster’ énorme qui a vraiment rompu l’Alsace, si j’ose dire».
Des mesures globales pour éviter la discrimination religieuse
L’archevêque de Strasbourg reconnaît que du point de vue du gouvernement, il était difficile de faire des exceptions pour certains cultes, qui sont mieux structurés et organisés, comme c’est le cas de l’Eglise catholique en France, que d’autres cultes, qui sont peut-être davantage livrés à eux-mêmes, sur lesquels le gouvernement et l’Etat français réfléchissent depuis longtemps.
Face à cette difficulté de faire ce qui semblerait être pour certains une discrimination religieuse, «il est évident que les mesures du gouvernement français ne pouvaient être que globales», consent Mgr Luc Ravel. D’autres évêques catholiques ont manifesté leur tristesse et leur incompréhension. Certains politiciens de droite s’en sont mêlés, comme Bruno Retailleau, président du groupe LR (Les Républicains) au Sénat, pour qui »interdire les cérémonies religieuses, alors que les commerces rouvriront, là où elles peuvent se tenir dans de bonnes conditions sanitaires, est une décision incompréhensible».
Un «tropisme anticatholique chez le président de la République»
Pour sa part, la Conférence des évêques de France a pris acte «avec regret» de cette date du 2 juin 2020 «imposée aux catholiques et à toutes les religions». Elle n’avait en effet pas ménagé ses efforts pour présenter un plan de déconfinement cultuel détaillé et drastique sur le plan sanitaire. «Ce qui nous a beaucoup heurtés, c’est que nous avons travaillé ces propositions à la demande des services du Premier ministre, et n’avons eu aucun retour par rapport à cela», déplore le Père Thierry Magnin, secrétaire général et porte-parole des évêques de France.
«Pourquoi cette restriction plus forte pour les cultes que pour le reste de la société ?», s’interroge de son côté Mgr Matthieu Rougé, l’évêque de Nanterre, cité par le quotidien catholique La Croix. S’il «comprend et respecte» l’inquiétude sanitaire, il se demande alors pourquoi les commerces ainsi que certains musées pourront rouvrir dès le 11 mai. Et il subodore qu’il y a «a malgré tout, dans les services de l’Etat, un anticléricalisme classique, qui fait que les religions sont toujours considérées avec un déficit de confiance».
Mgr Rougé a même lâché sur la chaîne de télévision catholique KTO, qu’il y avait un «tropisme anticatholique chez le président de la République», affirmant que «pour pas mal de nos dirigeants, c’est très difficile de comprendre à quel point les croyants ont une soif profonde de se retrouver pour célébrer la foi».
Mgr Dominique Lebrun, archevêque de Rouen, se demande pourquoi les messes ne peuvent pas reprendre «alors que nous nous engagions à respecter les gestes barrières et la distanciation physique?». Il dit partager «l’incompréhension de beaucoup devant la relégation de la liberté de culte à la dernière roue du carrosse de la nation française».
Les catholiques, des gamins incapables?
Pour l’archevêque de Paris, Mgr Michel Aupetit, s’exprimant sur Radio Notre-Dame, les catholiques ont même l’impression d’être pris pour «des gamins incapables de mettre en place quelque chose». Pourtant, martèle-t-il, à Paris, 27 paroisses distribuent une aide alimentaire depuis le début du confinement, dans le respect des normes sanitaires.
«Le soutien spirituel et la pratique communautaire font partie des choses essentielles, avec l’action caritative de terrain», insiste pour sa part le Père Thierry Magnin. «Continuer le soutien caritatif et vivre les sacrements participe d’un même mouvement. C’est sur cet angle-là qu’on veut continuer de reprendre le dialogue avec le gouvernement», déclare-t-il à La Croix. (cath.ch/be)