Berne: L’Eglise au défi de la pastorale des migrants âgés

De plus en plus de travailleurs immigrés sont à la retraite

Berne, 19 septembre 2012 (Apic) «Les immigrés vieillissent comme tout le monde, sauf que parfois on l’oublie. On pense qu’ils seront éternellement des personnes actives», relève le professeur genevois Claudio Bolzman. Responsable du Centre d’études de la diversité et de la citoyenneté (CEDIC) à la Haute école spécialisée santé-sociale de la Suisse occidentale (HES-SO), il intervenait le 18 septembre à Berne dans le cadre de la journée d’études sur la «Pastorale des migrants et migrantes âgés».

Une quarantaine de personnes ont pris part à cette journée mise sur pied par migratio, le service de la Conférence des évêques suisses pour la pastorale des migrants et des personnes en déplacement. Responsables d’administrations ecclésiastiques, agents pastoraux ou aumôniers de la mission catholique italienne, portugaise, croate, slovène, albanaise, slovaque, vietnamienne ou encore chinoise, les participants provenaient essentiellement de Suisse alémanique. Ils ont planché sur les problèmes de la pastorale des migrants âgés qui apparaissent désormais au grand jour. La présence en Suisse de près de 300’000 migrants à la retraite est un défi non seulement pour la société, mais également pour l’Eglise, a relevé en introduction Marco Schmid, directeur national de migratio.

400’000 migrants retraités en 2020

S’il y avait en Suisse 250’000 migrants de plus de 65 ans (en comptant ceux qui ont acquis la nationalité suisse) en 2008, ils seront 400’000 en 2020, a rappelé la psychologue bernoise Corinna Bisegger, collaboratrice scientifique auprès de la Croix Rouge suisse. Ces migrants âgés provenaient, fin 2010, de quelque 160 pays. La situation des personnes âgées sans papier est particulièrement précaire, a-t-elle souligné. Et de relever qu’une pastorale dans la langue maternelle devient très importante quand se présentent des situations existentielles, comme l’approche de la mort.

Claudio Bolzman a mentionné, pour sa part, deux recherches (l’Etude PRI dans le cadre du Programme national suisse et l’Etude MEC sur l’assistance au vieillissement chez les minorités de l’Union européenne) qui fournissent des informations précieuses sur les conditions de vie des immigrés âgés: situation économique, logement, état de santé, situation familiale. Il souligne que les immigrés âgés ont davantage de problèmes de santé que la moyenne de la population résidente des mêmes classes d’âge. Il constate que les Suisses, alors même qu’ils sont plus âgés, ont moins des difficultés que les Espagnols et les Italiens, et surtout que les ex-Yougoslaves.

Les raisons principales sont liées à des trajectoires de vie plus précaires, aux types de travaux exercés (construction, nettoyage, etc.), ou aux traumatismes liés à la violence dans le pays d’origine. Il mentionne aussi la précarité juridique et sociale qu’ils endurent, parfois pendant des années, dans la société d’accueil. Si les anciens travailleurs immigrés subissent les conséquences d’une vie de dur labeur, les réfugiés et demandeurs d’asile souffrent d’un cumul de traumatismes liés à la violence dans leur pays d’origine, au choc de leur déplacement à un âge plutôt avancé et à leur statut juridique précaire et incertain en Suisse.

Tous les indicateurs de santé sont au rouge pour les ex-Yougoslaves

Spécialiste des questions relatives à l’âge et à la migration, Claudio Bolzman souligne que pratiquement tous les indicateurs de santé sont au rouge pour les ex-Yougoslaves (en particulier les Albanais du Kosovo et les Bosniaques), alors même qu’ils sont plus jeunes que les Espagnols et les Italiens. Les ex-Yougoslaves sont surreprésentés parmi ceux qui connaissent des problèmes de santé physiques et émotionnels.

Ils montrent une vulnérabilité plus grande, un manque de diversité du réseau social, une dépendance trop grande de la famille pour faire face à cette vulnérabilité. Cela s’explique en partie parce qu’il y a chez ces migrants un pourcentage plus élevé des personnes arrivées en Suisse à un âge avancé, davantage de personnes qui parlent exclusivement la langue du pays d’origine et une difficulté d’accès ou une surexposition à l’aide institutionnelle.

Le professeur genevois relève que le soutien de la famille devient très important lorsque le migrant âgé ne pourra plus vivre de manière autonome: l’on souhaite rester chez soi et bénéficier aussi du soutien des professionnels, plutôt qu’aller habiter chez d’autres membres de la famille ou dans un EMS, même culturellement adapté. La recherche MEC montre que les services socio-gériatriques sont peu sollicités, alors que beaucoup de personnes âgées immigrées pourraient en avoir besoin.

Ainsi, la moitié des EMS ont au plus 10% d’immigrés âgés parmi leurs usagers; il en va de même pour les foyers de jour, et c’est encore le lot de trois services d’aide et de soins à domicile sur quatre. Seuls les unités hospitalières et les services sociaux sont sollicités plus régulièrement par les immigrés âgés. Les cadres et les professionnels des institutions reconnaissent que les immigrés âgés sont sous représentés dans leurs services par rapport à leur nombre dans la population.

Les EMS doivent proposer de nouveaux styles de vie aux personnes âgées

Pour le théologien catholique Alberto Bondolfi, professeur d’éthique aux Universités de Genève et Lausanne, et à l’Istituto di scienze religiose (Fondazione Bruno Kessler) à Trente, les inégalités qui caractérisent la société tendent à se radicaliser chez les personnes âgées. De plus, la «révolution des mœurs» d’après mai 68 commence à avoir des effets sur les personnes âgées aussi. Il note ainsi l’augmentation des divorces «tardifs» – lors de la retraite – ou les nouvelles formes de vie en commun également après la retraite.

L’éthicien constate que les réglementations juridiques peinent à assumer ces changements de mœurs et de mentalité, car elles ne peuvent plus compter sur la continuité «naturelle» des lignages. A cela s’ajoute que la mobilité (de tout type) des familles provoque un besoin accru de soins et d’entrer en institution. Autrefois, la mortalité précoce qui caractérisait la société rendait le devoir de solidarité ente les générations relativement plus facile qu’aujourd’hui, où les gens vivent bien plus longtemps. Les coûts augmentent en conséquence. Les institutions pour personnes âgées doivent assumer autant le changement structurel que celui des mœurs et mentalités et proposer de nouveaux styles de vie aux personnes âgées.

Discussions autour de la «bonne mort»

Les discussions actuelles autour de la «bonne mort» avec ses modalités les plus radicales comme le suicide assisté et l’euthanasie ne doivent pas être interprétées comme une «déchéance morale», mais comme une tentative plus ou moins heureuse de dépasser les paradoxes et les contradictions de la situation actuelle des phases finales de la vie, lance-t-il. La discussion sur la fin de vie est particulièrement difficile avec les migrants, estime le professeur Bondolfi. Cette discussion n’est plus limitée aux cercles médicaux, mais a atteint l’arène politique et les institutions socio-sanitaires. «Il ne faut ni démoniser cette discussion, ni vouloir la forcer à tout prix dans une direction précise. Il faut échanger démocratiquement des arguments en faveur ou contre des pratiques qu’on aimerait prôner pour notre société».

Alberto Bondolfi pense encore qu’il faut davantage prêter attention aux styles de vie des personnes âgées qu’à un perfectionnisme dans le domaine des soins. Il est nécessaire d’encourager la solidarité entre les jeunes retraités et les personnes très âgées. «Il faut se préparer non seulement individuellement, mais ensemble au rendez-vous de la mort».

Le personnel pastoral doit œuvrer à une ’médiation culturelle’ dans ce domaine. Il faut, insiste-t-il, miser sur la qualité de la vie en grand âge plutôt que sur la seule prolongation chronologique de l’espérance de vie.

Ruth Madörin Weber, qui travaille dans le conseil psycho-oncologique de la Ligue contre le cancer des deux Bâle, a prôné, en cas de soins palliatifs, la collaboration interdisciplinaire dans l’accompagnement pratique, le conseil et la prise en charge en fin de vie. Un soin particulier doit être apporté à la réalité culturelle des migrants. Elle rappelle que tous les grands hôpitaux disposent de programmes concernant la diversité culturelle et la médiation interculturelle. (apic/be)

19 septembre 2012 | 13:21
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 5  min.
Berne (152), Migratio (29)
Partagez!