La vipère aspic est une de deux espèces venimeuses de Suisse. Elle n'a pourtant pas tué depuis des décennies | flickr  ImAges ImprObables CC-BY-SA-2.0
Suisse

De l’éco-anxiété à l’espérance et à l'engagement

Le comportement humain à l’égard de l’écosystème est-il logique? Nous constatons que nos émotions ne sont pas toujours fiables face à la crise de l’écosystème, car nous sommes victimes de biais cognitifs. Face à l’éco-anxiété, la réponse des chrétiens est l’espérance qui pousse à l’action.

Marc Roethlisberger, Oeco Eglises et environnement*

Dans la psychologie environnementale, lorsqu’on étudie les comportements humains, certains contrastes peuvent nous surprendre. En effet, la peur du loup, du lion, des requins, des serpents, des araignées et de toutes sortes de bêtes sauvages reste fortement ancrée dans notre psychisme. Ce sont des peurs largement exploitées dans les films d’horreur à succès. Or, les statistiques nous montrent que les requins ainsi que les loups sont responsables chacun d’environ dix morts recensées chaque année dans le monde, ce qui représente en fait 0,000000001% sur 8 milliards d’habitants. Malgré sa réputation de mangeur d’hommes, le lion tue tout au plus une centaine d’êtres humains chaque année.

La pollution tue beaucoup plus que l’ensemble des bêtes sauvages

Pour la pollution de l’air par les particules fines issues des énergies fossiles, les chercheurs de Harvard arrivent à un total de 8,7 millions de morts prématurées sur la base de l’année 2018 dans le monde, soit un décès sur cinq dans le monde.

Mais qui a peur des particules fines? Avez-vous déjà eu une peur effroyable ou une panique généralisée des particules fines en vous promenant sur le trottoir en allant au travail ? Avez-vous déjà fait des cauchemars à leur sujet? Existe-il des films d’horreurs avec des êtres humains poursuivis par des particules fines? Ce genre de peur ou d’anxiété est bien plus rare statistiquement, pourtant c’est une des grandes causes de décès dans le monde.

Les biais cognitifs du cerveau humain

Cela signifierait-il que notre cerveau a des bugs, car il surévalue la peur du requin et ignore complètement le danger des particules fines? Probablement que oui. Peut-on considérer que dans la société moderne, notre cerveau fonctionne comme au temps des chasseurs-cueilleurs, c’est-à-dire qu’il a peur des loups et des requins, mais banalise totalement le danger des particules fines qui lui est bien réel?

La pollution tue beaucoup plus que les animaux sauvages | © J. McIntosh/Wikimedia/CC BY 2.0

La psychologie donne un certain nombre d’indices selon lesquels le cerveau ne réagit pas toujours de manière rationnelle et conforme au danger réel. Pouvons-nous donc affirmer que notre cerveau est inadapté face aux véritables dangers de la société actuelle, comme la pollution, la crise climatique et la perte dramatique de la biodiversité?

En effet, si notre cerveau était bien adapté au danger réel, nous devrions avoir beaucoup plus peur de la disparition des lions et des requins plutôt que de se faire attaquer par l’un deux lors d’une de nos randonnées.

La perte de la biodiversité est dramatique actuellement à tel point que beaucoup de scientifiques parlent de la 6e extinction de masse. Mais les sondages sur l’attitude de la population suisse concernant la biodiversité montrent que la réponse majoritaire est que «tout va bien comme d’habitude». Peut-on en conclure que notre cerveau serait donc totalement distordu ou biaisé dans notre monde moderne face à des dangers relativement nouveaux par leur ampleur générale, leur aspect plus multiforme, complexe et qui se produisent sur une longue durée ?

Apparition du phénomène de l’éco-anxiété

En fait, pas vraiment. Depuis plus de dix ans, de nombreux articles font référence à l’éco-anxiété. Une étude américaine montre que 51% des personnes considèrent la crise climatique comme une source de stress et une autre que 10% des personnes ont des blocages dus à la même cause qui peut donner lieu à un diagnostic clinique.

La menace sur la biodiversité est bien réelle| © Maurice Page

L’éco-anxiété peut se définir de manière simple en une manifestation de peur par rapport à la dégradation de l’écosystème. L’anxiété est une alarme dans notre cerveau qui nous avertit qu’un danger pas bien défini et plus ou moins durable nous guette. C’est une émotion tout à fait normale et nécessaire à notre survie.

Comme la peur, elle peut nous mobiliser à l’action afin d’éloigner un danger réel et diffus, ce qui est une réaction saine et adaptée. Mais si l’éco-anxiété devient envahissante et perturbe de manière importante les activités quotidiennes, professionnelles ou scolaires, comme celles de ces élèves qui ne fréquentent plus l’école et vivent recroquevillés dans leur chambre en raison d’une perte de confiance en l’avenir, alors nous devons constater une détresse importante. L’éco-anxiété peut être à la fois une réaction malsaine si elle mène à une grande détresse et à un blocage personnel et une réaction saine et adaptée, si elle pousse à l’action, c’est-à-dire à la participation à la transition écologique.

Le message chrétien: transformer l’éco-anxiété en espérance

En tant que chrétiens, nous avons l’espérance que Dieu place dans les humains. L’espérance est une notion spirituelle, contrairement à l’espoir qui consiste en l’attente d’un avenir meilleur. Selon le théologien Jürgen Moltmann, l’espérance n’est pas une posture intellec-tuelle, c’est une attitude concrète. Selon lui, les actes du chrétien sont «éthique de la paix, oeuvre de réconciliation et oeuvre d’espérance ».

François-Xavier Amherdt: «L’espérance de Pâques est plus actuelle que jamais!» | Illustration: Pixabay / Rayna Bauman

Être adepte du techno-optimisme, c’est-à-dire la croyance que la technologie résout tous les problèmes, c’est tomber dans une extrême. Sombrer dans le pessimisme, le fatalisme et l’inaction en pensant que tout est perdu d’avance, c’est tomber dans l’autre extrême. L’attitude optimale du chrétien serait un équilibre subtil entre optimisme lucide, engagement dépourvu de toute naïveté et espérance inébranlable. (cath.ch/oeco/mp)

*Marc Roethlisberger est psychologue et membre de «Initiative Psychologie im Umweltschutz (IPU Schweiz) ». Il est également collaborateur d’oeco pour la Suisse romande. Il a publié en 2021 l’ouvrage : «Prévention des risques psychologiques lors d’ateliers de sensibilisation à l’écologie» aux Éditions Le Souffle d’Or.

Le climat – un sujet pour les Églises?
Les Églises devraient-elles, peuvent-elles ou même doivent-elles s’exprimer sur des thèmes de politique environnementale? Oui, estime, Kurt Zaugg-Ott, directeur du bureau d’oeco à Berne.
Ces derniers temps, l’engagement politique de nos Églises a suscité beaucoup de discussions et de controverses. Après la campagne sur la votation sur l’initiative pour des multinationales responsables, la volonté des Églises de s’exposer politiquement a fléchi. Le souci que l’on puisse leur reprocher de «faire campagne» a pris trop d’ampleur.
Pour Kurt Zaugg, cette retenue n’est pas justifiée. Les Églises aussi peuvent apporter une contribution non seulement à la politique climatique et énergétique, mais également à la crise de la biodiversité.
Les documents et les déclarations des Églises sur ces sujets ne manquent pas.  L’Église évangélique réformée mène depuis les années 1980 une réflexion sur la politique énergétique de la Suisse. C’est le cas aussi de la Commission Justice et paix de la Conférence des évêques suisses. En publiant l’encyclique Laudato si, en 2015, le pape François a posé un jalon historique dont la portée va bien au-delà de l’Église catholique romaine : c’est «un bien pour l’humanité et pour le monde que nous, les croyants, nous reconnaissions mieux les engagements écologiques qui jaillissent de nos convictions », écrit le pape (64). MP

La vipère aspic est une de deux espèces venimeuses de Suisse. Elle n'a pourtant pas tué depuis des décennies | flickr ImAges ImprObables CC-BY-SA-2.0
21 avril 2022 | 17:00
par Rédaction
Temps de lecture : env. 5  min.
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