Davos 2020: premier plaidoyer contre la persécution des chrétiens
A Davos, le spécialiste Illia Djadi veut alerter sur la persécution des chrétiens en Afrique de l’Ouest, nouveau foyer du terrorisme islamiste. Car pour les décideurs, tirer profit des ressources naturelles de cette région implique aussi un devoir de protection au regard du droit international.
C’est la première fois que le Forum économique mondial de Davos (World Economic Forum – WEF) aborde le thème de la persécution des chrétiens. L’Alliance évangélique mondiale et le groupe de travail sur la liberté religieuse de L’Alliance évangélique suisse y organisent le 24 janvier 2020 une conférence sur la détérioration de la sécurité en Afrique de l’Ouest. Quel est son impact sur le pluralisme religieux et le développement économique? L’éclairage d’Illia Djadi, spécialiste de l’Afrique de l’Ouest pour l’ONG Portes Ouvertes et intervenant à cette conférence.
Quelle est votre attente en intervenant sur la persécution des chrétiens à Davos?
Ilia Djadi: C’est le lieu idéal pour les organisations qui travaillent dans le plaidoyer sur les persécutions des chrétiens. Il s’agit d’éveiller les consciences sur les phénomènes d’insécurité qui prennent de l’ampleur et affectent cette région d’Afrique de l’Ouest.
BIO
Originaire du Niger, Illia Djadi, 50 ans, est spécialiste de l’Afrique de l’Ouest pour l’ONG Portes Ouvertes, après avoir dirigé durant 5 ans le bureau Afrique de l’agence World Watch Monitor. Diplômé de l’Université de Niamey (Niger), il est titulaire d’un Master en histoire, politique et relations internationales des pays de l’Afrique francophone de l’Université de Portsmouth, en Angleterre.
Formé au journalisme à Lausanne, il a notamment travaillé pour la BBC (section française) en tant que producteur et présentateur. Il travaille depuis plus de 20 ans sur les questions socio-économiques et politiques en Afrique en tant que journaliste, chercheur et travailleur humanitaire.
Quel rôle les grands de ce monde présents à Davos pourraient-ils jouer?
Pour eux, il serait incohérent de parler business sans parler de sécurité, car il ne peut y avoir de développement économique sans stabilité. Il ne suffit pas de tirer profit des ressources naturelles de cette zone subsaharienne, que ce soit le Niger, premier producteur d’uranium du continent, ou le Nigeria, huitième exportateur mondial de pétrole. La communauté internationale a aussi la responsabilité de s’assurer de la stabilité politique et de la sécurité de cette région. Elle partage avec les Etats concernés un devoir de protection de leur population, au regard du droit international.
«La communauté internationale a aussi la responsabilité de s’assurer de la stabilité politique et de la sécurité de cette région.»
Selon le dernier rapport des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel, on assiste à une recrudescence d’attaques terroristes. Quel est leur impact dans la région?
Cela crée de l’insécurité et une situation humanitaire catastrophique, avec des milliers de déplacés internes qu’il faut loger et nourrir. Selon les chiffres des Nations unies, au Burkina Faso, par exemple, plus de 2’000 écoles ont été fermées et 300’000 enfants se retrouvent déscolarisés. Désœuvrés, ils pourront devenir une proie facile pour être endoctrinés et recrutés par les groupes islamistes. Le deuxième impact est une crise alimentaire majeure qui s’annonce, car ces populations déplacées n’ont pas réussi à récolter et se retrouvent totalement démunies et dépendantes. On peut parler de famine, ce n’est qu’une question de temps.
A qui sont dues ces attaques en Afrique de l’Ouest?
A une montée en puissance de l’islam radical, devenue la principale source de persécution des chrétiens vivant dans cette zone. Au Mali, par exemple, des groupes terroristes établis au nord du pays et affiliés à Al-Qaïda ou au groupe Etat islamique lancent des attaques sur le Niger et le Burkina Faso, où les chrétiens sont devenus les cibles privilégiées. On ne compte plus les incendies d’églises, les enlèvements et les assassinats de chrétiens.
Pourquoi ces attaques dans cette région?
Les pays du Sahel présentent la particularité d’être des Etats fragiles, parmi les plus pauvres au monde, incapables d’assurer la protection de leurs frontières et de subvenir aux besoins de leurs populations. Les groupes terroristes profitent de cette fragilité pour exploiter les tensions locales, qu’ils instrumentalisent à leur gré, et tenter de diviser les communautés sur des bases ethniques et religieuses. C’est donc une combinaison de facteurs qui créent un terreau fertile à l’éclosion et à la propagation de cette insurrection islamique.
Quel est l’impact de cette poussée islamiste au plan religieux?
Au Burkina Faso, par exemple, sa longue tradition de tolérance religieuse est menacée. Vu sa position centrale dans cette zone d’Afrique de l’Ouest, il joue un rôle de verrou. Si ce verrou saute, tous les pays situés au sud, majoritairement chrétiens, seront affectés: le Bénin, le Togo, le Ghana, la Côte d’Ivoire. Or des indices nous montrent qu’il existe déjà des cellules dormantes des groupes islamiques dans ces pays. Au nord du Bénin, des touristes français ont été enlevés. Un prêtre catholique revenant du nord du Togo a été tué. Des attaques ont eu lieu aux postes frontaliers entre le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire. Au nord-est du Nigéria, une branche du groupe djihadiste Boko Haram affiliée à l’Etat Islamique a décapité une dizaine de chrétiens en décembre dernier. Les actes de violences s’étendent aussi aux pays voisins: le Niger, le Cameroun et le Tchad.
«Partout dans cette bande sahélo-saharienne, ces tueries, enlèvements et attaques vont de pair avec une culture d’intolérance religieuse.»
Comment se traduit cette évolution?
Partout dans cette bande sahélo-saharienne, ces tueries, enlèvements et attaques vont de pair avec une culture d’intolérance religieuse, alors que les populations y vivaient jusque-là un islam tolérant. On note aussi des changements de comportements, notamment sur le plan vestimentaire, avec de plus en plus de femmes voilées. La religion est devenue un sujet central de discussion, au point que le politique joue à son tour cette carte pour gagner des voix et se faire élire. Les groupes radicaux, bien qu’étant encore minoritaires, sont très actifs. Tout cela crée une atmosphère de persécution rampante, qui met sous pression les chrétiens mais aussi les musulmans modérés qui ne partagent pas cette idéologie.
Cette islamisation forcée est-elle le seul fait des groupes terroristes?
Non, il faut aussi prendre en compte les influences extérieures sur ces pays et rappeler qu’ils sont fragiles, politiquement et économiquement. A la recherche de financements, leurs habitants comme leurs autorités sont sensibles à l’apport financier de certains pays comme l’Arabie saoudite, le Qatar, mais aussi la Turquie. Or leurs actions caritatives s’accompagnent toujours d’un volet prosélyte. Ils font la promotion active d’un islam rigoriste, loin de la culture religieuse de ces pays, très tolérante et qui s’apparente à une forme de syncrétisme entre islam et pratiques animistes païennes ou traditionnelles.
La communauté internationale en fait-elle assez?
Non, alors qu’elle a une grande responsabilité dans ce qu’il se passe dans cette zone du continent africain. La communauté internationale a déstabilisé la Libye, sans assurer le «service après-vente», selon un scénario similaire à l’Irak, mais dont elle n’a toujours pas tiré les leçons. Il ne suffit pas d’éliminer un dirigeant – Mouammar Kadhafi – et de vaincre son armée, il faut aussi stabiliser le pays. Or cette situation a créé un vide sécuritaire qui profite à des groupes terroristes affiliés à al-Qaïda ou à l’Etat islamique. On sait que les groupes qui ont attaqué et occupé le Nord du Mali, par exemple, sont venus de Libye. Quand ils sont sous pression dans le Sahel, ils se réfugient également en Libye. Ce pays est par ailleurs devenu une passoire, avec le développement d’un trafic d’armes, de drogue, mais aussi de migrants, dont pâtit toute cette région déjà fragile de l’Ouest de l’Afrique. (cath.ch/cp)
Deux fois plus de chrétiens persécutés en Afrique de l’Ouest
L’Afrique de l’Ouest devient le nouveau foyer du terrorisme islamiste. En 2019, la persécution des chrétiens y a augmenté de 5.1% par rapport à 2018, soit deux fois plus que dans le reste du continent (2,4%), selon le dernier index mondial de persécution des chrétiens de l’association Portes Ouvertes. Au Burkina Faso, au Mali et au Niger, le nombre de victimes d’attaques terroristes a quintuplé depuis 2016, avec plus de 4’000 morts signalés en 2019, contre 770 en 2016, rapporte les Nations Unies dans son bilan 2019 sur l’Afrique de l’Ouest et le Sahel, publié le 8 janvier dernier.
Ces attaques terroristes se sont déplacées de l’est du Mali vers le Burkina Faso et les pays côtiers d’Afrique de l’Ouest. Son rapporteur, Ibn Chambas, souligne que 2020 est une année à haut risque, avec six pays de la région qui organiseront des élections présidentielles (Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Ghana, Guinée, Niger et Togo). Face au terrorisme, il insiste «qu’il est temps d’agir», exhortant les dirigeants régionaux à donner suite aux engagements pris et les partenaires internationaux à apporter leur plein soutien. CP