A 7h du matin, les jeunes sont déjà à l'entraînement | © Alexis Gacon
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Québec: l'église où la future élite du basket fait grandir son rêve

Les sons qui s’échappent de l’église Saint-Athanase, à Saint-Jean-sur-Richelieu, dans le sud du Québec, ne sonnent pas comme une messe matinale. La porte franchie, on comprend mieux: les bancs de messe ont été enlevés pour faire place à une magnifique salle de basket. Les apprentis champions y sont formés par l’institut Dynastie, qui tente de les envoyer vers la prestigieuse NBA (National Basketball Association).

Par Alexis Gacon au Québec, pour cath.ch

«C’est pas sérieux ça, allez, vous me faites une série de push-ups (des pompes)!» Malek et Alex font grise mine, mais s’accommodent de la consigne de l’entraîneur, mécontent de la dernière séquence, où le ballon a été perdu trop vite. Sept heures du matin viennent de sonner dans les autres églises de la ville, mais dans celle-ci, les cloches sont de l’histoire ancienne: c’est l’entraîneur qui s’occupe de remettre les pendules à l’heure. «Les gars, si un recruteur vient voir ça, il va croire que vous ne savez pas jouer.» Le spectateur lambda, lui, ne peut être qu’impressionné. Sur le parquet, treize joueurs, âgés de 14 à 20 ans, courent d’un bout à l’autre du terrain. Ils courent après la réussite, aussi, et un cadre pour mieux les guider vers l’objectif suprême: la NBA.

Un clin d’œil à l’histoire du Québec

Arafan Diané, 15 ans, s’y verrait bien. Plus carré que deux petites armoires mises côte à côte, il affiche déjà 2,10 m et il n’a pas fini de grandir, annonce-t-il. Mais il ne se repose aucunement sur son physique de gentil géant. «Je travaille. Il faut que je sois capable de mieux shooter à trois points. Je me rends compte qu’en NBA, ils jouent davantage avec leur tête, je dois continuer de travailler ma vision du jeu. Le basket, c’est 95 % du mental.»

Sur le parquet, treize joueurs, âgés de 14 à 20 ans, courent d’un bout à l’autre du terrain | © Alexis Gacon

Dans l’église, ils sont maliens, ivoiriens, français, québécois, recrutés par des entraîneurs qui travaillent avec l’institut sur plusieurs continents. Arafan, lui, est guinéen et musulman. «Je n’étais jamais rentré dans une église avant. Mais ça ne me fait rien de particulier, c’est un terrain de basket, avant tout». Pour Alex Charlotin, québécois, jouer là où les messes se donnaient n’est pas aussi anodin. «Je suis chrétien, le fait de m’entraîner ici, ça me rappelle que Dieu est en haut, que le travail que je fais paie, parce qu’il est là. J’y pense quand je joue». Le voir enchaîner plusieurs «trois points» parfaits touche, en effet, au divin.

Lieu d’entraînement spirituel

Le choix de transformer une église en pouponnière pour les meilleurs joueurs des ligues américaines n’est pas qu’un hasard, explique Alexandre Victor, fondateur de l’institut Dynastie. Quand il a acquis le bâtiment en 2019, il y a vu un beau clin d’œil. «Mes joueurs viennent de partout. On promeut la diversité, mais on veut aussi respecter l’héritage local. Le Québec a une grande tradition catholique, qui est moins forte maintenant, mais on peut redonner vie aux églises ainsi. Avant, c’était un lieu de rassemblement. Maintenant, c’est le sport qui joue ce rôle-là.»

Pour Alexandre, le cadre a un impact direct sur les joueurs, car sans être un institut religieux, la spiritualité compte beaucoup pour les joueurs ici, et l’académie peut s’appuyer sur la mémoire du lieu. «La religion est hyper présente en Afrique, d’où beaucoup de mes joueurs viennent. Les meilleures écoles africaines sont catholiques, et ce type de lieu peut les rassurer. Même si on n’est pas dans une institution religieuse, les jeunes se nourrissent de la spiritualité.»

Le Québec est passé maître dans l’art de relooker ses églises: à quelques kilomètres de là, dans la même ville, une église a été transformée en boulodrome de classe internationale. À Montréal, l’une est devenue un restaurant, quand d’autres ont été changées en bibliothèques. Le défi logistique fut de taille pour que le bâtiment devienne un gymnase, et le sous-sol, qui doit devenir une salle d’entraînement, n’est pas encore fini. Pour l’instant, les athlètes font de la musculation sous le clocher.

Les bonnes notes avant tout

Sans être monacal, l’institut insiste sur des horaires fixes, un engagement et une discipline de chaque instant. «On ne veut pas qu’ils aient trop de loisirs. Ils jouent le matin, ils étudient l’après-midi. Ils savent que s’ils veulent aller dans les meilleures universités américaines, il faut qu’ils aient des bonnes notes», explique le fondateur. Depuis que l’institut existe, les joueurs ont obtenu 2,4 millions de dollars de bourses pour étudier dans ces universités.

«C’était dur, mais ici, c’est une nouvelle famille, on s’aide», explique Arafan (à g.), à côté d’Alex | © Alexis Gacon

Pour les obtenir, il faut avoir de bonnes notes, seuls les établissements moins courus acceptent des joueurs qui n’ont pas la tête et les jambes. Alex ne s’inquiète pas du tout pour les notes. «De mon côté, ça va bien! j’ai une moyenne de 87/100» Arafan est moins rassuré. «Au départ, je parle le malinké – une langue d’Afrique de l’ouest –  j’ai du retard en français, mais ça va, je commence à ratrapper.»

Les parcours de vie des joueurs de l’institut ne sont pas rectilignes. Certains ont slalomé au cœur d’une enfance difficile, ont perdu un parent. D’autres font aussi face aux tentations d’un entourage toxique, de l’argent facile. Pourtant, d’après Alexandre Victor, l’institut parvient toujours ou presque à les remettre sur le chemin du panier. «Notre levier pour les faire agir, c’est qu’on a notre rêve entre leurs mains. On dit la même chose que des parents, mais nous, on a le basket pour connecter avec eux. Souvent, ils croient au message, mais ne croient pas au messager.»

«Si le jeune a fait des efforts, obtient une bourse, il est sur de bons rails pour être, si ce n’est un joueur pro, un bon citoyen», estme l’entraîneur | © Alexis Gacon

Certains iront peut-être en NBA. D’autres s’arrêteront en NCAA, la prestigieuse ligue de basketball universitaire des États-Unis, ou joueront dans d’autres ligues étrangères. Le rêve de gagner des millions au basket ne sera pas pour tout le monde, les joueurs le savent, mais au fond, le but est ailleurs, et ils le savent aussi, d’après le fondateur de l’institut. «La carrière dans le basket est courte. Leur rêve, c’est le moteur pour leur permettre d’avoir tous les outils pour faire autre chose après le sport. Leur histoire, leur vécu quel qu’il soit, le basket nous aide à le redresser. Si le jeune a fait des efforts, obtient une bourse, il est sur de bons rails pour être, si ce n’est un joueur pro, un bon citoyen.» Quelques-uns, rarement, quittent l’institut en cours de route. «Il y a des jeunes qui trouvent ça trop dur. Souvent, ce sont des Québécois, qui ont accès à leur entourage le week-end, et qui n’arrivent pas à s’immerger complètement dans notre modèle.»

Un rêve ou un autre

Arafane a des chances de se rendre au bout du chemin, en NBA, d’après Alexandre Victor. «Il a déjà six offres d’universités américaines, qui lui proposent des bourses pour poursuivre son parcours, après l’institut, chez eux.» Des entraîneurs viennent souvent le voir jouer, mais sa tête ne semble pas enfler. «Je prie le matin pour ne pas me blesser. Je pense à moi, à mon avenir oui, mais surtout à ma famille, restée en Guinée. Elle croit en moi.» Cet immense gaillard sourit beaucoup, mais le froid, l’éloignement de la famille, lui a fait mal en arrivant. «C’était dur, mais ici, c’est une nouvelle famille, on s’aide», dit-il en poussant gentiment Alex, qui vacille, mais ne lui en veut pas: «Il est trop fort, mais on est une équipe avant tout!» (cath.ch/alg/bh)

A 7h du matin, les jeunes sont déjà à l'entraînement | © Alexis Gacon
6 octobre 2023 | 17:00
par Rédaction
Temps de lecture : env. 5  min.
Baskets (2), basketteurs (2), Canada (205), Eglise (118)
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