Dans les coulisses de la «colocation» du pape avec les pauvres
En colocation avec «l’homme en blanc» dans sa résidence de Sainte-Marthe pendant trois jours. C’est ce qu’ont vécu d’anciens sans-abri qui ont interviewé le pape François au nom de personnes marginalisées du monde entier.
L’agence I.MEDIA a interrogé l’une des participantes à ces rencontres, Sibylle de Malet, de l’association Lazare, qui explique les coulisses des conversations, publiées dans l’ouvrage Des pauvres au pape. Du pape au monde (Éditions du Seuil), à paraître le 1er avril 2022.
«Le matin je me réveillais, je me disais: je dors dans une chambre de cardinal, c’est juste hallucinant. Pourquoi moi?». Celle qui se décrit comme «une chrétienne lambda, tout ce qu’il y a de plus normal», une trentenaire célibataire aimant la vie, a pourtant vécu une expérience hors du commun.
Tout a commencé avec la pandémie de Covid, qui a de fait causé l’annulation d’une audience papale avec l’association Lazare de colocation entre sans-abris et jeunes actifs. Qu’à cela ne tienne, le pontife accepte de rencontrer les colocs en visioconférence. Durant 1h30, il répond librement à leurs questions. Après le succès de cette rencontre, le petit groupe propose au pape argentin d’élargir ce dialogue à des pauvres du monde entier pour en faire un livre.
Le pape ayant donné son accord, des ONG impliquées dans le projet vont récolter plus de mille questions dans plus de 80 pays, formulées par des personnes en précarité, familles de favelas, des femmes prostituées, des prisonniers, des réfugiés, des enfants des rues. Une centaine de questions sont sélectionnées et une poignée de «personnes en galère» parlant le français et l’espagnol vont se rendre au Vatican pour s’en faire les porte-parole, avec le délégué général de Lazare, Loïc Luisetto.
Pieds-nus au Vatican
Nous sommes alors au printemps 2021, la planète est encore durement touchée par les vagues de pandémie et de nombreux pays européens sont confinés. Huit «journalistes improvisés du pape» vont aller vivre à Sainte-Marthe. Au milieu des prélats, des gardes suisses et des gendarmes, leurs sweats multicolores détonnent du quotidien de la résidence. Ils y resteront trois jours, le temps de croiser le pontife inopinément dans les couloirs, de se faire des amis inattendus et de fêter un anniversaire dans la cuisine de Sainte-Marthe.
«On n’avait pas du tout les codes des gens de là-bas», s’amuse Sibylle, qui s’occupe aujourd’hui du développement de Lazare à l’international. «Nous ne sommes pas religieux, et certains d’entre nous ne sont pas du tout croyants. Christian fumait ses cigarettes sous le nez des gardes suisses en faction, Diana marchait pieds-nus dans le Vatican pour être «connectée au sol»… Au début les réceptionnistes nous observaient avec surprise.»
Mais tout le monde les adopte. «On ne s’est jamais sentis mal à l’aise, confie la jeune nantaise. Alors même que je suis arrivée devant le pape avec un pull jaune, ignorant qu’on devait s’habiller en noir. Les personnes qu’on a croisées étaient très accueillantes.»
Comme l’entretien d’1h30 n’a pas épuisé toutes les questions, le pape François propose une seconde rencontre. «À la fin, raconte Sibylle, le pape nous a dit qu’il voulait nous revoir une matinée pour terminer le travail». C’est chose rare que le pontife réserve une demi-journée de son agenda, mais la décision de François est confirmée, et les «colocs» reviendront à Sainte-Marthe pour quatre heures de plus avec le pape.
Le pape aime les personnes franches
«On sentait qu’il était là pour nous, assure Sibylle. Il était très à l’aise avec nous, comme en famille. La deuxième fois, il est arrivé sans sa calotte, il avait une tenue très simple. Il n’y avait rien de formel. On avait un buzzer sur lequel le pape pouvait appuyer s’il voulait passer une question, mais il ne l’a jamais fait. Il y avait beaucoup de spontanéité, de rires. Le pape nous a dit ensuite qu’il aimait les personnes sans masques.»
Venus d’Espagne, de Colombie, de France, les amis de la rue, eux, prennent très à cœur leur rôle de porte-voix. «Ils lisaient des questions qui étaient très belles, parfois dures», rapporte Sibylle. «Ce fut une expérience incroyable», entendait-on sur toutes les lèvres, au retour de ce séjour dans le plus petit État du monde.
Pour Ricardo par exemple, il y a un Ricardo d’avant et un Ricardo d’après. «C’est inoubliable dans ma vie!», s’exclame l’Espagnole Manoli qui ne tarit pas d’enthousiasme. «Je voudrais le refaire. Le pape est incroyable, adorable, ce serait bien si tous les colocataires étaient comme lui! Jamais dans ma vie je n’aurais pensé vivre quelque chose d’aussi fort intérieurement».
D’autres projets sont-ils prévus avec le pontife? «À ce jour non, mais avec le pape, on peut être tellement surpris… On a proposé d’ouvrir une maison Lazare dans le Vatican, mais il a répondu qu’il fallait du courage et qu’il fallait prier pour que le pape ait du courage». Pour la suite, «on vous tiendra au courant», conclut Sibylle facétieusement. (cath.ch/imedia/ak/rz)