«Dans l’Église, il y a un 'avant’ et un 'après’ Laudato si’»
Laudato si’ (2015) et sa suite Laudate Deum (2023) ont été parmi les textes les plus marquants de François. L’encyclique sur l’écologie intégrale continue d’être une référence, autant dans l’Église que dans la société, assure l’écothéologien Michel-Maxime Egger.
Quelles ont été vos premières pensées lorsque l’encyclique Laudato si’ est sortie, en juin 2015?
Michel-Maxime Egger: Le fait même qu’un pape ait écrit une encyclique entièrement sur l’écologie était en soi un événement. Bien sûr, en tant que personne à la fois intéressée par l’écologie et la spiritualité, je m’en suis réjoui et me suis immédiatement mis à sa lecture.
Quelles nouveautés y avez-vous vues?
Des papes précédents avaient certes abordé les préoccupations écologiques. Mais ces allusions étaient restées secondaires et largement inconnues du grand public. Avec Laudato si’, l’Église a définitivement inscrit la sauvegarde de la création au cœur du message chrétien.
Pas seulement catholique…?
Une particularité de l’encyclique est justement qu’elle ne s’adresse pas qu’aux catholiques, ni même qu’aux chrétiens, mais à toute personne de bonne volonté. Et elle le fait de façon très ouverte. Alors que les encycliques affirment habituellement avec force la position de l’Église, le pape François précise d’emblée qu’il n’y a pas une manière unique d’interpréter la réalité. Le texte n’est pas seulement une invitation à collaborer pour le bien de la création, mais également à engager un dialogue sincère, honnête et respectueux sur l’avenir de l’humanité.
Quelle est l’aspect le plus marquant de Laudato si’?
Le texte va beaucoup plus loin que la sauvegarde de la création. Ce que Fançois propose, c’est un véritable changement de paradigme. Il appelle à avancer dans une «révolution culturelle» courageuse. Avec son concept de «sobriété heureuse», il émet une critique très forte du paradigme technocratique et consumériste, de l’obsession de la croissance, d’un système économique qui produit une culture du gaspillage.
Dans Laudate Deum, il enjoint à aller aux racines de la crise écologique, aux sources du comportement destructeur de l’humain. Pour le pape, ces racines sont d’ordre spirituel. Il exhorte à changer notre regard à travers une mystique de la création, vue comme le reflet de Dieu, sa manifestation, mais aussi le lieu de sa présence. Cette découverte, véritable expérience spirituelle, va nourrir des vertus écologiques telles que la gratitude, l’émerveillement, le respect, ou encore l’humilité.
«Le ‘timing’ de parution de l’encyclique était parfait»
Laudato si’ utilise également le registre émotionnel pour communiquer. Le pape veut que les lecteurs aillent vers leur ressenti, qu’ils ne se contentent pas d’être informés mais qu’ils soient aussi touchés par les désordres écologiques. Il invite à «oser transformer en souffrance personnelle» ce qui arrive à la Terre. «Nous devrions vivre la disparition d’une espèce comme une amputation de notre être», conseille-t-il d’ailleurs.
Ce sont autant d’aspects de Laudato si’ qui expliquent son rayonnement particulier.
Comment percevez-vous ce «rayonnement» dans votre entourage socio-professionnel?
Pour moi qui gravite beaucoup dans les milieux éco-spirituels et écologistes, je remarque à quel point le texte a marqué. Je dirais même qu’il est devenu une référence, qui inspire, encourage, rassemble. Il a également été reçu très largement et positivement dans des milieux écologistes militants parfois méfiants envers le christianisme.
«Laudato si’ cite de nombreux penseurs non catholiques»
J’ai participé en août 2015 aux Assises chrétiennes de l’écologie, à St-Étienne, et on parlait déjà à ce moment-là de «génération Laudato si’«. Tout le monde était d’accord sur ce point: «Dans l’histoire de l’Église catholique, il y a vraiment un ‘avant’ et un ‘après’ Laudato si’.»
Il faut aussi dire que le ‘timing’ de parution de l’encyclique était parfait. Elle est arrivée juste avant la COP21 de Paris, à un moment où la préoccupation écologique était très présente dans la société.
Comment expliquer le succès de Laudato si’ au-delà de la sphère catholique?
L’une des explications est le fait que l’encyclique fait largement appel à des ressources en dehors du monde catholique. Notamment à la science. L’état des lieux de la planète que réalise le pape François repose sur des données scientifiques très fiables. Il fait confiance à ces recherches en critiquant au passage les climatosceptiques. C’est une posture d’une grande lucidité, qui a été largement saluée dans de nombreux milieux, et notamment le milieu académique.
«Le pape réalise une auto-critique de la tradition chrétienne qui n’est pas habituelle dans les textes pontificaux»
Sur le plan philosophico-religieux, Laudato si’ cite de nombreux penseurs non catholiques. Outre le patriarche œcuménique orthodoxe Bartholomée Ier, on peut relever le mystique soufi Ali Al-Khawas. Il y a en outre une extraordinaire reconnaissance de l’apport des peuples premiers, une référence peu banale si l’on considère la peur immémoriale existant dans le catholicisme vis-à-vis du paganisme.
Laudato si’ a-t-elle pu réconcilier le message chrétien avec l’écologie?
C’est ce que tente de faire le pape. Le texte est en fait en grande partie une réponse à un article très critique de l’historien américain Lynn White paru dans la prestigieuse revue Science en 1967, qui accusait – non sans raison – la tradition judéo-chrétienne d’être co-responsable des dommages au vivant, du fait de son «arrogance anthropocentrique». Il y a eu depuis lors une forme de suspicion sur la légitimité de l’écologie chrétienne.
Mais le pape François répond bien à cela en expliquant que cet «anthropocentrisme dévié», conduisant à des «styles de vie déviés», repose sur une lecture erronée faite par les chrétiens de certains textes de la Genèse. Le pape réalise également en cela une auto-critique de la tradition chrétienne qui n’est pas habituelle dans les textes pontificaux. Il adopte une vision plus humble de l’humain, le considérant comme un «intendant» ou «jardinier» de la création.
Que peut-on malgré tout reprocher aux écrits écologiques du pape François?
Personnellement, un certain nombre de choses me manquent dans ces textes. Par exemple, alors que François cite un grand nombre de ressources utilisées pour écrire Laudato si’ et Laudate Deum, il omet de mentionner le Conseil œcuménique des Églises [COE-basé à Genève, ndlr]. C’est dommage, car ces textes auraient été impossibles à écrire sans l’immense travail sur l’écologie réalisé par le COE depuis les années 1970.
«Laudato si’ reste très prudent sur les sujets ‘qui fâchent’»
Je serais personnellement allé beaucoup plus loin dans la critique de l’anthropocentrisme. Laudate Deum parle encore d’une «prééminence de l’être humain» par rapport à la création. Il subsiste une forme de dualisme pyramidal, qui est un peu contradictoire avec l’idée que l’on fait partie intégrante de la création et que celle-ci, comme le souligne François, fait partie de notre être avec tous ses règnes.
Laudato si’ reste également très prudent sur les sujets «qui fâchent», tels que la consommation de viande, la croissance démographique ou la place des femmes.
Elles sont les grandes oubliées de l’encyclique?
L’absence de ces dernières a été révélée par la communauté de l’Université catholique de Louvain dans une lettre adressée au pape François à l’occasion de sa visite, en septembre 2024, pour les 600 ans de l’institution. À cette interpellation, le pape a simplement répondu en tirant en corner et en rappelant que «l’Église est une femme […], l’épouse» et que «la femme est un accueil fécond, soin, dévouement vital». Ces propos ont suscité une réaction immédiate de l’UCLouvain qui, dans un communiqué de presse, a exprimé son «incompréhension», sa «désapprobation» et son «désaccord» face à une «position déterministe et réductrice». Il est donc temps et plus nécessaire que jamais de tisser des ponts entre l’écothéologie et l’écoféminisme.
Ces manques n’enlèvent cependant rien au grand mérite de ces textes qui ont une vraie force et la grande qualité d’être globalement en phase avec la pensée écologique d’aujourd’hui. (cath.ch/rz)
Écothéologien d’enracinement orthodoxe et sociologue, Michel Maxime Egger, né en 1958, est un essayiste, conférencier et ancien journaliste, domicilié dans le canton de Vaud. Il a fondé en 2016 le Laboratoire de transition intérieure, porté par l’Entraide protestante (EPER) et l’organisation catholique Action de Carême. Le Laboratoire est devenu, après la retraite de Michel Maxime Egger en 2023, le TransformAction Lab au sein de la seule EPER. Les derniers ouvrages de l’écothéologien sont: À l’écoute de la création (Cabédita 2024) et, co-écrit avec Charlotte Luyckx, Gaïa et Dieu’e. Un écoféminisme chrétien est possible, parution en mai 2025 aux Éditions de l’Atelier. Michel Maxime Egger anime également le site www.trilogies.org, qui offre de nombreuses ressources sur l’écospiritualité. RZ
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