Dans la peau d'un ermite, le temps d'une nuit à Saint-Ursanne…
Passer une nuit seul dans la minuscule chapelle de l’ermitage à St-Ursanne: une expérience qu’a effectuée cath.ch. Parmi 40 activités proposées dans le cadre des 1400 ans de la mort d’Ursanne, «14h en Ermite» est une de celles qui a eu le plus de succès durant cette année chamboulée par le coronavirus.
Au cœur de la veille ville de St-Ursanne, Sœur Marie-Benoît accueille chaque soir l’apprenti-ermite inscrit pour passer la nuit à l’ermitage d’Ursanne. La religieuse se tient devant le portail sud de la collégiale et, réglée comme une horloge suisse, elle les attend à 18h30 précises. «C’est moi qui vais vous conduire jusqu’à l’ermitage. Suivez-moi!», me lance la Sœur de la Sainte-Croix d’Ingenbohl, après un bref dialogue de bienvenue.
C’est à mon tour de passer la nuit du 27 août 2020, là-haut sur la montagne. «Il y a 190 marches pour rejoindre la grotte. Je les monte deux fois par jour: soir et matin», indique la religieuse retraitée. La montée, relativement courte, est néanmoins assez escarpée. La récompense est d’autant plus grande une fois en-haut. D’un côté, on contemple la vieille ville médiévale des hauteurs. Et de l’autre, on observe de près cette grotte, dans laquelle Ursanne aurait vécu 14 siècles auparavant avec ‘son’ ours.
Logement spartiate
«Voici la chapelle de l’ermitage. C’est là que vous passerez la nuit». Quelques informations de la sœur franciscaine permettent de comprendre rapidement que le logement sera spartiate: pas d’eau courante, pas l’électricité et pas de chauffage. Un espace de 6 m2 sépare la porte d’entrée de l’autel mural. Le mobilier se résume à un matelas et un petit pupitre. On trouve aussi quelques livres sur la vie d’ermites, la corde qui permet de sonner la cloche de la chapelle, et un Livre d’or, pour que l’occupant des lieux y laisse un souvenir manuscrit.
«Dans cette vasque à l’extérieur, vous pouvez faire du feu avec les bûches que l’on vient de monter», précise encore Sr Marie-Benoît, avant de s’en aller. Je la vois redescendre, et disparaître lentement derrière la roche ombragée de la montagne. Elle emporte avec elle les derniers rayons de soleil, qui illuminent encore l’adret de la vallée du Doubs. Il est 19h, indiquent les sept coups du clocher de la collégiale. Me voilà seul. A partir de là, quatorze heures sans famille, sans amis, sans contact et sans connexion.
La solitude s’installe
La solitude s’installe gentiment dans ma conscience. Non pas que je la redoute, ou que je n’aie jamais passé du temps tout seul. Mais elle s’insère dans mes pensées, car je l’ai volontairement choisie, le temps de cette nuit. Pourquoi décide-t-on de vivre seul?, m’interroge-je. Me vient alors à l’esprit ce passage de la Genèse, dans lequel Dieu dit: «Il n’est pas bon que l’homme soit seul». Alors pourquoi, au nom de ce même Dieu, des personnes font-elles le choix de vivre seules plusieurs années… comme Ursanne en cet endroit?
Tout en me questionnant, j’ai préparé du feu dans la vasque. Les flammes qui dansent dans la pénombre apaisent mon esprit. Assis seul au coin de ce foyer ardent, je me projette tantôt en gardien des lieux, en chapelain de l’ermitage ou en sacristain ursinien. Bref, j’imagine que quelqu’un va venir et je me tiens prêt à l’accueillir. Je n’ai rien à offrir, si ce n’est quatre bouts de bois, comme l’Auvergnat de la chanson, et une oreille attentive.
De l’ermite à la communauté
De fait, personne ne va me rejoindre: la montée vers la grotte est barrée pendant la nuit, afin de laisser l’ermite-sage dans son ermitage. Mais la perspective que la solitude puisse provoquer une ouverture à tout autre me réjouit. Et puis je prends une carte posée sur le pupitre et je lis: «N’est-ce pas curieux qu’un ermite fonde un village?». Oui, me réponds-je, c’est plutôt paradoxal. Mais cela éclaire quelque peu la lanterne de mon questionnement.
Peut-être que, comme pour Ursanne, le retrait érémitique mène à la fondation d’une communauté. De même pour Antoine, Walfroy, Juan Diego, Charbel ou Nicolas de Flüe: la solitude rassemble. L’ermite joyeux attire les malheureux urbains. De même pour nombre de monastères: d’abord isolés, ils se sont retrouvés ensuite dans le centre historique de métropoles.
«Solitude habitée»
Entretemps, la nuit est définitivement tombée. L’ermitage s’est obscurci. A la faible lueur que provoquent encore les timides braises de mon feu s’ajoute le scintillement de la lune qui croît. Pas question pour l’ermite en herbe que je suis de broyer du noir. Si le Livre d’or invite les hôtes à laisser quelques impressions de leur «solitude habitée», je décrirais la mienne plutôt comme joyeuse.
D’une disponibilité pour accueillir l’inconnu, ma méditation me conduit ensuite à songer aux absents. A ceux que j’aime, à ceux qui me sont proches, à ceux que j’ai blessés ou depuis trop longtemps oubliés. Tous ces visages défilent devant moi. Je les reconnais et m’adresse mentalement à eux. Paradoxalement, certains absents me paraissent plus présents que dans la réalité. Faute de recevoir un message de ma part, peut-être leurs oreilles sifflent-elles la Mélodie du bonheur?
La nature reprend ses droits
Soudain, un léger frisson me parcourt le corps. A une dizaine de mètres, j’entends un bruit de pas légers, accompagnés de faibles cris rauques. Sans doute un mammifère non identifié. A cette heure tardive, la nature semble reprendre ses droits. Ne cherchant pas à me mesurer à sa potentielle hostilité à mon encontre, je me dis qu’il est grand temps de rentrer dans la chapelle et de me mettre à l’horizontale.
Je repense encore à Ursanne. Pourquoi a-t-il choisi le lieu-là? Et moi, pourquoi suis-je là ce soir? Et si c’était le lieu qui m’avait choisi pour être là ce soir? Peut-être était-ce déjà écrit quelque part que je serai ici et maintenant?
La vie est belle
Et je passe ma vie en revue, avec ses hauts et ses bas. Mais étrangement – comme si l’ampleur de ce que je suis en train de vivre me permettait de filtrer le négatif et de ne garder que le bon, le beau et le bien –, ce sont surtout de sympathiques moments dont je me souviens. Mes paupières sont lourdes et mes yeux se ferme gentiment. C’est en réalisant que la vie est belle et que j’ai de la chance d’avoir celle que j’ai, que je commence à m’endormir.
Le lendemain, à 9h précises, Sr Marie-Benoît vient me sortir de mon état d’ermite. Pendant qu’elle termine de ranger et désinfecter la chapelle, elle me laisse redescendre et repartir seul vers la civilisation. Quand je reverrai les autres, ceux-ci n’auront certainement pas changé. Mais moi, est-ce qu’une nuit dans la peau d’un ermite aura fait de moi un homme nouveau? Est-ce que ma perception des autres aura suffisamment évolué pour que, fort de mon expérience de solitude, je puisse tous les accueillir autant bien que je l’aurais souhaité lorsqu’ils étaient absents?
Quoi qu’il en soit, passer une nuit dans l’ermitage de saint Ursanne ne m’a pas laissé indifférent. Et très probablement, Sœur Marie-Benoît doit pouvoir en dire autant de tous les ermites dont elle a recueilli le témoignage durant cet été. (cath.ch/gr)
Sœur Marie-Benoît
Sœur Marie-Benoît – Colette Perritaz de naissance – a été affectée de 2008 à 2019 dans les soins des personnes âgées du Foyer St-Ursanne, dont les quatre dernières années comme accompagnatrice spirituelle. En décembre 2019, Marie-Benoît, avec sa consœur, a été rappelée à Fribourg. Les Sœurs d’Ingenbohl ont ainsi définitivement quittés St-Ursanne, après 123 ans de présence au service des personnes âgées. Inscrite de longue date pour accompagner les ermites pendant l’année jubilaire 2020, Sr Marie-Benoît a toutefois reçu une dérogation, afin de revenir le temps d’un été à St-Ursanne. Elle a ainsi pu honorer ses engagements d’hôtesse d’ermites en herbe. GR
Ermite: l’activité phare du Jubilé
«14h en Ermite», proposé par la paroisse de Saint-Ursanne en partenariat avec Jura Tourisme, a lieu du 1er juin au 31 août 2020. Sur 90 nuits, près d’une soixantaine de personnes ont fait cette expérience d’ermite. «14h, soit une heure de solitude par siècle qui nous séparent des 1400 ans de la mort d’Ursanne», explique Philippe Charmillot. «L’expérience a été tout à fait corona-compatible. Ce qui fait d’elle une de nos activités phares de l’année. Et des demandes de prolongation nous ont déjà été suggérées, poursuit le diacre. Mais comme les jours refroidissent, nous n’allons pas continuer au-delà de fin août. Cela dit, nous allons tout faire pour remettre sur pieds cette activité dès l’été 2021». GR
L’expérience d’ermite qu’a vécue Grégory Roth sera diffusée dans l’émission Hautes Fréquences, le 18 octobre 2020, à 19h sur RTS La 1ère.