Rencontre avec le cardinal Kurt Koch, fervent promoteur du dialogue entre les Eglises chrétiennes
Dans l’attente du Concile panorthodoxe
Einsiedeln, 21 mai 2012 (Apic) En juillet prochain, cela fera deux ans que le cardinal Kurt Koch est à la tête du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens. L’ancien évêque de Bâle a été choisi par le pape Benoît XVI pour succéder au cardinal allemand Walter Kasper en raison notamment de sa bonne connaissance des Eglises nées de la Réforme.
L’Apic a rencontré le cardinal Koch dimanche 20 mai 2012 à l’Abbaye bénédictine d’Einsiedeln, dans le cadre du pèlerinage annuel de l’oeuvre d’entraide catholique internationale «Aide à l’Eglise en Détresse (AED)».
Apic: Votre éminence, le pape vous a-t-il choisi comme président du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens en raison de votre connaissance du terrain œcuménique ?
Cardinal Koch: C’était effectivement l’idée du Saint-Père. Il voulait un évêque qui ne connaisse pas seulement les Eglises et les communautés religieuses nées de la Réforme à partir des livres, mais par une expérience concrète. La Suisse est le deuxième pays de la Réforme après l’Allemagne. Seulement maintenant, de par ma fonction, j’ai devant moi un panorama désormais plus vaste.
Le Conseil que je préside est chargé de promouvoir, à l’intérieur de l’Eglise catholique, un authentique esprit œcuménique, mais également d’entretenir les relations avec les autres Eglises et Communautés ecclésiales. Dans ce dernier domaine, il comprend deux sections. La section orientale concerne les Eglises orthodoxes de tradition byzantine et les Eglises orientales orthodoxes (coptes, syriens, arméniens, éthiopiens, malankars), ainsi que l’Eglise assyrienne de l’Orient. La section occidentale est en charge des différentes Eglises et Communautés ecclésiales d’Occident et du Conseil oecuménique des Eglises (COE).
Notons qu’en matière de foi, nous sommes beaucoup plus proches des luthériens que des autres dénominations issues de la Réforme. Nous avons signé avec les luthériens, à Augsbourg en 1999, une «Déclaration commune à propos de la doctrine de la justification». Avec les réformés, nous avons un tout autre dialogue. Pour eux, par exemple, la doctrine de la justification n’a pas le même rôle. Ils n’ont pas signé cette déclaration commune, alors que les méthodistes l’ont fait.
Apic: L’Eglise catholique est plus proche des Eglises orthodoxes – notamment en ce qui concerne les sacrements – que de celles issues de la Réforme…
Cardinal Koch: C’est un fait, nous avons beaucoup de choses en commun. Les relations se sont approfondies dès les années 60, depuis le lancement du dialogue avec Rome par le patriarche de Constantinople Athénagoras 1er. Dans les années 1980-1990, le dialogue portant sur l’Eglise, l’eucharistie, les sacrements, a débouché sur des accords fondamentaux. Mais dans les années 1999-2000 a surgi le problème de l’uniatisme (*) et du prosélytisme soulevé par l’Eglise orthodoxe russe. Cela a provoqué la fin du dialogue en l’an 2000.
Apic: Les relations entre le pape polonais Jean Paul II et le patriarche de Moscou Alexis II n’étaient pas des meilleures !
Cardinal Koch: Issue d’une famille d’origine allemande, Alexis II devait prouver qu’il était bien russe. Cela explique en partie les tensions avec un pape originaire de Pologne.
Dès le début de son pontificat, en avril 2005, le pape Benoît XVI s’est rapidement attelé à rétablir le dialogue. L’actuel patriarche Kirill connaissait le cardinal Ratzinger bien avant qu’il ne devienne pape et leurs relations étaient bonnes. De plus, contrairement à ce que prétendent certains médias, la famille Ratzinger à l’époque était anti-nazie. Le fait que le cardinal Ratzinger soit allemand ne représente donc pas un problème aux yeux des Russes. La relation personnelle entre le pape et le patriarche n’a jamais été aussi bonne.
Apic: N’empêche qu’on assiste aujourd’hui à un blocage de ce dialogue.
Cardinal Koch: On se heurte à la question de la primauté du pape, un thème fondamental pour les orthodoxes. Nous pensions avoir franchi un pas important après la rencontre de la Commission mixte internationale pour le dialogue théologique entre l’Eglise catholique romaine et l’Eglise orthodoxe à Ravenne, en 2007. Catholiques et orthodoxes s’acheminaient vers un accord sur la question de la primauté de l’évêque de Rome. Les deux Eglises y déclaraient que l’Eglise a besoin d’un «premier», tant au niveau local, régional qu’universel. Nous pensions que ce document offrait une base solide pour de futures discussions sur la question de la primauté au niveau universel de l’Eglise. Il fallait l’approfondir par une étude historique sur la primauté dans l’Eglise durant le premier millénaire, avant le Grand schisme (1054 est la date conventionnelle de la rupture entre Rome et Constantinople, ndr). Mais en mars 2011, le patriarche de Moscou a dit qu’il n’accepterait jamais le document de Ravenne intitulé «Conséquences ecclésiologiques et canoniques de la nature sacramentelle de l’Eglise – Communion ecclésiale, conciliarité et autorité». Il faut donc attendre les travaux du futur Concile panorthodoxe, dont les résultats seront importants pour l’avenir de l’œcuménisme. JB
Encadré
Questionné par l’Apic sur le retour éventuel des Lefebvristes dans le giron de l’Eglise de Rome, le cardinal Kurt Koch a refusé de faire des commentaires: «Cette décision est entre les mains du pape, je n’ai rien à ajouter!».
Les discussions ont eu lieu dans le cadre de la Congrégation pour la doctrine de la foi (CDF). Le cardinal William Levada, préfet de la CDF, a remis à Benoît XVI vendredi 18 mai 2012 les conclusions des cardinaux et évêques membres de son dicastère concernant un éventuel retour au bercail de la Fraternité Saint-Pie-X (FSSPX).
Le cardinal Koch a cependant tenu à rassurer les catholiques. Benoît XVI considère comme fondamental le thème de la liberté religieuse ou celui de l’œcuménisme. «Le pape accepte pleinement le Concile, bien plus que ceux qui prétendent le contraire!». Après le Concile Vatican II, précise-t-il, «nous n’avons pas une nouvelle Eglise en rupture avec l’ancienne, mais une Eglise renouvelée dans la continuité de 2000 ans». Et de citer le discours de Benoît XVI à la curie romaine du 22 décembre 2005, où le pape parle d’une interprétation du Concile qu’il appelle «herméneutique de la discontinuité et de la rupture».
«Celle-ci a souvent pu compter sur la sympathie des mass media, et également d’une partie de la théologie moderne», souligne le pape. Face à elle, Benoît XVI défend l’idée d’une «herméneutique de la réforme», du renouveau «dans la continuité de l’unique sujet-Eglise, que le Seigneur nous a donné. C’est un sujet qui grandit dans le temps et qui se développe, restant cependant toujours le même, l’unique sujet du Peuple de Dieu en marche». JB
«J’ai répondu à l’invitation de l’Aide à l’Eglise en Détresse (AED) en signe de solidarité avec cette organisation qui fait mémoire des martyrs, qui donnent leur vie pour leur foi. A l’heure actuelle, dans le monde, 80% de toutes les personnes qui sont persécutées pour leur foi sont des chrétiens», confie-t-il à l’Apic.
Lors de la messe qu’il a présidée dimanche 20 mai peu après midi dans l’église abbatiale baroque, dédiée à Notre-Dame des Ermites, le cardinal Koch a rappelé les paroles de Tertullien, figure emblématique de la communauté chrétienne de Carthage au 2-3e siècle, selon lequel le sang des martyrs est la semence de l’Eglise. Et de souligner qu’aujourd’hui, l’Eglise est à nouveau une Eglise de martyrs. Le fait que ces martyrs soient issus de toutes les Eglises chrétiennes lui fait dire que l’on peut vraiment parler d’un «œcuménisme des martyrs».
Dimanche après-midi dans la salle de conférence, comble, du «Dorfzentrum Einsiedeln», le cardinal Kurt Koch a affirmé qu’il serait tragique, en raison des troubles engendrés par le «printemps arabe», que les chrétiens soient forcés de quitter leurs régions d’origine. Ils sont présents dans nombre de pays du Proche-Orient dès l’aube du christianisme et y ont marqué la société jusqu’à aujourd’hui. Ainsi, les écoles les plus prestigieuses sont encore tenues par des chrétiens et de nombreux parents musulmans y envoient leurs enfants, car on y dispense la meilleure formation.
Au cours du débat modéré par le Dr Arnold Hottinger, expert du Proche-Orient et ancien correspondant dans la région du quotidien zurichois NZZ, le cardinal Koch a exprimé sa compréhension pour l’attitude de certains chrétiens de Syrie, dont la proximité avec le régime l’a parfois irrité: «J’ai dû changer d’opinion quand j’ai vu le degré de peur qu’ils avaient face à un futur incertain».
La cardinal Kurt Koch a montré de la compréhension pour les chrétiens des pays musulmans qui cherchent leur salut dans l’émigration en Europe et en Amérique. Il a demandé de les accueillir dignement. Etant souvent le «sel» de ces sociétés en majorité musulmanes, leur départ en masse serait une perte pour tous, car ils représentent un important facteur culturel. Arnold Hottinger a dit son espoir que les révolutions arabes débouchent sur plus de liberté – comme cela semble être le cas en Tunisie, où le parti islamiste «Ennahda» refuse d’introduire la charia dans la Constitution – mais certains autres pourraient bien retomber dans des régimes dictatoriaux. JB