Daniel Pittet aborde les abus sexuels dans les familles
Sept ans après Mon Père je vous pardonne qui lui a valu une renommée internationale, grâce au soutien personnel du pape François, Daniel Pittet publie un nouveau livre consacré cette fois ci aux abus sexuels dans les familles. Sous le titre Insoutenables secrets, il présente non seulement des témoignages mais aussi des pistes pour s’en libérer.
«Après la publication de Mon père je vous pardonne, paru en 2017, je pensais avoir tourné la page», explique Daniel Pittet. En fait c’est plutôt le contraire qui s’est produit. Le Fribourgeois s’est trouvé propulsé sur la scène médiatique, grâce au soutien personnel du pape François, insiste-t-il. Invité sur les plateaux de télévision en Suisse, en France, en Italie, en Allemagne ou en Pologne, Daniel Pittet a fait mouche. Le poids de son histoire personnelle, mais aussi sa simplicité, sa capacité au pardon et sa joie de vivre ont touché les cœurs. Traduit en huit langues, son livre s’est largement vendu.
20’000 lettres après Mon Père je vous pardonne
Le salon familial s’est trouvé envahi par quelque 20’000 lettres, des milliers de personnes l’ont contacté, y compris 37 pédophiles. Abordé par des inconnus dans la rue, sollicité par des écoles pour des témoignages Daniel Pittet, ordonné diacre en 2023, a compris qu’il avait là une nouvelle mission. Il consacre une bonne partie de son temps à l’écoute de victimes, abuseurs… «C’est un de mes services outre les visites à domicile…» La parution de ce deuxième livre, toujours rédigé par la plume de Micheline Repond, en est un des outils.
«J’ai voulu cette fois-ci sortir de l’Eglise pour montrer que le phénomène est hélas beaucoup plus large. La plupart de victimes que je rencontre ont été abusées par leur père, leur grand-père, leur oncle, leur frère, plus rarement leur propre mère.»
Des ‘paroles’ en dialogue
Il y a un an, Daniel était près d’abandonner son projet. «Les personnes dont j’avais recueilli et mis en forme le témoignage ont toutes finalement refusé de le voir publier. Avec mes proches, nous avons tourné et retourné la question dans tous les sens. En fin de compte, j’ai compris qu’il fallait aller au-delà du témoignage. Outre les victimes j’ai donc sollicité plusieurs personnes pour apporter leur propre éclairage: un responsable des droit de l’enfant, un sociologue, une psychiatre, un spécialiste de la justice restaurative, un responsable d’une association d’aide aux pédophiles.» Il en résulte cet ouvrage de 160 pages où diverses ‘paroles’ se croisent et dialoguent.
«Mon père me viole tous les samedis»
La nécessité d’aborder les abus sous différents angles, y compris celui des abuseurs, s’est imposée à Daniel, notamment lors des témoignages dans les établissements scolaires. «Un jour, devant plusieurs centaines de ses camarades âgés de 13 à 16 ans, une jeune fille se lève: ‘Monsieur Daniel, j’ai quelque chose à dire: depuis plusieurs années chaque samedi, je suis violée par mon père et ma petite sœur assise à côté de moi aussi.» «Demain j’irai à la police avec toi».
Après enquête et procès, le papa a été condamné à douze ans de prison et la mère aussi pour complicité. Mais l’affaire ne s’arrête pas là. La famille kosovar dont sont issues les deux jeunes filles prononce une sentence de mort contre elles pour avoir attenté à son honneur. Il a fallu exfiltrer les deux filles à l’étranger sous un faux nom dans une famille d’accueil où elles tentent de se reconstruire.
«Depuis je m’entoure toujours d’un équipe de psychologues, d’assistants sociaux, de médecins ou d’avocats pour accueillir les témoignages. Il n’est pas rare qu’une trentaine de filles s’approchent à la fin de mon intervention pour dénoncer les abus subis. Je ne m’en sors pas indemne».
«Dans chaque famille dans toutes les couches sociales, y compris chez les ‘bonnes gens’ il y a un pédophile, assène Daniel Pittet. Pire encore la pédophilie s’étend souvent sur plusieurs générations. Un père a eu parfois des rapports sexuels avec sa femme, ses filles et ses petites filles. Il avait peut-être été violé lui-même enfant.»
«En fait les pédophiles craignent la prison et la sanction. Ils font tout pour y échapper»
«No – Nein – No»
Pour y faire face il faut d’abord apprendre à l’enfant à dire ‘non’ souligne Daniel Pittet qui a développé un moyen pédagogique tout simple pour le rappeler: un carte de crédit, insérée dans chaque livre, sur laquelle figure au recto «No – Nein – No» et au verso le téléphone de la police et de Pro Juventute. Plusieurs cantons ont accepté de la faire distribuer dans leurs écoles.
«En fait les pédophiles craignent la prison et la sanction. Ils font tout pour y échapper». Son propre violeur, le Père capucin Joël Allaz, ne lui a-t-il pas dit un jour: «En fait tu ne m’as jamais dis non.» Pour Daniel, un non ferme peut être une protection.
Quelle place pour les abuseurs?
Un des approches les plus originales de Daniel Pittet est d’avoir, déjà dans son premier livre, accordé une place aux abuseurs. «Près d’une quarantaine de pédophiles m’ont contacté. Je ne comprends pas très bien pourquoi. Cherchent-ils un pardon? Une rédemption? Sont-ils toujours des manipulateurs pervers? Bien souvent je l’ignore, mais je ne les juge pas.» Daniel raconte même une expérience troublante: «Un jour j’ai été invité à Zurich. Dans la cour de récréation d’une école, j’ai été placé avec six autres hommes tous condamnés pour pédophile. Chaque enfant portait un dossard avec un numéro. On nous a demandé à tous d’identifier par leur numéro les enfants susceptibles d’avoir été ou d’être violés. A la fin de l’exercice, tous les chiffres, y compris les miens, concordaient.»
«Le pardon reste très personnel et très difficile, mais je crois qu’il est essentiel»,
La force pour affronter les insoutenables secrets
La force pour affronter ces insoutenables secrets? Daniel Pittet la puise dans sa foi profonde héritée de sa grand-mère et dans le soutien de sa famille riche de six enfants. «Il y a aussi la petite Thérèse de l’Enfant Jésus et Padre Pio. Enfant il y avait dans la chambre familial trois portraits accrochés au mur, celui du Général Guisan, celui du pape Jean XXIII et celui de Padre Pio. Je savais qu’il était capucin et je me disais qu’il pourrait faire quelque chose pour me libérer de mon violeur capucin. J’en ai parlé un jour à Rome au pape François qui m’a dit: Daniel, je crois que tu es son dernier ‘fils spirituel’, je mets une voiture et un chauffeur à ta disposition pour aller sur sa tombe à San Giovanni Rotondo. Je me suis ainsi retrouvé seul par un jour d’hiver dans cette basilique. Ce fut un moment fort».
La force essentielle du pardon
«Le pardon reste très personnel et très difficile, mais je crois qu’il est essentiel», poursuit Daniel Pittet. «J’ai pardonné à l’âge de 12 ans à Joël Allaz. Mais j’ai compris seulement 50 ans plus tard, lorsque je l’ai revu, que cela m’avait permis de me détacher de son emprise. Après la libération de la parole, le pardon peut apporter une seconde libération. Même après toutes les reconnaissances possibles, de la famille, de la justice, de la société, de l’Eglise, de l’abuseur, le pardon reste essentiel pour tourner la page. Je prie tout les jours pour mon abuseur.»
«Pour beaucoup de victimes, l’obstacle d’un procès pénal est trop haut.»
Pour une justice restaurative
Une assez large partie du livre est consacrée à la justice restaurative. Face aux abus dans les familles la justice pénale est bien souvent impuissante. Les faits dénoncés plusieurs décennies plus tard sont généralement couverts par la prescription.
Les procédures sont pénibles longues et coûteuses, pas toujours couronnées de succès. Le plus souvent on sera dans un procès parole contre parole, où le doute profitera à l’accusé. Pour beaucoup de victimes, l’obstacle est trop haut. La justice restaurative peut apporter sa contribution. Elle suppose que la victime et l’abuseur acceptent de dialoguer par l’intermédiaire d’un médiateur. Mais souvent la reconnaissance réciproque des méfaits permettra de sortir de l’impasse. (cath.ch/mp)
Daniel Pittet: Insoutenables secrets. Abus sexuels dans les familles, Rossens 2024, 160 p. Éditions NON NEIN NO