Crète: le boom de l’Eglise catholique
Elle aurait pu disparaître de la carte. En 1974, l’Eglise catholique de Crète ne comptait plus qu’une centaine de membres. Ils sont aujourd’hui plus de 5’000, de 28 nationalités différentes. Ce formidable essor est une chance mais aussi un défi. Reportage sur cette communauté et ses liens avec les orthodoxes, ultra-majoritaires dans l’île.
Héraklion. En contre-bas de la rue Patros Antoniou, le bleu étincelant de la mer. Dans la cure de la petite église catholique, en plein centre-ville, le Père Daniel Stankiewicz, vicaire général de l’Eglise catholique en Crète, me retourne la question. «Pourquoi pareille évolution? Dans les années 1970, il n’y avait plus qu’une centaine de catholiques dans l’île. Ces fidèles étaient âgés et leur décès aurait signifié l’extinction pure et simple de l’Eglise catholique. Or, nous sommes aujourd’hui 5’000. La tendance s’est surtout inversée à partir des années 1990, avec la chute des régimes communistes, qui a provoqué l’arrivée de Polonais, d’Albanais, puis de ressortissants de nombreux autres pays. Chacun a sa propre histoire, mais la plupart sont venus ici chercher du travail. Il y a aussi des femmes catholiques mariées à des hommes grecs de confession orthodoxe, qui ont ici leur famille et leurs enfants.»
Une Eglise mosaïque
Fruit de cette migration, une église mosaïque de 28 nationalités! «La majorité vient d’Albanie. Vous avez ensuite des gens des Philippines, du Sri Lanka, d’Italie, d’Amérique, d’Afrique … du monde entier!». Mais si l’image d’une église-monde paraît séduisante, jongler avec autant de langues, de nationalités et de mentalités s’avère compliqué: «Le grec est la langue que l’on utilise pour la liturgie, le catéchisme et la pastorale. Or certains membres de notre communauté, même s’ils vivent ici depuis 20 ans, ne le parlent pas bien. Ils ne comprennent pas toujours ce que je veux dire. Le prêtre qui m’a précédé m’avait dit: ‘Tu vas nager, ici!’…»
Le Père Daniel Stankiewicz est polonais. Arrivé dans l’île en 2007, il partage son temps entre la paroisse d’Héraklion et celle de Réthymnon, à 80 kilomètres de là. «Le plus gros problème, c’est le manque de prêtres, soupire-t-il. Aujourd’hui, nous en avons quatre, deux Italiens et deux Polonais.» Le territoire de l’île – 300 km de long sur 80 de large – est découpé en trois paroisses et les catholiques ne disposent que de trois églises, à Héraklion, Réthymnon et Chania. Résultat, certains habitent trop loin pour venir à la messe ou amener leurs enfants au catéchisme et les prêtres passent beaucoup de temps sur les routes.
Sur la côte nord-est, comme elle n’a aucune église pour célébrer la messe, l’Eglise orthodoxe lui met à disposition deux de ses églises, à Agios Nikolaos et Chersonissos: «Nous avons beaucoup de chance qu’en Crète, l’Eglise orthodoxe fasse partie du Patriarcat œcuménique de Constantinople. Le patriarche Bartholomé est très ouvert», commente Daniel Stankiewicz. Pour rapprocher les paroissiens d’un lieu de formation pour les jeunes, la communauté a aussi construit un centre pastoral à Ierapetra, au sud-est de l’île, à 180 kilomètres d’Héraklion.
Mariage mixte
Catholique italienne, Carmela Kalikaki vit en Crète depuis 1987. Membre active du conseil de paroisse de l’église d’Héraklion, elle enseignait en Italie l’histoire et la philosophie. Elle a quitté son travail pour suivre son mari, un médecin grec orthodoxe dont elle a eu deux enfants. «Je me suis mariée à l’église orthodoxe, mais mon mari ne m’a absolument pas contrainte, moi ou mes enfants, à suivre sa religion.» Comme le sacrement du mariage orthodoxe est reconnu par l’Eglise catholique, Carmela a gardé sa foi et élevé ses enfants dans la religion catholique. «Vous savez, dans ma famille, il n’y a pas de différences ni de préjugés entre catholiques et orthodoxes. Nous nous complétons. Nous croyons dans le même Dieu».
«On invite le patriarche orthodoxe lors de grands événements»
Chania, à 140 km à l’ouest d’Héraklion, sur la côte nord de la Crète. Sur la place Athina, se dresse, majestueuse, l’église orthodoxe. En face, dissimulée derrière une façade de magasins, l’église catholique de l’Assomption. Pour y accéder, un couloir étroit en vieilles pierres qui débouche sur une petite cour intérieure. Tout un symbole de la place respective qu’occupent les deux églises: l’une, religion d’Etat ayant pignon sur rue, l’autre, ultra-minoritaire.
Une Eglise solidaire
L’église de l’Assomption, la Française Béatrice Meric l’a rejointe peu après son arrivée en Crète. Installée ici depuis cinq ans comme réflexologue, elle qualifie sa communauté de fantastique: «Elle est accueillante, multi-ethnique, muIti-culturelle, multi-tout! On est obligés de parler trois ou quatre langues et ça me va bien. Regardez les livrets d’église, ils sont en huit langues. Et puis ici, la majorité des professions représentées sont des professions de service. Beaucoup travaillent dans le tourisme. Ce n’est pas l’Eglise des notables, c’est l’Eglise des pauvres. C’est pour ça, je pense, que je m’y sens bien.»
La Française a assisté aux premières vagues d’arrivées de migrants: «Le Père Petros, l’un des rares prêtres catholiques qui était grec, souligne-t-elle, en a hébergé certains. Il n’y a personne qui peut mourir de faim en Crète. Les gens donnent. Il y avait des soupes populaires organisées dans mon village par l’Église.» Elle s’interrompt pour saluer Pope Gibbeons et sa femme Jenny, un couple d’Anglais qui vit dans le même village. «C’est étrange cette petite communauté de gens catholiques à l’intérieur du système grec-orthodoxe, non?, me lance le mari. Moi, je la trouve très agréable. Surtout que le samedi soir, il y a une messe en anglais»… «Et à notre arrivée, enchaîne sa femme sur un ton rieur, le Père Luca nous attrape souvent pour nous impliquer dans la lecture et les chants.»
L’empreinte orthodoxe
La communauté catholique ne vit pas en huis clos. Elle est en relation constante avec la majorité orthodoxe: »La société est encore très régie par le culte orthodoxe, explique la réflexologue. On suit par exemple le calendrier orthodoxe pour Pâques. On invite le patriarche orthodoxe lors de grands événements. Et ça se passe très bien, en fait. C’est vrai qu’on est la même Eglise. Les rites ne sont pas les mêmes, mais le credo, le Notre Père, est le même. Et ce qui est important, c’est le message et la manière dont les gens le vivent.» (cath.ch/cp/rz)