CRAL: Une Eglise en diaspora et en exil
«Au cœur de notre mouvement, la mission»: tel était le thème 2020 des Journées thématiques de la Communauté romande de l’apostolat des laïcs (CRAL). L’occasion de s’interroger sur la dynamique missionnaire des mouvements et la réponse de chacun à l’appel du pape François à renouveler les pratiques et à mettre en œuvre la synodalité, «chantier de l’Eglise du 3e millénaire».
Geneviève de Simone-Cornet pour cath.ch
Les Journées thématiques de la Communauté romande de l’apostolat des laïcs (CRAL) 2020 se sont déroulées les 25 et 26 janvier à l’Hôtellerie franciscaine à Saint-Maurice (VS). Elles s’inscrivaient dans le sillage du Mois missionnaire extraordinaire d’octobre 2019. Elles ont accueilli une trentaine de laïcs engagés en Eglise pour une réflexion sur la dimension missionnaire de leurs mouvements avec Grégory Solari, essayiste et éditeur, fondateur des Editions Ad Solem et spécialiste du cardinal John Henry Newman, et Matthias Rambaud, assistant pastoral pour l’unité pastorale Lausanne-Nord.
Le christianisme sociologique est révolu
En ouverture, Grégory Solari, du Service de formation des adultes de l’Eglise catholique dans le canton de Vaud (SEFA) a aidé les participants à réfléchir au lien entre baptême, conversion, synodalité et mission en portant un regard sur la place de l’Eglise dans notre société et en dessinant les contours de la synodalité selon le pape François, «chantier de l’Eglise du 3e millénaire».
La Communauté romande de l’apostolat des laïcs
La Communauté romande de l’apostolat des laïcs (CRAL), qui a fêté l’an dernier son demi-siècle d’existence, regroupe 26 mouvements actifs dans divers domaines: diaconie, éducation de la foi, spiritualité. Elle veut servir la communion entre les mouvements, créer des synergies entre eux et proposer des espaces de discussion et d’échanges. Elle s’ouvre sans cesse à de nouveaux mouvements – de nouvelles sensibilités ecclésiales – dans le but de réformer, rassembler et célébrer. Site internet: www.lacral.ch GdSC
«Nous chrétiens sommes aujourd’hui dans la même situation que les premières communautés: nous formons une Eglise en exode», a-t-il lancé en ouverture. Deux raisons à cela: nous sommes, en Europe, dans une société postchrétienne, voire «ex-christée», devenue «étrangère au dépôt culturel et sociologique que l’annonce de l’Evangile a progressivement constitué», il y a «une rupture, un hiatus, une distance» entre elle et la foi des chrétiens; nous sommes sortis du constantinisme – du nom de l’empereur Constantin et de son édit de 321 qui faisait du christianisme la religion de l’Empire –, qui a «amalgamé la communauté chrétienne à la communauté civile» et conduit à une sociologisation, voire une nationalisation du christianisme – il suffisait de naître dans l’Empire pour être chrétien. Avec pour conséquence que l’Eglise, prise dans le maillage culturel de l’Empire, perdait ses contours.
Aujourd’hui les chrétiens sont donc revenus, a relevé le conférencier, à une situation de crise qui n’est rien d’autre qu’un «retour de l’Eglise à son état originaire»: une Eglise qui, contrairement à celle du deuxième millénaire, ne peut plus s’installer, une Eglise bousculée appelée à témoigner, une Eglise en diaspora et en exil dans un monde qui n’a plus les clés pour la rejoindre.
«Comment nous situer, comme chrétiens, dans ce monde?»
Dès lors, «comment nous situer, comme chrétiens, dans ce monde? Comment réduire le décalage entre notre pastorale et le monde actuel? Comment annoncer l’Evangile sans nous appuyer sur une conjoncture culturelle et politique révolue?», s’est interrogé le conférencier. En vivant le baptême – l’entrée dans la communauté – non plus comme une intégration quasi automatique, mais comme un engagement, un acte missionnaire, l’appartenance à la communauté chrétienne n’allant plus de soi dans la crise que nous traversons. Et en préférant le «nous» au «je», la communion au communautarisme «parce qu’ils traduisent un mode de vie reposant sur la charité», «fondement de la mission, qui est sortie vers l’autre et non produit que l’on propose».
«La communauté chrétienne est toujours en mission et elle est «avant tout un ›événement’ et non une institution»
Pour Grégory Solari, il est urgent de reprendre conscience de qu’implique le baptême: il ouvre à «une vie dynamique, la vie de la Trinité». Nous sommes baptisés au nom d’un Dieu en mouvement, en mission: «Etre baptisé veut donc dire, d’emblée, devenir un être-envoyé, un être-en-mission». Ainsi, la communauté chrétienne est toujours en mission et elle est «avant tout un ›événement’ et non une institution». Le Seigneur présent en elle «l’appelle, la convoque, la nourrit et l’envoie», faisant d’elle une communauté en exode.
Le christianisme sociologique est révolu, place à la nouvelle évangélisation, qui est conversion de la communauté, a affirmé le conférencier: il importe aujourd’hui d’entrer dans une dynamique pastorale qui implique une adhésion personnelle au Christ – confession de foi et engagement à le suivre. Sans cela, pas d’élan missionnaire.
Une manière d’être
Dans cette ligne, le pape François appelle à une conversion de toute l’Eglise. Comment? En l’engageant, pour le troisième millénaire, dans la synodalité, ce cheminement avec Dieu qui fait de l’Eglise «une communauté et mouvement, en pèlerinage». Et qui est exigeant: il demande à la communauté des croyants de se rassembler pour écouter le Seigneur et de se laisser enseigner par lui pour l’annoncer – «aujourd’hui, se rassembler c’est déjà évangéliser».
Pour François, le peuple de Dieu est un peuple en exode: être chrétien, c’est être en sortie, tourné vers le monde à venir, mais sans l’ignorer pour autant. Car, a souligné Gégory Solari, «la communauté chrétienne n’est pas un autre monde à côté du monde. C’est le monde quand il répond à l’appel de la Parole». Cette réponse n’est pas un discours sur Dieu, mais «une manière d’être» en réponse à la Parole de Dieu; une parole de vérité «qui engage celui qui la prononce», «n’obéit pas à la logique du savoir, mais à la logique de la charité»: car pour la comprendre, il faut aimer. «Cette parole, finalement, c’est la vie même du chrétien, sa manière d’aborder autrui, de le considérer, de l’aider», a précisé le conférencier. Dans la conscience que c’est le Christ qui agit. Ainsi, la synodalité invite chaque chrétien à reprendre conscience de son baptême et à entrer dans le dynamisme de la mission: «La réforme de François a cette radicalité».
Personne par personne
Matthias Rambaud a repris le flambeau, animant l’après-midi. Il a invité les participants à creuser le sens de la mission pour les mouvements dont ils sont membres et pour leur propre vie. Et à s’interroger: qu’est-ce que la mission pour moi? Comment trouver et mettre en œuvre de nouvelles manières d’avancer et de travailler pour la mission? Quelles expressions neuves pour dire l’Evangile dans nos mouvements, nos communautés, nos paroisses, nos familles? Il a distingué dans la mission un double mouvement: la mission formulée par Jésus pour tous et la manière de chacun de la recevoir et d’y répondre, sa vision pastorale.
Les participants ont travaillé sur des passages des Actes des Apôtres et du livre du pape François «Sans Jésus nous ne pouvons rien faire. Etre missionnaire aujourd’hui dans le monde» (Editions Bayard) pour dégager quelques principes de la mission selon François: l’Esprit Saint est premier, il nous précède; la Parole de Dieu est centrale.
A partir de là, quelle attitude missionnaire adopter? Il faut commencer par nous mettre devant l’Esprit Saint à l’écoute de la Parole, puis trouver une personne dans laquelle on peut investir: pour cela, être attentif à ceux que nous côtoyons, aller voir les gens, se mêler à eux, devenir leur ami. Une fois la personne trouvée, s’intéresser à ce qu’elle vit, prendre le temps de la rencontrer. Puis la former en l’associant à ce que nous faisons. «Acceptons de commencer petit, personne par personne, comme dit le pape», a souligné Matthias Rambaud. Rappelant que «c’est dans la mesure où je serai attiré que les autres le seront».
Le dimanche matin a été consacré à une réflexion sur la mission à l’intérieur des mouvements à partir de questions: quelle conversion? Quelles expressions nouvelles pour la mission? Quels espaces de créativité pour penser la mission et la mettre en œuvre? Les journées thématiques se sont terminées par la messe célébrée à la chapelle par le Père Jean-Louis Rey, spiritain. (cath.ch/GdSC/mp)