CRAL: les laïcs au défi de la mission

«Engagement laïc: les nouveaux défis»: c’est sur ce thème qu’a planché, à l’hôtellerie franciscaine à Saint-Maurice (VS), la cinquantaine de délégués de la Communauté romande de l’apostolat des laïcs (CRAL), les 27 et 28 janvier 2018, pour leurs  traditionnelles journées thématiques.

Réunis autour du philosophe Fabrice Hadjadj et du formateur Philippe Becquart, ils se sont interrogés sur l’apostolat des laïcs en un temps de rupture, tout en célébrant un demi-siècle d’existence.

Abbé Christophe Godel, vicaire épiscopal pour le canton de Vaud et délégué de la Commission des ordinaires romands à la CRAL |© Jean-Claude Gadmer

En ouverture, l’abbé Christophe Godel, vicaire épiscopal pour le canton de Vaud et délégué de la Commission des ordinaires romands (COR) à la CRAL, a redit le soutien des évêques et vicaires généraux et épiscopaux au laïcat. Il a salué en particulier les représentants de neuf mouvements intéressés à rejoindre la CRAL: l’ACAT (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture), Avifa (Amour, vie, famille), les CVX (communautés de vie chrétienne), les Pèlerins de l’eau vive, la Révision de vie, le Renouveau charismatique catholique, la Communauté mondiale pour la méditation chrétienne, Sant’Egidio et le Verbe de Vie. Un temps de parole a été accordé à chacun pour se présenter. Ils seront acceptés formellement lors de l’assemblée statutaire du 23 juin prochain juin.

Les délégués de la Communauté romande de l’apostolat des laïcs (CRAL), les 27 et 28 janvier 2018 |© Jean-Claude Gadmer

Pour marquer ses 50 ans, le Bureau avait invité les anciens présidents à partager un imposant gâteau avec les participants. L’occasion de raviver bien des souvenirs qui ont jalonné une histoire riche et parfois mouvementée (voir encadré).

Témoin dans son milieu

De nouveaux défis? Quels sont-ils? Pour Fabrice Hadjadj, philosophe, écrivain et directeur de l’Institut Philanthropos à Fribourg, «c’est moins l’innovation que le renouvellement qu’il faut chercher en adaptant l’ancien au nouveau: c’est le mouvement de la Tradition vivante». Car «dans la logique divine, il y a toujours de l’ancien et du neuf». Et «Jésus est toujours d’actualité». Le vrai défi? «Nous poser la question: est-ce que  ma foi se renouvelle?» sans nous laisser fasciner par les innovations.

Et en évitant le double écueil, relevé par Jean Paul II dans «Christifideles laici«, de la cléricalisation – un engagement en Eglise au détriment de la tâche à accomplir dans le monde – et de la sécularisation – une foi déconnectée de la vie. Le laïc doit travailler du dedans à la sanctification du monde puisqu’il y est plongé! Le laïc est appelé à être ferment d’Evangile là où il est, dans son milieu de vie. A être sel de la terre et lumière du monde dans son travail pour y «révéler l’extraordinaire, redonner de la saveur aux choses, faire se lever une lumière».

Oui, mais le monde dans lequel nous vivons a changé, et parmi les chrétiens circulent encore quelques idées fausses. Fabrice Hadjadj en a cité deux, qu’il s’est empressé de démonter: le monde actuel est déchristianisé; annoncer l’Evangile passe par les nouvelles technologies. «Le monde a-t-il jamais été chrétien? Le bon grain a toujours poussé avec l’ivraie, et le laïc est appelé à la mission dans le monde de son temps. Il annonce de l’Evangile en se faisant proche pour former une communauté incarnée.»

Défendre des évidences

Pour le conférencier, nous vivons à une époque de rupture, dans une ère postmoderne et post-humaniste où les chrétiens se retrouvent à défendre des évidences comme le fait qu’un être humain naît d’un homme et d’une femme. «L’Eglise défend la chair alors qu’elle est dépositaire de l’Esprit, elle défend la raison alors qu’elle est dépositaire de la foi. Elle annonce Dieu pour sauver l’humain.»

Quatre attitudes caractérisent notre société, selon Fabrice Hadjadj: le nihilisme – «tout s’effondre et on n’y peut rien» –, le transhumanisme – «un désespoir accompli qui ne dit pas son nom», une réaction écologique dure – «revenons à la nature, lieu de l’harmonie» – et le fondamentalisme religieux – qui fait déserter la Terre pour l’au-delà. Quatre attitudes qui, si elles ont une part de vérité, sont symptomatiques d’une société régie par un paradigme technocratique, ce mode de penser et d’agir qui contamine tout et que dénonce avec force le pape François.

Et la mission des chrétiens là-dedans? Ils sont les garants de l’humain. Avant tout jugement moral, ils ont pour mission de prêcher l’espérance; défendre la sexualité et la famille dans leur conception biblique; vivre des communautés incarnées et ouvertes; revenir aux choses simples, «où se joue la grande aventure de la vie», de consommateurs redevenir collaborateurs: cultiver la terre, faire son pain, remettre en valeur le savoir-faire manuel. Paradoxe: retrouver la simplicité devient héroïque et «la sainteté ressemble de plus en plus à la vie dans ce qu’elle a de plus simple».

«Je suis une mission»

Philippe Becquart, responsable du Service formation et accompagnement de l’Eglise catholique dans le canton de Vaud, a rappelé, dans l’évolution du regard de l’Eglise sur le laïcat, le changement opéré par Vatican II: «On est passé d’une Eglise société parfaite et hiérarchique à une Eglise peuple de Dieu. Les laïcs sont devenus coresponsables dans l’annonce de l’Evangile au nom de leur baptême».

Philippe Becquart, responsable du Service formation et accompagnement de l’Eglise catholique dans le canton de Vaud

La mission du laïc s’enracine dans le baptême, elle est constitutive de son être. «La mission au cœur du peuple n’est ni une partie de ma vie ni un ornement que je peux quitter ni un appendice ni un moment de l’existence. Elle est quelque chose que je ne peux pas arracher de mon être si je ne veux pas me détruire. Je suis une mission sur cette terre, et pour cela je suis dans ce monde. Je dois reconnaître que je suis comme marqué au feu par cette mission afin d’éclairer, de bénir, de vivifier, de soulager, de guérir, de libérer», écrit François dans «Evangelii gaudium». Ni cléricalisme ni subordination, la mission du laïc est témoignage au cœur de l’Eglise et du monde au nom de son appartenance au peuple de Dieu.

Revisiter le charisme

Les participants se sont ensuite interrogés sur leur mission en petits groupes: comme baptisé, à quelle mission suis-je appelé? En quoi le charisme de mon mouvement répond-il aux attentes d’aujourd’hui? Comme laïc engagé, quels nouveaux défis est-ce que je veux relever avec mon mouvement?

Le partage, riche, a permis de retenir plusieurs attitudes missionnaires: mettre la personne et ses besoins au centre, se laisser déranger, s’arrêter, se mettre ensemble, oser, transmettre, témoigner avec dynamisme de l’amour et de l’espérance, faire envie. Et ce en dépit d’un manque de relève et de visibilité. Pour l’abbé Godel, il importe de revisiter le charisme de son mouvement et de le vivre là où l’on est. Et ne pas avoir peur d’appeler. «Vivez ce que vous avez à vivre. Lui fera son œuvre!»

L’avenir? Il se dessine au travers de trois plateformes: ORMAC (organisation des mouvements d’Action catholique), spiritualité, écospiritualité. Après une brève présentation de chacune d’elles, les participants se sont organisés pour se retrouver régulièrement et revitaliser ainsi la CRAL. La rencontre s’est terminée par l’eucharistie, célébrée par l’abbé Christophe Godel. GdSC


Un lieu d’échange et d’interpellation

La Communauté romande de l’apostolat des laïcs (CRAL) naît après le Concile Vatican II, en 1968, en réponse au décret conciliaire sur l’apostolat des laïcs. Elle bénéficie de l’effervescence qui suit le Concile – l’Eglise s’ouvre alors au monde – et de la mise en place, dès 1969, des synodes diocésains qui offrent à chacun de prendre la parole. Elle est mise en place par l’abbé Gabriel Bullet, Monique Ribordy et Laurent Sottas; ses premiers statuts seront approuvés en 1984 par 21 mouvements d’apostolat.

Les responsables, laïcs et prêtres, des mouvements romands proposent de former quatre groupes pour mettre les forces en commun tout en valorisant la complémentarité tant sur le terrain pastoral qu’aux niveaux des moyens d’action et des ressources financières: mouvements d’Action catholique spécialisée et générale; mouvements d’éducation de la foi; mouvements de spiritualité; organisations et services caritatifs. Ils forment une communauté au service de l’Eglise de Suisse romande et du monde. Des responsables élus laïcs et prêtres composent le Bureau.

La CRAL devient un lieu d’échange, d’interpellation, d’enrichissement réciproque et de communion. Le laïcat, désormais organisé, dialogue avec les évêques, prépare la Journée de l’apostolat des laïcs et la campagne financière. Il assure la transparence dans le partage des subventions.

En 1970, l’abbé Bullet est nommé évêque auxiliaire. Il devient le délégué à l’apostolat des laïcs de la Conférence des évêques suisses. Il cheminera avec la CRAL durant plus de 25 ans. Sous son impulsion, la CRAL progresse dans sa dimension romande, la coresponsabilité prêtres-laïcs, l’accueil des problèmes du monde et la formation d’adultes libres, responsables, cohérents et solidaires. Les hésitations, les tensions et la méfiance réciproque des débuts font place à l’unité dans la diversité.

En cette année anniversaire la CRAL, qui rassemble 23 mouvements d’apostolat de Suisse romande, met en œuvre le projet Vitalis: l’élargissement à de nouveaux mouvements. Des contacts ont été pris et l’assemblée thématique a permis de faire connaissance avec neuf mouvements intéressés. Au programme également: le lancement d’un tout nouveau site internet, fin février, et l’approbation des nouveaux statuts lors de l’assemblée annuelle de juin prochain. (cath.ch/GdSC/be)

Assemblée de la CRAL Le philosophe et écrivain Fabrice Hadjadj, directeur de l’Institut Philanthropos à Fribourg | © Jean-Claude Gadmer
28 janvier 2018 | 15:54
par Jacques Berset
Temps de lecture : env. 6  min.
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