Le Père Christian Rutishauser est provincial des jésuites de Suisse depuis 2012 | © Pierre Pistoletti
International

Coronavirus: les jésuites d’Europe appellent l'UE à la solidarité

Les 21 supérieurs majeurs des jésuites d’Europe et du Proche-Orient appellent à la promotion d’une «véritable solidarité éthique et sociale» suite à la crise du coronavirus. Ils ont demandé le 8 mai 2020 notamment l’annulation de la dette des pays les plus pauvres, qui manquent de moyens pour se protéger de la pandémie du Covid-19.

La Conférence Jésuite des Provinciaux Européens (CPE) a lancé un appel urgent à la solidarité à l’Union européenne afin que les institutions européennes fassent preuve d’une « véritable solidarité éthique et sociale» en ces temps de Covid-19.

«Nous demandons dès à présent l’annulation de la dette des pays les plus pauvres, davantage d’aide humanitaire et de coopération au développement, avec une réorientation des dépenses militaires vers les services de santé et les services sociaux», écrit la CPE.

Plus d’aide humanitaire, moins de dépenses militaires

Réunissant 4’000 jésuites et des milliers de collaborateurs, la CPE, présidée par le jésuite franco-belge Franck Janin, est composée de 22 provinces jésuites et de deux régions. Dans leur message, les jésuites européens mettent en garde contre «les pressions isolationnistes et individualistes exercées sur les plus vulnérables en particulier». La déclaration a été signée par tous les Provinciaux jésuites européens, dont le provincial de Suisse Christian Rutishauser, actifs sur le continent européen ainsi qu’au Moyen-Orient.

Préoccupés par la progression du virus dans les pays du Sud et par les ravages qu’il pourrait encore causer dans ces pays, les jésuites rappellent que «la solidarité européenne préfigure la solidarité mondiale».

Que sera le monde d’après le Covid-19 ?

Que sera le monde d’après le Covid-19 ? Alors que plusieurs pays européens entament la phase de déconfinement, les jésuites européens veulent aussi prendre part au débat. La CPE lance son appel aux institutions européennes à l’occasion de la commémoration du 75e anniversaire de la victoire sur le nazisme et du 70e anniversaire de la déclaration de Robert Schuman, ministre des affaires étrangères français, le 9 mai 1950. Ce dernier proposait la création d’une Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), dont les pays membres allaient mettre en commun leur production de charbon et d’acier.

Un don précieux émerge: la ‘solidarité’

L’expérience déstabilisante de la pandémie du coronavirus a renforcé la conscience de tous les peuples d’Europe quant à leur interdépendance. «Dans cette prise de conscience de notre inévitable interdépendance, écrit la CPE, l’Eglise perçoit qu’un don précieux émerge: la ‘solidarité’. Tant pour les individus que pour les instances politiques seule la prise de conscience permet le changement, ce que nous appelons la ‘conversion’. Celle-ci porte ses fruits dans des relations marquées par une véritable solidarité éthique et sociale».

Des structures de péché aux structures de solidarité

S’adressant aux instances politiques, les jésuites affirment que la ‘conversion’ consiste à transformer, au moyen des législations, des réglementations et des systèmes juridiques, les structures de péché, qui détériorent les relations entre les individus et les peuples, en structures de solidarité.

«L’Europe est le fruit de cette conversion institutionnelle et incarne en elle-même la solidarité. Comme l’a dit le pape François le dimanche de Pâques, le projet de solidarité d’après-guerre a permis à l’Europe de se relever et de surmonter les conflits du passé. Il est impératif, a-t-il ajouté, ‘que ces rivalités ne reprennent pas de force, mais que tous se reconnaissent comme faisant partie d’une seule famille et se soutiennent mutuellement’».

Repenser le modèle actuel de mondialisation

Dans leur message, les jésuites appellent à repenser le modèle actuel de mondialisation «afin qu’il incarne une solidarité efficace avec les pauvres, l’environnement et les générations futures. L’enseignement du pape François offre une vision intégrale d’une solidarité à multiples facettes dont nous avons besoin. Les conséquences de la pandémie ne doivent pas entraîner une dilution de l’engagement de l’Europe dans cette direction, mais une intensification de ses efforts».

Ils constatent aussi à quel point la solidarité paneuropéenne est difficile à mettre en pratique, surtout en ces temps de difficultés sanitaires et économiques.

«Nous coulerons ou nous nagerons ensemble»

«Au début de la crise, il y eu un manque de solidarité avec l’Italie et l’Espagne; le réflexe initial a été celui du ‘chacun pour soi. Mais nous savons que nous sommes tous dans la même situation: nous coulerons ou nous nagerons ensemble».

A moyen terme, le défi consistera à faire face aux retombées économiques et sociales de la pandémie. «Inévitablement, cela entraînera une certaine redistribution des richesses des pays riches vers les pays pauvres. Nous appelons, 75 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale et 70 ans après la déclaration Schuman, à faire en sorte que l’UE surmonte la menace existentielle que représente le manque actuel de désir pour la solidarité internationale».

Réfugiés et des demandeurs d’asile

Constatant le dénuement des réfugiés et des demandeurs d’asile, y compris ceux qui sont confinés dans des camps sur le continent européen, les jésuites demandent que la solidarité européenne s’étende d’urgence à eux. Comme l’a dit récemment le cardinal Michael Czerny, jésuite canadien travaillant au Vatican comme sous-secrétaire de la section des migrants et des réfugiés du dicastère pour le service du développement humain intégral, «ils sont arrivés en Europe physiquement mais pas humainement’. L’Europe ne doit pas les laisser tomber !»

Selon le pape François, «l’Union européenne est actuellement confrontée à un défi historique, dont dépendra non seulement son avenir mais aussi celui du monde entier». Cette crise représente une opportunité spirituelle de conversion.

Pas de retour à la ‘vieille normalité’

«Nous ne pouvons pas, ni en tant qu’individus ni en tant que politiques, concluent les Supérieurs Majeurs de la Compagnie de Jésus en Europe et au Proche-Orient, signataires de l’appel, espérer revenir à la ‘vieille normalité’. Nous devons saisir l’occasion pour travailler à un changement radical inspiré par nos convictions les plus profondes».  (cath.ch/com/be)

Le Père Christian Rutishauser est provincial des jésuites de Suisse depuis 2012 | © Pierre Pistoletti
11 mai 2020 | 15:01
par Jacques Berset
Temps de lecture : env. 4  min.
Partagez!