'Consoler les catholiques', c'est encore possible, selon Anne Soupa
Dans son dernier ouvrage Consoler les catholiques*, paru en février 2019, Anne Soupa se veut confiante. Au sein d’une Eglise en crise, les catholiques peuvent vivre avec confiance cette traversée du désert. La bibliste et écrivaine française propose de revenir à l’essentiel: l’Evangile.
Cath.ch: Vous souhaitez consoler les catholiques. En ont-ils besoin en 2019?
Anne Soupa: Personne ne peut rester intact face à tous les scandales et les abus sexuels révélés ces derniers mois. D’abord avec les rapports sur les prêtres pédophiles publiés aux Etats-Unis en août 2018, suivis par ceux de plusieurs autres pays. Puis avec la publication de Sodoma, découvrant l’existence d’une véritable communauté homosexuelle au sein du clergé. Et encore tout récemment, le scandale des prêtres abuseurs de religieuses. Toutes ces révélations érodent la confiance des catholiques en leur institution. Et c’est très grave lorsque la confiance est rompue. Toutefois, même quand tout est au plus mal, l’essentiel reste là, et il console.
Quel sens donnez-vous au terme «consoler»?
Le terme est celui des prophètes. Dans la Bible, la consolation arrive justement au cœur de l’épreuve. Il ne s’agit pas du tout de se prendre dans les bras et de se faire un câlin. Il n’est même pas question de tendresse. La consolation est une bienveillance qui permet de regarder le malheur en face. Dans la Bible, c’est souvent une parole rude prononcée par des prophètes, comme Jérémie. Ils dénoncent ce qui ne va pas, ils osent la parole qui dérange. Par exemple, lorsque les rois ont établi une mauvaise politique, ou que le peuple s’est détourné de Dieu. Mais ils ajoutent aussi que Dieu n’abandonne pas son peuple. Le Seigneur reste fidèle en toute circonstance.
Vous proposez une consolation pas à pas: qu’est-ce qui est le plus urgent?
De regarder en face la réalité de notre Eglise. Ce qui saute aux yeux, c’est d’abord la souffrance des prêtres. Il faut l’entendre. Ils ont une responsabilité lourde, et d’autant plus si on les regarde de travers. On réalise que leur vœu de chasteté est dans bien des cas trop difficile à tenir. La souffrance est encore plus grande si le prêtre est homosexuel. Il doit prêcher ce que dit le Catéchisme (CEC 2357) – à savoir, que l’homosexualité conduit à des actes désordonnés, par rapport à la procréation – alors que personnellement, il doit s’accepter et se penser comme homosexuel.
«Il est urgent de regarder notre Eglise et de repérer la souffrance des prêtres»
Vous décrivez le prêtre comme une idole, quelqu’un qui a du pouvoir, et en même temps vous dites qu’il «souffre injustement». Comme expliquer ce paradoxe?
L’Église répète à qui veut l’entendre qu’elle n’est pas une société de pouvoir, mais de service. Pourtant, « du » pouvoir demeure. Et le Code de droit canonique le donne totalement aux prêtres. Mais paradoxalement, les prêtres sont toujours obéissants à quelqu’un, leur évêque, leur hiérarchie. Et ils souffrent injustement, car cette hiérarchie fait peser sur eux des exigences qui ne sont pas dans la droite ligne de leur vocation. Servir la communauté implique-t-il le célibat ? Qu’apporte-t-il de plus aujourd’hui? Á cause du célibat, leur discours moral peine à s’ancrer dans une vraie existence humaine. Ils sont donc moins crédibles.
Et il y a le cléricalisme. Le cléricalisme est un abus de pouvoir. Il a pu laisser sévir des personnalités marginales, attirées par les lieux de l’entre-soi. Si le Père Marie-Dominique Philippe a pu abuser de religieuses, en se présentant comme l’humble ›instrument du Petit-Jésus’, c’est que ce système de l’entre-soi est devenu un refuge et un lieu d’impunité pour les abuseurs.
Est-il correct de dire que votre démarche vise à dé-cléricaliser l’Eglise?
La décléricalisation, c’est la priorité de l’Eglise, voulue par le pape. Parce que si le cléricalisme empêche l’annonce de l’Evangile, c’est très grave. La première étape, c’est une prise de conscience de la part des fidèles de leur responsabilité dans l’annonce de l’Evangile. Cela se passe en trois axes. Premièrement: ne pas vouloir faire le contraire de l’institution. Deuxièmement: avoir des initiatives. Et il y a quantité de choses à faire; donner des bénédictions, par exemple. Enfin: ne jamais perdre de vue l’Evangile.
«Si le cléricalisme empêche l’annonce de l’Evangile, c’est très grave»
Spécialiste de la Bible, vous mettez souvent l’Evangile en exergue. Ne craignez-vous d’inciter vos lecteurs à opposer Eglise et Evangile, dans une sorte de ‘Sola Scriptura’ catholique?
Depuis vingt ans, je survis grâce à cette distinction Eglise-Evangile. Mais je précise qu’elle n’est pas une opposition. L’Evangile continue de me nourrir même quand l’Eglise va mal. Et ce n’est jamais une raison pour quitter l’Eglise! C’est maintenant qu’elle a besoin de tout le monde. Il y a une autre distinction à faire entre l’Eglise-institution et l’Eglise-Corps mystique, qui rassemble le Christ, les fidèles et tous les saints. Dans celle-ci, existent mille et une initiatives de baptisés qui l’enrichissent.
A l’avenir, comment voyez-vous cette Eglise composée de catholiques consolés?
Je la vois comme une Eglise qui remet l’Evangile au centre, plutôt que sa structure institutionnelle. Et qui multiplie les manières de le pratiquer. Elle ne sera peut-être plus un bâtiment de pierres, solide, mais une voix qui franchit les ondes, une voix nomade. Qui multiplie les groupes bibliques, les temps forts, les temps de retraite, les temps de retour sur soi. Et qui alternera les offres virtuelles avec des moments de partage et de convivialité. GR
* Anne SOUPA, Consoler les catholiques, Ed. Salvator, Paris, 2019.
Réactions au scandale des religieuses abusées
Co-fondatrices de la Conférence catholique des baptisé-e-s francophone (CCBF) et co-fondatrices du Comité de la jupe, Anne Soupa et Christine Pedotti ont réagi à la révélation des abus sur des religieuses par des prêtres. Elles ont demandé la décanonisation de Jean Paul II dans une tribune du quotidien Le Monde, le 12 mars 2019.
Cath.ch: Demander la décanonisation de Jean Paul II, n’est-ce pas aller un peu loin?
Anne Soupa: Il y a de toute façon eu une canonisation trop rapide, en réponse notamment aux pressions médiatiques et à certaines voix qui désiraient le «santo subito» de Jean Paul II. Dans ce cas, on ne peut pas parler de canonisation selon la sagesse ecclésiale habituelle. Et on a dit qu’il fallait des papes saints, parce que cela donne des modèles contemporains à l’Eglise. Pourquoi ne pas canoniser plutôt Françoise Dolto? Ce pape avait fermé les yeux sur les agissements pervers du Père Maciel, parce qu’il apportait tout ce dont l’Eglise a toujours eu besoin: de l’argent et des prêtres. Cela nous pousse à reconsidérer la structure. Avons-nous besoin de prêtres et d’idoles? Est-ce que nous pouvons vivre sans prêtres? Il faut écouter à ce propos le commentaire du pape François sur le Japon, vantant des chrétiens qui ont vécu des années sans prêtres.
Cependant, Jean Paul II n’est pas l’unique coupable?
On ne peut pas vouloir un chef suprême qui n’assume pas toute la responsabilité de ses actes et toutes des conséquences que ses actes ont engendrées. Dans toutes armées, le général doit rester au front pour défendre sa bataille. Quand le navire chavire, tout capitaine reste à bord, alors que l’équipage est sauvé. C’est une déontologie qui s’applique aux responsables de toute structure. C’est la logique du système. Alors que nous avons dû attendre Benoît XVI, le premier accusateur du Père Maciel. Et François qui est handicapé par tout ce qu’a centralisé Jean Paul II de son temps. Il essaye en vain de rendre du pouvoir aux conférences épiscopales, voire aux laïcs.
A quoi mesurez-vous cela?
Au net recul de la cause des femmes sous le pontificat de Jean Paul II. A la suite de l’intervention de Paul VI sur la contraception, Jean Paul II a été confronté à la Conférence de l’ONU sur les femmes, qui a adopté des droits. Il était dit: «les femmes sont des être humains à part entière, donc elles n’ont pas de vocations particulières». Jean Paul II, dans sa théologie, et avec une fausse exégèse de Genèse 2, a fait de «la femme», une aide de l’homme. Alors que dans la réalité biblique, il s’agit d’une aide réciproque de l’un et de l’autre. La femme et l’homme sont ‘sans pourquoi’, comme la rose de Silesius. Et Jean Paul II s’est arcbouté à une position ancienne, qui prévalait dans la société civile jusqu’aux années 1950. Et c’est d’autant plus regrettable que Vatican II, en 1965, avait déjà compris qu’il n’y a pas de différence des droits en fonction des différences de sexes.
A quoi faites-vous allusion?
Au passage de la constitution Gaudium et Spec 29 §2: «Toute forme de discrimination touchant les droits fondamentaux de la personne, qu’elle soit sociale ou culturelle, qu’elle soit fondée sur le sexe, la race, la couleur de la peau, la condition sociale, la langue ou la religion, doit être dépassée et éliminée, comme contraire au dessein de Dieu. […] Il en est ainsi lorsque la femme est frustrée de la faculté de choisir librement son époux ou d’élire son état de vie, ou d’accéder à une éducation et une culture semblables à celles que l’on reconnaît à l’homme». (cath.ch/gr)