Comment les Accords du Latran ont ouvert le monde au Saint-Siège
Le 11 février 1929, les Accords du Latran sont signés dans la basilique éponyme. Benito Mussolini et le cardinal Pietro Gasparri, secrétaire d’État de Pie XI, entérinent ainsi la souveraineté du Vatican. Ces accords ont favorisé l’internationalisation du Saint-Siège, en conférant une influence non négligeable à l’Église catholique au sein des organisations internationales.
Début juillet 2004. Mgr Celestino Migliore a repoussé ses vacances d’été pour vivre intensément cet événement historique. Devant les représentants des 193 membres de l’Organisation des Nations Unies (ONU), le diplomate italien, nommé évêque l’année précédente par Jean Paul II, s’est paré de ses ornements épiscopaux des grands jours.
A New-York, au siège de l’organisation mondiale, les nations du monde entier votent à l’unanimité et par acclamation la résolution 58/314 qui confirme le statut d’observateur du Saint Siège (membre de l’ONU depuis 1964) et consacre la dimension internationale de l’Église.
«Ses œuvres sont reconnues, son engagement est salué, son leadership est incontestable et l’humanité ne peut plus compter sans elle», murmure Kofi Annan, secrétaire général de l’organisation à l’oreille de celui qui est actuellement Nonce apostolique à Paris. Depuis, profitant du statut que lui confèrent les Accords du Latran, le Saint Siège s’impose au sein des plus grandes organisations internationales et en tire habilement profit.
Latran, neuf décennies après
Aux côtés de Benito Mussolini ce 11 février 1929, Pietro Gasparri a du mal à cacher son émotion. A 77 ans, le secrétaire d’État du pape n’oublie pas qu’il est né à Capovallazza di Ussita qui faisait partie des prospères états pontificaux. Avec la signature des Accords du Latran, le souverain pontife renonce à ces États et devrait, à la suite de la «question romaine» qui marque l’annexion des territoires papaux par la monarchie, se contenter de 44 hectares, le Vatican actuel, auquel s’ajoutent quelques territoires jouissant d’extraterritorialité dont Castel Gandolfo et les basiliques majeures situées dans Rome. 27 articles, quatre ou cinq pages, le tour est joué, mais les Accords ouvrent à l’Église la légitimité mondiale et les portes des organisations internationales.
Le statut du pape, l’indépendance du Vatican, la sécurité des basiliques et universités pontificales, la communication, les chemins de fer, les relations avec l’Italie et le monde, tout y passe. En stipulant à l’article 7, par exemple, qu’il «est défendu aux aéroplanes, de quelque espèce qu’ils soient, de survoler le territoire du Vatican», ces accords font du micro-état un vrai état avec un contrôle de ses frontières aussi bien terrestres qu’aériennes.
Ces mêmes accords prévoient les circonstances où le Vatican peut être assisté par l’Italie mais aussi celles de partenariats comme dans les domaines postaux ou de chemins de fer. Désormais, en état indépendant, le Vatican utilise l’entité immatérielle de «Saint-Siège» pour sa nouvelle aventure diplomatique et internationale, s’imposant, malgré son ironique record du plus petit état du monde, comme un instrument d’influence sur ses sujets de prédilection et de «ponts» dans le concert des nations.
Ces organisations où la voix de l’Église porte
De Paul VI (1965) à François (2015 et 2020), tous les papes se sont succédé à la tribune de l’Organisation des nations unies. Un exercice bien prisé par Jean Paul II qui sera reçu en star dans l’immeuble de verre à New-York en 1979 et 1995. Depuis l’adhésion du Saint-Siège à l’ONU en 1964, seul Jean Paul 1er, qui ne régna que 33 jours, n’est pas monté à la tribune où, même le très introverti Benoit XVI s’est résigné à prendre la parole en 2008.
Ces pontifes n’ont eu accès à l’emblématique tribune qu’en tant que chef d’État d’un territoire membre, une vraie aubaine pour l’Église de porter loin son message. Le fait d’être membre du Conseil de l’Europe a assuré au Vatican de disposer d’une monnaie, l’Euro avec l’effigie du pape en exercice, mais aussi d’être de facto membre de l’espace Schengen.
L’appartenance du Saint-Siège au Conseil de l’Europe a permis l’inoubliable visite de François au parlement de Strasbourg en 2014 sans oublier, en 1988, celle de Jean Paul II.
Aussi, n’eut été l’adhésion du Vatican à Interpol en 2008, l’arrestation de Cécilia Marogna, recherchée dans une affaire qui a coûté son poste à Mgr Angelo Becciu, n’aurait jamais eu lieu alors que l’intéressée s’était cachée à Milan. Depuis, à travers l’institution onusienne pour l’éducation, la science et la culture (Unesco) ou l’Organisation des Nations pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), le Saint-Siège a défendu ses positions éthiques et culturelles et a contribué, par ses réflexions, à la lutte contre la faim.
Une présence discrète et active
Membre de 15 organisations de l’ONU dont l’Organisation mondiale pour le travail ou encore le Programme alimentaire mondiale, le Vatican est aussi dans une douzaine d’organisations internationales intergouvernementales parmi lesquelles l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. Grâce à sa participation au Haut-commissariat pour les réfugiés (HCR), François porte son avis discrètement et subtilement sur la politique d’immigration des pays les plus développés.
L’attachement à l’écologie du pape François, son plus grand combat, trouve écho au sein du Programme des Nations Unies pour l’environnement du fait que le Saint-Siège en est membre. Il aura permis la participation remarquée du Vatican à la Cop21 à Paris où, à la suite de l’encyclique Laudato si’, le cardinal Turkson a porté le message de l’évêque de Rome.
Les 93 ans des Accords du Latran, le 11 février, ont sans aucun doute permis le rayonnement de l’Église, qui dans un monde sans cesse tourmenté, aura, au cours des décennies à venir, son mot à dire. (cath.ch/msc/bh)
Une trentaine d’organisations internationales
Disposant, en tant qu’État, d’une centaine de nonciatures (ambassades) à travers le monde, le Saint-Siège est présent dans une trentaine d’organisations internationales. Que ce soit l’ONU ou ses organes (Unesco, Unicef, FAO, HCR) ainsi que l’Interpol, l’Union postale universelle (UPU) ou encore l’Union internationale des télécommunications (UIT).
Il est aussi membre observateur de multiples organisations régionales dont le Conseil de l’Europe, à Strasbourg (photo), l’Organisation des États américains (à Washington) ou l’Union africaine (à Addis-Abeba). MSC
Un accord: trois traités
Les accords du Latran sont en fait un ensemble de trois traités. Le premier crée l’Etat de la cité du Vatican, ce petit territoire de 44 hectares autour de la basilique saint-Pierre et du palais apostolique. Le nouvel Etat dispose de services publics régaliens comme une gare, une poste, une monnaie, une radio. L’Italie reconnaît le pape comme chef temporel du Vatican, détenant tous pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires.
Le deuxième est une convention financière prévoyant une indemnisation d’un milliard de lires (l’équivalent actuel de plus d’un milliard d’euros) de l’Etat italien pour la perte des Etats pontificaux en 1870. Cette indemnité permettra au Vatican de se constituer un assez solide patrimoine financier et immobilier.
Le troisième est un concordat entre le Saint-Siège et l’Italie qui régit les relations entre les deux entités. Mussolini a fait de larges concessions: le catholicisme devient religion officielle, l’enseignement religieux est obligatoire, les mariages religieux ont valeur civile, l’existence de l’Action catholique est reconnue. A l’inverse les prêtres doivent se tenir à l’écart de toute activité politique, l’Etat a son mot à dire dans la nomination des évêques qui doivent prêter un serment de fidélité au roi d’Italie et au gouvernement. MP