L'immeuble du scandale est situé sur Sloane Avenue, à Londres | © Timitrius/Flickr/CC BY-SA 2.0
Vatican

Comment le Saint-Siège a perdu le contrôle de l'immeuble de Londres

La 23e audience du procès de l’affaire dite ›de l’immeuble de Londres’, qui s’est tenue le 7 juillet 2022, a été l’occasion d’entendre pour la seconde fois Fabrizio Tirabassi. L’ancien fonctionnaire du bureau administratif de la secrétairerie d’État a expliqué comment le Saint-Siège a perdu le contrôle de l’immeuble londonien.

Fabrizio Tirabassi été principalement interrogé sur son rôle dans les tractations effectuées par le Saint-Siège avec l’homme d’affaires Gianluigi Torzi, accusé d’avoir extorqué de l’argent à la secrétairerie d’État lors d’une opération financière en 2018. I.MEDIA revient en quatre points sur les principales informations.

1. Comment le Saint-Siège a involontairement cédé le contrôle de l’immeuble de Londres à Torzi

En 2018 le Saint-Siège mandate le courtier Gianluigi Torzi pour récupérer le contrôle de l’immeuble de Sloane Avenue, possédé à l’époque par un fonds appartenant à Raffaele Mincione. Pour effectuer l’opération avec Torzi, à qui la secrétairerie d’État prévoit de confier la gestion de l’immeuble, un versement à Torzi de 1’000 actions de la nouvelle société contrôlant l’immeuble, la Gutt, est prévu par le contrat.

Cette solution, explique Fabrizio Tirabassi, a été préférée à celle d’un versement de 3%, mais en ignorant totalement que Gianluigi Torzi se réservait les 1’000 seules actions disposant du droit de vote pour le contrôle de l’immeuble dans l’opération. Une situation dont le Saint-Siège n’avait, selon lui, pas conscience au moment de la signature à Londres du transfert du contrôle de l’immeuble en novembre 2018. 

Tirabassi a expliqué que le Saint-Siège s’était présenté dans la capitale londonienne sans avocat, à la demande de Mgr Alberto Perlasca, son supérieur, qui souhaitait « économiser les honoraires d’un avocat » et qui considérait la présence d’Enrico Crasso suffisante. 

L’irrégularité a été découverte par l’architecte Luciano Capaldo, qui gérait l’immeuble avant la reprise par Gianluigi Torzi, près d’un mois après la signature. Il met au courant la Secrétairerie d’État par l’intermédiaire de l’homme d’affaires Luca Dal Fabbro, ami personnel de Fabrizio Tirabassi. 

Un plan pour remettre la main sur les 1’000 actions est alors mis sur pied, a expliqué Fabrizio Tirabassi. Selon lui, Mgr Perlasca demande aussi à ce moment de changer de cabinet d’avocats, considérant que le Saint-Siège ne peut plus travailler avec l’avocat Nicola Squillace, proche de Torzi qu’ils ont embauché pour signer le contrat de récupération de l’immeuble un mois auparavant.

2. Une rencontre très agitée à l’hôtel Bulgari

Le promoteur de justice est justement revenu sur la rencontre à l’hôtel Bulgari de Milan le 19 décembre 2018 pendant laquelle Fabrizio Tirabassi et Enrico Crasso ont pour la première fois tenté de négocier les 1.000 actions avec Gianluigi Torzi. Le promoteur est revenu sur un enregistrement de la rencontre effectué par Tirabassi sans que les deux autres participants ne le sache et déjà diffusé par la presse italienne en octobre 2020. 

Tirabassi explique que Gianluigi Torzi était initialement ouvert à des négociations pour céder les actions de l’immeuble, mais qu’il n’était pas satisfait de la somme proposée par la secrétairerie d’État, 5 millions d’euros.

Alors que les représentants du Saint-Siège étaient venus avec une offre de reprise de 5 millions d’euros fixée par Mgr Perlasca, Torzi aurait décliné la proposition avec une grande vulgarité, demandant entre 10 et 15 millions de livres sterling, puis aurait affirmé que Tirabassi lui avait promis d’investir 50 millions de livres dans des obligations et un fonds de créance sanitaire en échange de la vente du millier d’actions. 

Répondant au promoteur de justice qui l’interrogeait sur cette déclaration, Tirabassi a juré n’avoir « rien promis à Torzi, surtout pas 50 millions, qui est un chiffre stratosphérique ».

3. L’intervention du pape

Face à cette situation préoccupante, l’avocat Manuele Intendente demande une réunion avec le pape François, qui a lieu le 22 décembre 2018, à laquelle assiste Giuseppe Maria Milanese, ancien dirigeant de coopératives et proche du pape, le substitut Mgr Edgar Peña Parra, mais pas Fabrizio Tirabassi. Le substitut, inquiet par la situation dont il prend alors connaissance, demande des comptes à Tirabassi qui reconnaît avoir été « trompé par Squillace et Torzi ». 

Les négociations sont menées alors par la secrétairerie d’État avec l’aide de Giuseppe Maria Milanese et Luca Dal Fabbro, et aboutissent le 2 mai 2019 au paiement par le Saint-Siège de la somme de 15 millions d’euros.

Une fois la propriété récupérée, les projets de restructuration de l’immeuble de Sloane Avenue ont été abandonnés parce que « le Saint-Père n’appréciait pas le développement d’appartements de luxe » qui avait été prévu initialement. Ceux-ci, selon l’homme d’affaires Raffaele Mincione, devaient permettre au Saint-Siège de faire une importante plus-value.

Le substitut Edgar Peña Parra a enfin demandé à Fabrizio Tirabassi de rédiger un memorandum pour le pape François sur l’ensemble de l’affaire. Fabrizio Tirabassi explique que ce texte, rédigé par plusieurs personnes, comprenait des expressions telles qu’« opération frauduleuse » et « extorsion » contre la Secrétairerie d’État, qu’il juge a posteriori trop fortes. Il confie ne pas se souvenir si c’était lui ou le substitut qui les avait insérées dans le document.

4. La suite du procès

Une audience a lieu ce 8 juillet pour l’interrogatoire de Nicola Squillace. Elle sera suivie de deux autres audiences, les 14 et 15 juillet, pour continuer l’interrogatoire de Fabrizio Tirabassi. 

Le juge Giuseppe Pignatone a déclaré qu’il communiquerait la liste des témoins qui seront entendus à partir des mois de septembre et d’octobre.  (cath.ch/imedia/cd/ic/mp)

L'immeuble du scandale est situé sur Sloane Avenue, à Londres | © Timitrius/Flickr/CC BY-SA 2.0
8 juillet 2022 | 15:05
par I.MEDIA
Temps de lecture : env. 4  min.
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