Les journaux romands au lendemain de la mort de Paul VI | © Maurice Page
Suisse

Comment la presse romande jugeait Paul VI

Le pape Paul VI sera canonisé à 14 octobre 2018, à Rome, 40 ans après sa mort. A la suite de Jean XXIII, il aura été l’artisan du Concile Vatican II. Personnalité riche et complexe Paul VI laisse une mémoire contrastée. Progressiste sur la liturgie, la doctrine sociale, la paix dans le monde et le développement, il apparaît comme réactionnaire en refusant la pilule contraceptive en 1968 avec Humanae Vitae. Un contraste qui apparaît déjà dans les hommages publiés dans la presse romande au lendemain de sa mort.

Si la mort subite de Paul VI dans la soirée du dimanche 6 août 1978 provoque une forte surprise, son décès, à l’âge de 80 ans, n’est pas tout à fait inattendu. Depuis le printemps, il s’est considérablement affaibli. Une de ses dernières photos, prise la semaine précédente à Castel-Gandolfo, où il se repose, le montre amaigri, les trais tirés. Recevant le jeudi précédent le président de la République italienne, il évoque explicitement sa mort prochaine.

Le dimanche à midi, il ne se présente pas au balcon de sa résidence d’été pour y prononcer l’angelus Frappé d’une crise cardiaque vers 17h alors qu’il célèbre l’office dans son lit, il meurt quatre heures plus tard.

Porteur de bonté et de paix

Le lendemain matin, un seul et unique titre barre la une de la totalité de la presse écrite romande: «Paul VI est mort». Les éditorialistes prennent leur plus belle plume pour évoquer «le pape de la vie» comme le qualifie François Gross dans La Liberté de Fribourg. «En lui on sentait un extraordinaire mélange de volonté implacable et d’une incomparable douceur. La charité imprégnait toute son action». Une impression partagée par le correspondant suisse au Vatican, Georges Huber, dans Le Nouvelliste, de Sion:»Paul VI était un homme d’une bonté exquise et d’une rare délicatesse de cœur.» Le journaliste va même plus loin: «les gens […] sentaient une sorte de fluide qui émanait de son regard et de ses gestes: un fluide porteur de bonté et de paix». Interrogé par La Liberté, Mgr Pierre Mamie, évêque de Lausanne, Genève et Fribourg (LGF), qui l’a connu personnellement, confirme: «Quant on allait dans son bureau, on avait le sentiment à chaque fois, quels que soient le moment et la situation, qu’il n’avait vu personne auparavant et qu’il ne verrait personne après.»

«Je suis peut-être lent, mais je sais ce que je veux»

A ceux qui voyaient dans le pape Montini une personnalité, indécise, craintive, inquiète, les journalistes parlent «d’audacieux réformateur»  (La Tribune Le Matin reprenant l’Agence France Presse) ou d’audace dans la fidélité (Abbé Alphonse Menoud, chroniqueur religieux de La Liberté). Georges Huber fait parler le pape lui-même: «Je suis peut-être lent, mais je sais ce que je veux. Après tout, j’ai bien le droit de réfléchir.» «Mais quand il avait pris sa décision rien ne pouvait lui en faire changer le cours», poursuit Mgr Mamie. «On est bien obligé de remarquer que Paul VI a agi avec sagesse, avec droiture dans tous les cas», explique Le Nouvelliste

Paul VI à la tribune du Bureau international du travail, en 1969, à Genève | capture d’écran RTS

Le pape des crises

Cette méthode fut bien nécessaire au «pape de la crise de la souffrance et des difficultés» comme le titre Le Nouvelliste. Le quotidien valaisan, ne manque pas de saluer son action pour contrer la crise «qui caractérise notre époque de contestation, de violence et de remise en cause désordonnée des choses les plus sacrées». Le commentateur anonyme, mais dans lequel on peut voir l’opinion sinon la plume du rédacteur en chef André Luisier, salue aussi l’action de Paul VI contre le matérialisme athée, entre autres «en Italie où son intervention à la veille des élections a peut-être sauvé notre voisine d’un grand chambardement».

Guido Olivieri raconte dans 24Heures: «Le 21 juin 1963, lorsque je l’ai vu apparaître au balcon des papes à peine élu, j’ai partagé le sentiment de milliers de fidèles: comment cette frêle silhouette allait-elle supporter un tel fardeau?». Sous le titre: ‘Un règne difficile’, il relève que la «vague de fond soulevée par Vatican II allait le frapper de plein fouet. Deux forts courants, le ‘conservateur’ et le ‘progressiste’ allait se le disputer, tenter de faire pencher de leur côté le trône de Pierre. L’insoumission de Mgr Lefebvre en fut la manifestation la plus voyante.»

«Tout au long de ses quinze années de pontificat, Jean-Baptiste Montini n’aura pas été à l’abri des contestations, des critiques, des calomnies», relève Bernard Weissbrodt dans La Liberté.

«Il restera pour beaucoup, le pape voyageur»

«Dieu l’a délivré de ses peines. Chaque fois que j’ai pu le rencontrer, j’ai eu l’intense impression de me trouver en présence d’un homme écartelé, triste intérieurement, portant tous les soucis de la chrétienté», explique Mgr Nestor Adams, évêque émérite de Sion.   

L’ouverture au monde

La presse plus profane met en avant le «pape de l’ouverture au monde», selon le titre de 24 heures. «Il restera pour beaucoup, le pape voyageur», note Claude-André Joly, dans L’Impartial de la Chaux-de-Fonds». «Paul VI plantait son clocher au centre du village planétaire, commente François Gross. Il lançait devant les Nations-Unies un pathétique appel en faveur de la paix; il allait aux frontières de la Chine, il parcourait le chemin du Christ sur la terre d’Israël; Il foulait le sol d’Afrique, il plongeait dans les foules misérables de l’Inde.»

Sous le titre «Un pape libéral», le Journal de Genève évoque largement l’engagement de Paul VI pour la paix, la liberté et le développement des peuples, titre de son encyclique Populorum progressio (1967). «Sur le plan national comme sur le plan international, elle rejette l’exploitation de l’homme par l’homme et défend les libertés individuelles contre tout régime politique ou économique autoritaire.» «Ses initiatives souvent hardies n’ont d’ailleurs pas eu l’heur de plaire à chacun. Son ‘esprit social’ ses ouvertures vers les pays de l’Est plus particulièrement ont soulevé de bruyantes controverses», note Claude-André Joly.

La tension œcuménique

L’élan vers la recherche de l’unité des chrétiens est un autre aspect de l’action de Paul VI relevé par les commentateurs. La Liberté et le Nouvelliste publient notamment une photo de la rencontre de avec le patriarche de Constantinople Athénagoras, en 1964 à Jérusalem. L’œcuménisme «permet à des membres des religions sœurs de ne plus regarder les catholiques comme des ennemis de tradition; pour autant l’Eglise – contrairement à ce qui se hurle – n’a pas perdu son caractère spécifique: elle est toujours Une, Sainte et peut-être un peu plus universelle», écrit Le Nouvelliste. Dans La Liberté, le chanoine Georges Bavaud livre une version plus subtile. «On a reproché à Paul VI d’avoir, face à l’œcuménisme une attitude contradictoire, de prêcher l’ouverture aux frères et de maintenir l’immobilisme doctrinal. […] Aussi Paul VI a-t-il vécu avec souffrance le paradoxe de sa mission.»

«C’était en 1968 et un vent de folie et de fausse liberté soufflait sur l’Europe»

Humanae vitae

La querelle autour de l’encyclique Humanae Vitae sur le mariage et la régulation des naissances de juillet 1968 retient évidemment l’attention de tous les commentateurs, mais elle n’occupe pas la première place et l’attitude du pape est regardée de manière plutôt positive. «Paul VI fut le pape de la vie. Il la défendit il y a dix ans dans une encyclique souvent mal reçue», note François Gross.  «Paul VI allait à contre-courant. Par sa condamnation des pratiques anti-conceptionnelles, il heurtait non seulement le monde tout court, mais aussi de larges secteurs du monde chrétien», relève Georges Huber. «Les riches des pays occidentaux n’ont pas pardonné à Paul VI d’avoir maintenu l’interdiction du contrôle artificiel des naissance et de l’avortement», écrit l’AFP.  «C’était en 1968 et un vent de folie et de fausse liberté soufflait sur l’Europe», commente Le Nouvelliste.

Paul VI et la Suisse

L’agence de presse internationale catholique KIPA évoque les liens entre Paul VI et la Suisse. Avant son pontificat, Montini a fait plusieurs séjours en Suisse, à Lugano, à Einsiedeln, à Sachseln, au Ranft ou à St-Gall. Comme pape, c’est bien sûr son voyage à Genève, en juin 1969, qui a marqué les esprits. Il y visite le Bureau international du travail (BIT) et le Conseil œcuménique des Eglises (COE). Mais la KIPA rappelle aussi les liens personnels avec l’abbé Henri Ferrero, prêtre du du diocèse de LGF qui avait étudié à Milan, avec le théologien Maurice Zundel dont il apprécie la spiritualité et surtout l’abbé Charles Journet qu’il fait cardinal en 1965. Enfin, il y a le lien de la Garde suisse. Paul VI lors de la réforme de la curie avait aboli toutes les gardes pontificales sauf la garde suisse.

La mitre est l’attribut de l’évêque | © Jacques Berset

L’évêché de Fribourg conserve d’ailleurs la mitre et la férule de Paul VI, dont le pape avait fait cadeau à Mgr Mamie, alors évêque auxiliaire, lors de sa visite à Genève. (cath.ch/mp)

Les journaux romands au lendemain de la mort de Paul VI | © Maurice Page
7 octobre 2018 | 17:35
par Maurice Page
Temps de lecture : env. 6  min.
Canonisation (215), Paul VI (49)
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