La villa Bonaparte est le siège de l'ambassade de France près le Saint-Siège | Wikimedia commons
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Il y a cent ans, la France et le Vatican reprenaient leurs relations

La France et le Vatican célèbrent en 2021 le centenaire de la reprise de leurs relations diplomatiques. Durant dix-sept ans, de 1904 à 1921, la France n’a pas eu d’ambassadeur près le Saint-Siège. Une rupture historique au regard de l’ancienneté et la richesse des liens tissés entre l’Eglise et sa «fille aînée».

Hugues Lefèvre, I.Média

L’historien Jean Vavasseur-Desperriers, auteur notamment d’une biographie de Charles Jonnart, premier ambassadeur à revenir à Rome en 1921 rappelle pour I.Média les grandes lignes de cette histoire.

Dans quel contexte se produit la rupture des relations entre la France et le Saint-Siège en 1904?
Jean Vavasseur-Desperriers: Il y a à l’époque trois contentieux majeurs entre la France et le Saint-Siège. Le premier remonte aux années 1880 durant lesquelles est voté un «premier train» de lois laïques portant sur l’enseignement. La IIIe République considère alors que l’enseignement public ne doit plus se référer à la religion.
Le deuxième contentieux concerne la situation des congrégations religieuses, et notamment celles qui ont un rôle dans l’enseignement. Elles sont dans le collimateur de l’État républicain qui les soupçonne d’être hostiles au régime. Le gouvernement, par la loi de 1901, fait en sorte de subordonner leur existence à des autorisations.
Par ailleurs, les fonctionnaires du ministère de l’Intérieur épluchent les dossiers des congrégations existantes et suppriment celles qui n’ont pas fait leur demande de reconstitution à la date prévue par la loi. On assiste alors aux fameuses expulsions des religieux. En 1904, avec le célèbre «petit Père Combes», plus aucun congréganiste n’a le droit d’enseigner. Cette même année, l’ambassadeur de France près le Saint-Siège est rappelé. Il n’y a plus de représentation diplomatique à Rome.

On est alors à la veille de la fameuse loi de 1905…
En effet, et cette date nous emmène au troisième contentieux qui porte sur le statut de l’Église en France. Jusque-là, le Concordat de 1801, établi par Bonaparte, était en vigueur. Il stipulait notamment que le gouvernement français nommait les évêques mais que l’investiture épiscopale était bien évidemment donnée par Rome. Avec la loi de 1905, la séparation est totale. L’État n’intervient plus dans les affaires de l’Église qui n’interfère pas non plus dans les affaires de l’État.
Par cette rupture, la République montre son hostilité à la religion catholique qui, de son côté, avait émis de grandes réserves à son sujet dès les années 1870-80. Malgré l’appel au «ralliement» à la République du pape Léon XIII, en 1893, les relations étaient restées extrêmement tendues.

Le Saint-Siège condamne alors explicitement la loi 1905
Le pape Pie X a publié trois encycliques pour condamner la loi: Vehementer nos et Gravissimo officii en 1906 et Une fois encore – une encyclique rédigée en français – en 1907. Les griefs sont nombreux. Pie X s’insurge d’abord du fait que la loi de 1905 a été élaborée de manière unilatérale. La République a décidé tout seule, sans aucune concertation.
Ensuite, l’Église n’accepte pas devoir désormais s’organiser en association pour exister aux yeux de l’État. À l’époque, le principe associatif suscite beaucoup d’inquiétudes du côté de la hiérarchie de l’Église. D’inspiration démocratique, il fait craindre aux évêques de devoir rendre des comptes devant un conseil, ce qui heurte la conception traditionnelle de la gouvernance dans l’Église.
La contestation de l’Église porte aussi sur l’inventaire des biens des églises prévu par la loi 1905. Au-delà des bancs, des chaises ou des prie-Dieu, les fidèles s’inquiètent de possibles sacrilèges avec l’ouverture de tabernacles et la manipulation de ciboires et de calices. Partout en France éclatent des incidents entre fidèles et forces de l’ordre. En 1906, il y a même mort d’homme dans la commune de Boeschèpe, dans le nord de la France.

Quelles conséquences l’absence de relations diplomatiques engendre-t-elle?
La rupture a posé des difficultés surtout durant la Première Guerre mondiale. Le fait de ne pas pouvoir s’entretenir officiellement avec le pape, ou, tout du moins, son secrétaire d’État ou des membres de la Curie romaine, a été vécu comme un handicap par certains républicains. La France aurait apprécié faire entendre sa voix au Vatican.
Au fil des mois, Benoît XV va être perçu comme le «pape boche»par les Français. Sa déclaration de 1917 dans laquelle il appelle les belligérants à cesser le «massacre inutile» et à revenir à un statu quo territorial – qui laisserait l’Alsace et la Lorraine aux Allemands – est très mal accueillie.

Après la Première Guerre mondiale le climat a changé et incite au rapprochement.
La guerre a occasionné d’importants changements à divers niveaux. D’abord, on observe un retour des catholiques dans la vie politique alors qu’ils en avaient été largement exclus. En 1919, les candidats catholiques obtiennent un certain succès aux élections législatives. Sur 600 députés élus à la Chambre, 180 se réclament du catholicisme et sont favorables à une application modérée des lois laïques.
Cette nouvelle donne s’explique par la participation massive de l’Église et des catholiques durant la Grande guerre, dans le cadre de l’Union sacrée face à l’ennemi. Passé l’armistice, une majorité républicaine estime qu’il est temps de se prononcer pour une application plus conciliante des lois laïques; le rétablissement des relations avec le Saint-Siège s’insère dans cette logique.

C’est à ce moment-là que Charles Jonnart va être missionné pour rouvrir une ambassade près le Saint-Siège.
Jonnart est un parlementaire originaire du Pas-de-Calais. Il sera un élu de la République durant près de 40 ans. Fils de notaire, il s’est engagé très jeune dans la politique. Au fur et à mesure, son républicanisme se révèle de plus en plus modéré. Dans les années 1890 par exemple, il se prononce pour le courant de «l’esprit nouveau» qui plaide pour un apaisement dans le conflit entre l’État et l’Église après la laïcisation de l’enseignement. Au moment du vote des lois laïques, notamment celle de 1905, il s’abstient.
Baptisé, il a reçu une formation chrétienne, mais ne pratique pas. Il entretient toutefois de bonnes relations avec l’Église locale et les fidèles de sa circonscription. Les républicains n’ont pas de doute sur son républicanisme et les catholiques le perçoivent comme un modéré.

Comment le rétablissement des relations va-t-il s’opérer?
Quand Aristide Briand, alors Président du Conseil, mandate Charles Jonnart, il doit faire face à deux difficultés majeures. D’abord, finir de convaincre le Parlement de la nécessité d’avoir une ambassade près le Saint-Siège. Ensuite, s’accorder avec Rome sur un statut de l’Église en France sans toutefois toucher à la loi de 1905.
Concernant le Parlement, Briand va d’abord mettre en avant l’influence et le rôle international de Rome en matière diplomatique. Puis il va user d’autres arguments qui paraissent aujourd’hui plus originaux. La France, par des capitulations très anciennes, était la protectrice des chrétiens d’Orient. Les républicains restaient attachés à cette fonction historique qui commençait à être contestée par les Britanniques. Sur ce sujet, des relations avec le Vatican pouvaient s’avérer bénéfiques.
Dans le même sens, la France comptait beaucoup de congrégations missionnaires qui répandaient la langue française. La République trouvait dans le développement des missions bon nombre d’intérêts. Là encore, entretenir des liens avec Rome n’était pas inopportun.
Enfin, Briand propose de nommer Charles Jonnart ambassadeur «extraordinaire», signifiant ainsi qu’il s’agit là d’un essai. Habile, il pense alors, à juste titre, que les choses s’institutionnaliseraient et qu’il serait difficile de revenir dessus.
De son côté, le Vatican envoie un nonce apostolique à Paris en la personne de Mgr Bonaventura Cerretti.

Comment l’Église peut-elle accepter que la loi 1905 ne soit pas modifiée?
Les lois sur la laïcité étaient surnommées par les républicains les «lois intangibles». Dès lors, un problème épineux se posait pour le Vatican. Pour Benoît XV, il paraissait difficile de désavouer formellement Pie X qui s’était vigoureusement opposé à ces lois par trois encycliques. Il ne fallait pas non plus froisser les évêques de France qui avaient leur mot à dire. Il a donc fallu opérer une gymnastique pour arriver à un compromis.
Afin de parvenir à un tel résultat, il a été décidé de travailler à un statut d’association en prenant le diocèse de Nice comme cas d’école. Il devait servir de modèle aux autres diocèses. Mgr Henri Chapon, évêque de Nice, se plonge alors dans la rédaction en se conformant au maximum à l’esprit de la loi de 1905 mais sans jamais s’y référer explicitement. La version de l’évêque fait un nombre très important d’allers-retours entre la France et Rome.
L’une des pierres d’achoppement était la définition des pouvoirs de l’évêque dans l’association. Dans la version finale de 1923, ceux-ci sont garantis. Par exemple, l’association doit bien comporter un conseil mais celui-ci est formé par l’évêque. Ses membres l’assistent mais selon les règles du droit canon.
Après beaucoup d’hésitations, le pape Pie XI, arrivé sur le trône de Pierre en 1922, décide de promulguer en 1924 l’encyclique Maximam Gravissimamque. Il y recommande vivement aux catholiques français de former des associations diocésaines sur le modèle de Nice.

Le dégel est-il alors total?
Ce rapprochement est aussi émaillé d’incidents. Par exemple, une lettre du pape Pie XI de 1923 provoque un tollé en France. Elle porte notamment sur les réparations exigées par la France aux Allemands dans le Traité de Versailles. Pie XI estime qu’elles sont impossibles à honorer et que par conséquent elles sont injustes. Dans une première version, le pape demande que les Français réclament des garanties «moins odieuses».
Charles Jonnart tente d’atténuer la vigueur de la lettre. Sans véritable succès. Il obtient seulement qu’aux termes «moins odieuses» le pontife utilise l’expression «moins pénibles». Une maigre consolation… (cath.ch/imedia/hl/mp)

La villa Bonaparte est le siège de l'ambassade de France près le Saint-Siège | Wikimedia commons
27 janvier 2021 | 17:00
par I.MEDIA
Temps de lecture : env. 7  min.
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