Colloque sur les franciscains promoteurs du dialogue interreligieux
Fribourg: François d’Assise à la rencontre du sultan d’Egypte, «une intuition prophétique»
Fribourg, 4 mai 2012 (Apic) La rencontre à Damiette en 1219, entre le sultan d’Egypte Malik al-Kâmil et François d’Assise, dans une démarche de réconciliation et de paix, était «révolutionnaire» pour l’époque. Les musulmans étaient alors «diabolisés» et sur la terre égyptienne les armées chrétiennes et musulmanes s’affrontaient déjà depuis plus d’un an. Les papes mettront 7 siècles à reconnaître le geste prophétique du «Poverello» d’Assise, a-t-il été souligné vendredi 4 mai à l’Université de Fribourg.
Alors que depuis Rome le pape Innocent III poussait à l’action militaire contre les Sarrasins qui occupaient Jérusalem, la «dissidence loyale» de François d’Assise au 13e siècle était un signe modeste qui n’a été reconnu que 700 ans plus tard, a déclaré le Père Laurent Gallant, de Montréal, vendredi 4 mai à Fribourg.
François d’Assise, «objecteur de conscience»
Le religieux franciscain a en effet parlé, lors du colloque interdisciplinaire sur «Les impulsions franciscaines au dialogue interreligieux», d’une sorte d’objection de conscience avant la lettre pratiquée par François d’Assise.
«Il ne fut pas compris pendant des siècles, et ce n’est que tout récemment que cette démarche reçut, enfin, la reconnaissance officielle des successeurs des papes du 13e siècle». En effet, les deux premiers papes du siècle de François d’Assise avaient appelé à la «guerre sainte» contre les Sarrasins, «qu’ils avaient d’abord commodément ’diabolisés’. Les deux papes du 21e siècle ont reconnu en François un exemple convainquant de rencontre avec les autres religions, et en particulier avec l’islam», a souligné le professeur canadien.
«Une intuition prophétique et un moment de grâce»
Jean Paul II à Assise même, en présence des représentants des grandes religions du monde réunis à la basilique de saint François, en 1986, puis à Rome en 1999 et 2002, a souligné l’importance de ce signe. Le pape actuel le fera également, alors que quand il était encore le cardinal Ratzinger, il avait été tout d’abord très critique vis-à-vis de la rencontre d’Assise, relève le professeur Gallant. Devenu Benoît XVI, il admit, lors d’une visite à Assise en 2007, que la rencontre de 1986 avait été une «intuition prophétique et un moment de grâce». Ainsi, affirme le franciscain canadien, la «dissidence loyale de François fut un geste prophétique qui aujourd’hui porte des fruits prometteurs non seulement pour les chrétiens, mais pour tous les enfants de Dieu».
Comprendre le sens du geste de François rencontrant le sultan d’Egypte a mis bien du temps. Certes, a admis le Père Gallant, en ce début de 21e siècle, la plupart de nos concitoyens vivant dans une société démocratique prônant la séparation de la religion et de l’Etat trouveraient tout à fait normal que quelqu’un comme François d’Assise ait choisi la dissidence par rapport à une opération armée contre des musulmans.
Hors de l’Eglise catholique romaine, point de salut
Mais il en allait tout autrement dans la «chrétienté» du 13e siècle, «dans un régime théocratique qui épousait la structure hiérarchique de la féodalité, où toute autorité descendait du sommet vers la base… Cette chrétienté se percevait et agissait comme si elle était l’incarnation du Royaume de Dieu sur terre», poursuit le religieux franciscain.
A l’époque, on se trouvait face à une «géographie du salut», où les frontières dessinaient les contours de la societas christiana, identifiée à l’Eglise catholique romaine. A l’extérieur de ces frontières, c’étaient les terres de damnation, le royaume de Satan. Le 4e Concile du Latran en 1215 ne déclarait-il pas qu’il n’y a qu’une seule Eglise universelle des fidèles, «hors de laquelle absolument personne n’est sauvé» ?
En Terre Sainte occupée par les Sarrasins existaient des communautés catholiques «romaines», ce qui justifiait l’engagement du pape Innocent III à lancer la 5e croisade, car «le Roi Jésus a été expulsé de sa terre». Il fallait le rejoindre dans sa bataille pour reprendre possession de son royaume. «L’amour du prochain oblige les chrétiens à libérer les milliers de frères et de sœurs qui, livrés à la merci des ’perfides Sarrasins’, sont écrasés et peinent sous le joug du plus sévère des esclavages», proclamait alors l’Eglise romaine.
Soutien du Concile au projet militaire du pape
Le Concile conféra alors au projet militaire du pape la sanction solennelle d’environ 400 évêques et 800 abbés, ce qui ne facilita pas le choix de la première fraternité fondée par François d’Assise, qui prêchait la paix et appelait à la conversion évangélique. A mesure que les manifestations communautaires prescrites par le pape en faveur de la croisade étaient mises en application, François et ses frères étaient confrontés à un dilemme: appuyer le projet du pape, qui allait contre leur conscience, ou s’en abstenir.
Entrer dans ce mouvement d’appui au projet militaire contre les Sarrasins, ne serait-ce pas abandonner le cœur même du projet de «vie selon le saint Evangile» que promouvaient les premiers franciscains, qui avaient par ailleurs promis obéissance au pape ? «Ce que nous connaissons des activités de Francois, assure le Père Gallant, suggère que lui et ses frères adoptèrent une position proche de ce qu’aujourd’hui on qualifierait d’’objecteurs de conscience’: pas de critique à l’endroit du projet du pape, mais aussi pas d’implication dans sa promotion».
Le colloque des 4 et 5 mai 2012 est organisé par les professeurs Adrian Holderegger, membre de l’Ordre des capucins, Mariano Delgado, actuel doyen de la Faculté de théologie de Fribourg et directeur de l’Institut pour l’étude des religions et le dialogue interreligieux (IRD), et Anton Rotzetter, religieux du couvent des capucins de Fribourg. Il se tient à l’occasion du départ à la retraite (éméritat) du professeur Adrian Holderegger, professeur de Théologie morale fondamentale à la Faculté de théologie de l’Université de Fribourg. (apic/be)