Fribourg: L'économie de communion est née il y a deux décennies au Brésil
Colloque sur l’intuition de Chiara Lubich, fondatrice des Focolari
Fribourg, 15 mai 2013 (Apic) «L’économie de communion», une pratique de l’économie qui s’éloigne des poncifs du pur capitalisme ou du communisme, était au centre du colloque organisé le 15 mai 2013 par la Faculté de théologie de l’Université de Fribourg. La cinquantaine de participants a pu débattre de ce thème proposé par le Département de théologie morale et d’éthique, sous l’égide du professeur Thierry Collaud et de son assistante Véronique Gay-Crosier Lemaire.
Née en 1991 au Brésil de l’intuition de Chiara Lubich, «l’économie de communion» (EdC) propose une alternative aux modèles économiques dominants au plan mondial. Le Mur de Berlin vient de tomber, et avec lui les utopies marxistes. Le pape Jean Paul II vient en outre de publier son encyclique sociale «Centesimus Annus».
Former des «hommes nouveaux» à la culture du don
La fondatrice du mouvement des Focolari lance alors un appel aux «focolarini» brésiliens et à leurs sympathisants, qui sont plus de 100’000 dans le pays. Le mouvement est en plein essor, et en conformité avec l’esprit d’unité qui les caractérise, il y a entre les membres les plus proches une répartition des biens, mais cette communion n’est pas suffisante pour subvenir aux besoins des plus démunis.
«Les Focolari, en tant que mouvement ecclésial, n’avaient jusque là jamais vraiment affronté le problème de l’injustice sociale. Ils ont même été pour cela l’objet de critiques de la part des théologiens de la libération», a rappelé Michel Vandeleene, proche collaborateur de Chiara Lubich. Elle-même était sensible à ce problème de pauvreté lancinant, alors que le cardinal Arns, archevêque de Sao Paulo, parlait de «couronne d’épines» en allusion à la ceinture de bidonvilles enserrant la métropole du sud-est du Brésil.
Chiara Lubich invite les membres et sympathisants de son mouvement à créer des entreprises nouvelles ayant pour but de produire des bénéfices destinés au partage avec les plus démunis, à la formation d’»hommes nouveaux» à la culture du don, et à la pérennité et au développement de ces entreprises. Le mouvement essaimera ensuite sur tous les continents.
Ni capitalisme ni communisme, mais «économie du don»
Ni capitalisme ni communisme, mais «économie du don», «communion dans la liberté», tels sont les mot d’ordre de Chiara Lubich, qui propose une troisième voix originale qui présente certaines analogies avec les entreprises du secteur de l’économie sociale et solidaire. «Mais cette économie du don, qui s’inspire de la pensée sociale de l’Eglise, a une valeur ajoutée, qui la rend très féconde», a souligné Paul H. Dembinski, professeur de sciences économiques et sociales de l’Université de Fribourg, directeur de l’Observatoire de la finance à Genève.
Aujourd’hui, quelque 860 entreprises, la majorité en Europe, vivent chacune à leur manière cette «économie de communion» qui occupe quelque 30’000 employés dans le monde. A la tête de «Chèvrement Bon», une petite entreprise de trois employés et d’une apprentie à Grimisuat, en Valais, Jean-Michel et Patricia Besson transforment durant l’année quelque 70’000 litres de lait de chèvre dans leur fromagerie.
Leur entreprise est reliée au projet de l’Economie de Communion (EdC) et partage ses bénéfices en trois parties: pour les investissements dans l’entreprise elle-même, pour l’aide directe aux pauvres, la troisième servant à la diffusion d’une culture du don «sachant que l’homme trouve sa réalisation dans le partage et non dans la possession».
L’agronome explique que le projet de Chiara Lubich n’est pas né dans le cerveau d’un économiste, mais de son observation de la vie des couvents de bénédictins, qu’elle a découverte à Einsiedeln, en Suisse centrale.
Une critique de la solution capitaliste du développement
«C’est une critique de la solution capitaliste du développement de la société et la proposition d’une autre voie. Quand elle a fait cette proposition au Brésil, l’enthousiasme a été fantastique: la réponse de la communauté a été immédiate. Des personnes ont voulu mettre leurs talents à disposition, d’autres des biens, des bijoux, de petites économies, d’autres encore ont vendu un terrain. Cette vie de la communauté brésilienne nous rapproche fortement des textes des Actes des Apôtres: la multitude n’avait qu’un cœur et qu’une âme… ils mettaient tout en commun!»
Décrivant les secteurs d’activité des entreprises du réseau EdC, Jean-Michel Besson les classe ainsi: 55% dans les services, 26% dans la production et 19% dans le commerce. 500 de ces entreprises sont en Europe, 250 en Amérique latine, 43 en Afrique, 42 en Amérique du Nord, et 25 en Asie. Après la forte progression des 6 premières années, le projet a vécu une période stable, fluctuant de 1997 à 2010 entre 750 et 800. En 22 ans, 1’800 entreprises ont été associées à ce projet. Le professeur Luca Crivelli, de l’Institut d’économie politique de l’Université de la Suisse italienne, a relevé que le «taux de mortalité» de ces entreprises n’était pas plus élevé que les autres. Leur rentabilité n’est pas plus mauvaise que celles qui sont cotés en bourse, «car l’homme ne travaille pas que pour l’argent!»
L’EdC n’est plus aujourd’hui regardée comme une utopie
Durant ces 22 ans, l’aide fournie par ces entreprises de l’EdC (qui sont majoritairement des petites entreprises), a évolué progressivement d’une aide directe aux personnes en situation de pauvreté, pour des besoins de première nécessité, à une aide à la formation et à la création de postes de travail à travers de petites entreprises. Des initiatives de microcrédit se sont développées, à l’exemple de la banque rurale philippine Bangko Kabayan, qui compte plus de dix mille clients, dont 85% sont des femmes d’origine pauvre.
Pour Jean-Michel Besson, l’EdC n’est plus aujourd’hui regardée comme une utopie, mais est reconnue comme un projet sérieux, dont il s’agit de tenir compte dans le débat en cours sur la recherche d’un modèle économique plus ouvert aux exigences éthiques, «en vue d’une vie sociale plus digne pour tous». JB
Encadré
Exemple d’»économie de communion», la maison TERGON produit des chaises de haute qualité pour des personnes travaillant devant l’ordinateur. Elle a son siège à Montet, dans la Broye fribourgeoise. L’entreprise développe des produits qui répondent à des critères ergonomiques très élevés, les «Swiss Ergochairs». Ces chaises sont vendues directement à l’utilisateur, en Suisse et en Allemagne. L’Allemand Georg Endler, responsable de ce secteur, rappelle que le profit de son entreprise ne sert pas à enrichir les actionnaires et les associés, mais vise à pérenniser l’entreprise, tout en réservant une part pour soutenir des projets sociaux, comme en ce moment en Syrie, et des projets de formation de jeunes dans des écoles ou à l’Institut universitaire «Sophia», au Centre international de Formation des Focolari à Loppiano, près de Florence. TERGON travaille sur un marché très concurrentiel, «ce qui n’est pas facile étant donné la cherté du franc suisse face à l’euro». (apic/be)