«Le ciel attendra» pose la question du sens de la vie et de la mort
Sorti en automne 2016, le film français «Le ciel attendra» raconte l’histoire de deux jeunes filles embrigadées par la propagande islamique et le désarroi de leurs familles face à cette évolution incompréhensible. Basé sur un travail d’enquête approfondi, le récit sonne juste. De passage à Zurich pour la promotion du film, la comédienne Noémie Merlant, une des deux actrices principales, a expliqué à kath.ch le sens de sa démarche.
Le tournage du film «Le ciel attendra» a commencé trois jours après l’attentat de novembre 2015 au Bataclan, à Paris.
Noémie Merlant: Nous étions tous sous le choc. La réalisatrice Marie-Castille Mention Schaar ne savait plus si ce film était encore légitime. Si elle allait avoir la force de le faire. Mais nous étions tous très soudés et nous nous sommes dit que cela constituait une raison de plus de combattre. Et ce combat passe par le cinéma et la culture.
Quel a été le défi pour vous de jouer le rôle de Sonia, une des deux filles embrigadées par les islamistes?
Quand j’ai pris connaissance du rôle et du scénario, je me suis dit qu’il fallait faire ce film parce qu’il permet de comprendre un peu mieux quelque chose de complexe. Une actualité dont on parle beaucoup dans les médias, mais qui n’est pas facile à comprendre. En suivant ces filles, ces familles, on remet au cœur la recherche du sens, le dialogue. On se pose des questions sur la société, la jeunesse. Comme le film permettait des improvisations, j’ai beaucoup travaillé en amont, en recontrant des personnes et des familles qui ont vécu ces situations. J’ai également énormément parlé avec une femme engagée dans le processus de ‘désembrigadement’. Je me suis dit que cela aurait pu m’arriver à moi, si j’avais été plus jeune et moins avertie.
Comment voyez-vous la dimension religieuse ou spirituelle dans les motivations de ces jeunes?
Face à la société de consommation actuelle, les adolescents ont besoin de s’affirmer dans une quête d’absolu, d’amour pur, de spiritualité, de sens. Les profils des jeunes attirés par le djihad peuvent être très différents. La moitié des filles sont de culture musulmane, mais viennent justement de familles qui ne leur ont pas transmis leurs pratiques et leurs croyances. Les autres viennent de familles agnostiques ou athées, aussi parfois de culture catholique ou juive.
Vous avez rencontré des jeunes femmes radicalisées. Quelle image ont-elles d’elles-mêmes?
Il y a clairement un manque de réponse par rapport au sens de la vie et de la mort. Le monde est tellement rapide, dans un zapping permanent, dans une course aux marques, aux ‘clics’, aux ‘like’. L’une d’entre elles me disait: «je vais à l’école, mais je ne sais plus pourquoi quand je vois toutes ces injustices dans le monde.» Elles cherchent la liberté et l’égalité qu’elles n’ont pas trouvées parce qu’il y a toujours une pression sur la femme qui doit en même temps travailler et s’occuper des enfants et de la famille. A ce jeu-là, des filles disent que trop de liberté leur fait peur. Elles préfèrent être cadrées. A l’origine cela part vraiment des angoisses. A cela s’ajoutent les scandales humanitaires, politiques, médicaux, alimentaires…
Comment ces jeunes filles, vivant dans une société occidentale moderne, peuvent-elles être la proie des propagandistes?
Les vidéos de propagande de Daech pointent des questions qui sont vraies. Par leurs vidéos très bien faites diffusées sur les réseaux sociaux, les djihadistes augmentent les angoisses des jeunes qui souvent n’en parlent pas à leurs parents. Petit à petit, à force de théorie du complot, ils leur retournent le cerveau en apportant des réponses fausses, mais qui les rassurent. C’est là que l’embrigadement commence. Le groupe aspire l’individu. Les jeunes peuvent recevoir des centaines de messages par jour de gens leur disant ce qu’ils doivent faire. Le cœur et la tête sont sectionnés.
«Les filles qui se font embarquer, pour la plupart, ne connaissent rien à l’islam»
J’ai une soeur évangélique qui finalement est assez proche du personnage de Sonia dans le sens où elle est persuadée d’avoir le mal en elle. Et qui prie Dieu de la libérer. C’est une vraie frayeur comme une possession. Pour préparer ce rôle, j’ai tiré de cette expérience de ne plus savoir où on est, de ne plus savoir qui croire.
Le film entend montrer la différence entre une décision de conscience et un lavage de cerveau.
Les filles qui se font embarquer, pour la plupart, ne connaissent rien à l’islam. Beaucoup apprennent seulement les prières, sans même savoir ce qu’elles veulent dire. Une autre part des filles tombe amoureuse, car elles cherchent un amour pur. Le mec qui sait leur parler passe pour le prince charmant qui les fait rêver. D’autres encore ont une recherche spirituelle, de quelque chose de pur, à l’opposé de notre société moderne.
Certaines arrivent à partir pour djihad, mais elles se rendent compte très vite que Dieu n’est pas là-bas. Ni même la religion d’ailleurs. Le film montre bien que ce que prône Daech n’a rien à voir avec l’islam. L’islam est uniquement utilisé comme outil, comme moyen de pouvoir. Le vrai sens du djihad est de lutter contre ses ennemis intérieurs pour devenir quelqu’un de meilleur. Ce qui est d’ailleurs l’essence de toutes les religions.
Pour le rôle de Sonia, vous avez aussi dû apprendre les rites et les prières des musulmans.
Je ne connaissais pas l’islam et je me suis renseignée. J’ai appris cela pour le rôle mais aussi pour moi. J’ai rencontré des imams, regardé des documentaires. Après ce rôle, j’ai changé mon regard sur l’islam que je ne connaissais qu’au travers des médias. J’ai vu que l’essence est la même autour des valeurs de paix de tolérance.
«A chaque fois les jeunes me demandent si je suis croyante»
On dit qu’il ne faut pas faire d’amalgame entre islam et islamisme, certes. Mais il serait bon d’expliquer pourquoi. Dire seulement «stop au djihadisme !» porte à confusion. Quand on emprunte à une religion un terme spécifique pour en faire quelque chose d’horrible confondu avec le terrorisme, cela blesse les pratiquants de cette religion.
Le film pose aussi la question de la place de la femme dans l’islam.
Ce que j’ai appris de l’image de la femme dans le Coran, c’est qu’elle doit avoir accès à l’éducation et à la culture autant que l’homme. Pour moi c’est une belle image de la femme de ce qu’elle est, de ce qu’elle doit devenir, à l’opposé de certaines interprétations que l’on s’approprie parce qu’elles nous arrangent. J’ai vu cette égalité, cette liberté, cette bienveillance par rapport à la femme.
Pour la promotion du film, vous avez fait de nombreuses présentations en France auprès de collégiens et de lycéens. Que vous disent-ils?
A chaque fois les jeunes me demandent si je suis croyante. Ils ont besoin d’entendre que je le suis. Sinon cela les angoisse. Je trouve cela très frappant. Le film a reçu de très bonnes critiques. Au départ, les gens ont un peu peur d’aller le voir, car le phénomène qu’il raconte les dépasse et les effraye. Mais ceux qui viennent restent. Ils ont envie de parler et posent beaucoup de questions. Comme s’ils avaient besoin de mieux comprendre l’islam, pour les musulmans aussi d’ailleurs.
«Le ciel attendra»
Sonia, 17 ans, vit au sein d’une famille sans histoire, entre sa petite soeur et ses parents qui ont le sentiment de tout faire pour le bonheur de leurs enfants. Une nuit, la police débarque chez eux. C’est lors de cette arrestation qu’ils apprennent sans parvenir à y croire vraiment que leur fille s’apprête à commettre un attentat. S’engage alors le long et douloureux combat de toute la famille contre le désenvoûtement.
Mélanie a sensiblement le même âge. Elle va au lycée, est bonne élève, elle joue du violoncelle et est engagée dans une association humanitaire. Elle vit seule avec sa mère. Elles s’entendent bien jusqu’au jour où Mélanie se ferme sans que sa mère n’en comprenne les raisons. Sur Facebook, elle accepte alors l’invitation d’un garçon qu’elle ne connaît pas mais qui sait trouver les mots dont elle a justement besoin. Le piège se referme. En parallèle, on suit le parcours de Sylvie, sa mère, partagée entre colère et désespoir de n’avoir à aucun moment soupçonné les prémices de la tragédie qui s’abat sur elle.
Porté par le jeu des jeunes actrices Noémie Merlant et Naomi Amarger, accompagnées de Sandrine Bonnaire et Clotilde Courau (les mères), le film restitue avec une forte sincérité la tragédie de ces familles. (cath.ch/kath.ch/mp)