Chypre: La communion des Eglises orthodoxes continue à se déchirer
La communion des Eglises orthodoxes dans le monde continue à se déchirer suite à la création en décembre 2018 de l’Eglise orthodoxe autocéphale d’Ukraine (EOd’U). Cette Eglise non canonique, qualifiée de «schismatique» par le Patriarcat de Moscou, vient d’être reconnue par l’Eglise de Chypre.
Quatrième Eglise orthodoxe à reconnaître l’autocéphalie de l’EOd’U, après le Patriarcat de Constantinople, l’Eglise de Grèce et le Patriarcat d’Alexandrie, l’Eglise grecque-orthodoxe de Chypre a ainsi rompu la communion eucharistique avec l’Eglise orthodoxe russe.
Le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures (DREE) du Patriarcat de Moscou, a réagi sévèrement au communiqué publié le 25 novembre 2020 à l’issue de la séance du Saint-Synode de l’Eglise orthodoxe de Chypre. Le thème central en était la décision de l’archevêque Chrysostome de Chypre de commémorer Epiphane Doumenko en tant que primat de l’EOd’U, dont Moscou qualifie les dirigeants «d’imposteurs n’ayant pas reçu de consécration légitime».
Bartholomée suscite l’ire de Moscou
Visant le patriarche œcuménique Bartholomée de Constantinople, qui a octroyé l’autocéphalie à l’Eglise ukrainienne non canonique au détriment de l’Eglise orthodoxe ukrainienne canonique (l’EOU rattachée au Patriarcat de Moscou), Hilarion affirme qu’il ne sera possible de surmonter la crise profonde qui frappe le monde orthodoxe qu’en revenant à l’organisation canonique et à la conciliarité orthodoxe.
Cette conciliarité «n’admet pas la primauté d’autorité d’un primat quelconque sur l’Eglise universelle, dont le chef était et restera notre Seigneur Jésus-Christ», martèle le numéro deux du Patriarcat de Moscou.
«Groupe schismatique ukrainien»
Hilarion déplore l’aggravation du schisme dans l’orthodoxie «dont s’est rendu coupable le patriarche Bartholomée de Constantinople». Le chef du DREE dénonce «les actes anticanoniques en Ukraine» du patriarche œcuménique qui ont désormais pour conséquence la perte de l’unité à l’intérieur des Eglises orthodoxes locales.
«Sous la pression du patriarche de Constantinople, l’archevêque de Chypre Chrysostome a accepté de commémorer le leader du groupe schismatique ukrainien. Une partie de l’épiscopat de l’Eglise orthodoxe de Chypre (…) a suivi le primat dans sa décision, tandis qu’une autre partie y est catégoriquement opposée, s’appuyant sur les saints canons et invoquant la conscience épiscopale».
L’Eglise chypriote très divisée
Selon le métropolite Nicéphore de Kykkos (Chypre), «des divergences se sont fait jour» lors du Synode, et le résultat du vote sur la question ukrainienne a été de neuf à six, avec une abstention. Dans une déclaration commune publiée à Nicosie, les métropolites Nicéphore de Kykkos, Athanase de Limassol, Isaïe de Tamassos et Nicolas d’Amathonte ont appelé Chrysostome II à revenir «immédiatement» sur sa décision qu’ils jugent «anticanonique» et «invalide».
Les quatre hiérarques chypriotes dénoncent avec véhémence «l’acte du patriarche œcuménique Bartholomée d’octroyer ‘l’autocéphalie’ à des structures schismatiques de l’Eglise d’Ukraine», ce qui «constitue un agissement arbitraire, anti-canonique et anti-ecclésial, en ce sens que l’Eglise orthodoxe ukrainienne appartient à la juridiction du Patriarcat de Moscou (…) Réagissant à cela, l’Eglise de Russie, de façon justifiée, a cessé la communion ecclésiale avec le Patriarcat œcuménique, et les Eglises de Grèce et d’Alexandrie».
Revirement de Chrysostome II
La position de l’archevêque de Chypre n’a pas toujours été la même. Dans une lettre datant de 2018, pour le 1030e anniversaire du baptême de la Russie, Chrysostome II avait pourtant clairement exprimé son soutien au Patriarcat de Moscou: «L’Eglise chypriote (…) soutiendra de toutes ses forces la position de l’Eglise orthodoxe russe (…). C’est là [en Ukraine] que sont vos racines spirituelles, et on ne saurait vous en arracher». Il s’était ensuite proposé d’être un médiateur dans cette question ukrainienne. Les primats des Eglises d’Alexandrie, d’Antioche et de Jérusalem avaient même déclaré en avril 2019 souscrire à cette initiative.
«Provoquer un conflit entre le monde grec et le monde slave»
Puis, en novembre 2019, Chrysostome II avait désapprouvé le comportement du Patriarcat de Moscou après la reconnaissance par le Patriarcat d’Athènes de la nouvelle Eglise d’Ukraine. «Je considère, avait-il dit, inacceptable la position du patriarche de Moscou. On ne cesse pas la commémoration d’un autre primat parce qu’on est en désaccord avec sa position. Ce n’est que lorsqu’il devient hérétique que l’on cesse la communion avec lui. Et ce que je sais, c’est que ni le patriarche œcuménique, ni l’archevêque d’Athènes, ne sont hérétiques».
En octobre 2020, Hilarion de Volokolamsk commentait déjà l’évolution de la position de Chrysostome II, évoquant pour expliquer son revirement les «pressions exercées sur lui par le patriarche de Constantinople» ainsi que les pressions de la part des Etats-Unis «qui ont intérêt à affaiblir l’Eglise russe et à provoquer un conflit entre le monde grec et le monde slave».
Toutefois, le métropolite Hilarion ajoute que le Patriarcat de Moscou restera en communion «avec les hiérarques qui ne reconnaîtront pas l’opinion personnelle de l’archevêque de Chypre» et «nos pèlerins continueront à se rendre aux sanctuaires des métropoles de l’Eglise chypriote dont les chefs resteront en communion avec l’Eglise russe».
Les primats mentionnés dans les «diptyques»
Rappelons que les Eglises orthodoxes canoniques autocéphales, indépendantes sur le plan juridique et administratif, sont unies les unes aux autres par la confession d’une foi commune et une reconnaissance réciproque. Cette unité dans la foi se manifeste lorsque le primat d’une Eglise autocéphale, célébrant la Divine Liturgie – la messe chez les orthodoxes -, mentionne, dans ce qu’on appelle les «diptyques», les noms des primats des autres Eglises autocéphales. L’inverse signifie une rupture ou une non-reconnaissance. Ainsi lorsqu’à la fin octobre, Chrysostome II a commémoré dans les diptyques pour la première fois Epiphane comme «Primat de l’Eglise d’Ukraine», il a de fait reconnu la nouvelle Eglise, autrement dit, il est entré en communion spirituelle avec cette Eglise considérée comme schismatique. (cath.ch/mospat/romfea/orthodoxie.com/be)