Chine et christianisme, une rencontre pas si «hostile»
Pendant des siècles, le christianisme a vécu en Chine sans s’imposer comme un «produit importé». Tel est le message délivré par la rencontre universitaire «forum Jingjiao 2024», qui s’est déroulée à Xi’an, au nord-ouest de la Chine, début juillet 2024.
Dans les collines autour de la ville de Xi’an, se dresse la pagode Daqin. En chinois, ce nom signifie «tour romaine». Il s’agit en fait de la plus ancienne église chrétienne de Chine, construite au 7e siècle, et transformée plus tard en lieu de culte bouddhiste. Avec la fameuse «stèle de Xi’an», ce monument constitue l’un des principaux vestiges témoignant de la présence chrétienne au nord-ouest de la Chine.
Si la présence de communautés chrétiennes d’Orient sur le territoire chinois est attestée depuis bien longtemps, leur réelle implantation et relation avec la population locale fait encore l’objet de recherches. Pour faire le point sur la question, l’Institut d’études de la route de la soie de l’Université de Chine du Nord-Ouest a organisé du 5 au 7 juillet 2024 une rencontre du «forum Jingjiao 2024», intitulée «Nouvelles orientations, nouveaux matériaux et nouvelles découvertes». Elle a réuni plus de 20 intervenants d’institutions de Chine continentale, de Macao et d’Italie, rapporte l’agence vaticane Fides. Des prêtres de plusieurs diocèses chinois ont également participé à la conférence.
Pas de projet de «conversion»
Les chercheurs et des universitaires ont mis en lumière les débuts de l’histoire chrétienne sur le sol chinois, des récits souvent oubliés, supprimés ou ignorés dans les académies occidentales. Des recherches qui permettent de reconstituer les rythmes et les pratiques de la vie quotidienne de ces communautés chrétiennes rassemblées autour des monastères. Des découvertes ont notamment démontré que la présence de l’ancienne Église d’Orient en Chine a duré des centaines d’années.
D’autres contributions ont apporté des données et des éclairages précieux sur la rencontre fructueuse entre ce christianisme et la Chine sous les dynasties Tang (618-907) et Yuan (1272-1368).
«Les cercles académiques occidentaux ont même mis en doute l’existence de la stèle de Xi’an»
Les moines de l’Église d’Orient sont arrivés de Perse le long de la route de la soie. Ils étaient peu nombreux, n’avaient pas d’agenda politique ni de projet de conversion de l’empire chinois, a relevé le professeur Roberto Catalano, de l’Institut universitaire Sophia de Loppiano (Italie).
Au début, ils ont pratiqué un style de proclamation «itinérant», semblable à celui des premiers apôtres, présentant le christianisme non pas comme une «religion à imposer» mais comme une «humble proposition», un don à offrir dans un contexte pluriel et interreligieux. Leur présence ne se posait pas comme une force «antagoniste» par rapport à l’ordre social et politique: ils demandaient et attendaient le consentement de l’empereur, dont le portrait était affiché dans les églises pour montrer à tous qu’ils avaient reçu l’autorisation impériale.
Intégration entre foi chrétienne et pensée taoïste
Dès leur arrivée en Chine, dans leur travail d’explication de la foi en Christ aux autres peuples, les moines ont assimilé des termes tirés du bouddhisme, du taoïsme et des sources chinoises classiques. De cette façon , a fait remarquer le Père Andrea Toniolo, doyen de la faculté de théologie du Triveneto, ils ont tenté «une synthèse théologique en chinois avec une langue culturellement différente de celle d’origine sémitique ou gréco-romaine». Par ce biais, a confirmé le professeur Liu Guopeng, chercheur à l’Académie chinoise des sciences sociales, une certaine intégration entre la foi chrétienne et la pensée taoïste a été réalisée sur le terrain.
Le mythe d’une «Chine fermée»
Un groupe de chercheurs et d’universitaires chinois a ainsi valorisé l’aventure missionnaire dite «Jingjiao» en tant que porteuse d’une annonce de salut non perçue comme l’expression d’une «religion étrangère». Ils ont souligné que la lecture faite du «Jingjiao» hors de Chine était apparue ambivalente à plusieurs reprises. Dès le milieu du XIXe siècle, les cercles académiques occidentaux ont même mis en doute l’existence de la stèle de Xi’an. On se méfiait de cette découverte historique qui brisait «le mythe d’une Chine réfractaire et fermée», puisqu’elle attestait de l’action d’empereurs chinois devenus protecteurs des chrétiens.
Dans les réinterprétations prévalant dans les milieux missionnaires, surtout évangéliques et protestants, la disparition de ces communautés chrétiennes a été qualifiée d’échec historique, attribué à l’attitude «excessivement mimétique» de cette Église, apparue aux missionnaires occidentaux modernes comme hésitante à proposer sa propre «identité».
Au-delà des préjugés
Les participants à la conférence de Xi’an ont au contraire relevé que «grâce à des processus longs et patients, l’expérience chrétienne a pu s’épanouir en s’adaptant au contexte culturel et sociopolitique des dynasties impériales Tang et Yang de la Chine».
Les recherches sur l’histoire de l’Église d’Orient en Chine pourraient offrir des perspectives intéressantes sur la démarche de «sinisation» que le gouvernement chinois exige des communautés de croyants. «Une comparaison avec la dynamique réelle des processus historiques peut toujours aider à se débarrasser des malentendus, des rigorismes, des mécanismes et des forçages idéologiques», ont conclu les universitaires. (cath.ch/fides/arch/rz)