Chemin synodal: «Il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain»
Mgr Alain de Raemy, évêque auxiliaire de Lausanne, Genève et Fribourg (LGF), a participé comme observateur à la première assemblée plénière du «chemin synodal» allemand. Il rentre avec la conviction qu’une foi vivante est encore possible et crédible, malgré les problèmes et les scandales qui ont secoué l’Eglise catholique.
Kath.ch/Sylvia Stam; traduction et adaptation Davide Pesenti
Comment avez-vous vécu la première assemblée synodale en Allemagne?
Mgr de Raemy: D’une part, avec de nombreuses questions ouvertes qui n’ont pas encore trouvé de réponses en moi. D’autre part, j’ai remarqué que j’ai besoin de mieux connaître la situation de l’Église catholique en Allemagne.
Quelle déclaration vous a particulièrement impressionné?
Tout d’abord, l’appel à la reconnaissance des catholiques issus de l’immigration. Une femme a fait remarquer, dans une prise de parole percutante, qu’il n’y a pas que des catholiques germanophones en Allemagne, et que ceux qui parlent d’autres langues ont été oubliés pour l’occasion. Cette déclaration m’a touché, car je ne l’avais pas non plus remarqué.
Il ne faut pas se laisser paralyser dans sa foi, en raison de ce qui s’est passé ou des problèmes actuels dans l’Eglise
Mgr Alain de Raemy
J’ai également aimé une intervention à propos de la vitalité de la foi. Elle disait qu’il ne fallait pas se laisser paralyser dans sa foi, en raison de ce qui s’est passé ou des problèmes actuels dans l’Eglise. Au cours des débats, l’impression semblait prévaloir que plus rien n’était possible, dans la mesure où l’Eglise avait perdu de sa crédibilité. Cette intervention rappelait qu’une foi vivante est néanmoins toujours possible et crédible!
Y a-t-il eu, au contraire, des déclarations qui vous ont causé des problèmes?
Je n’ai pas aimé les jugements négatifs radicaux. Par exemple, il est arrivé que l’on dresse un tableau très négatif des prêtres. Les intervenants qui exprimaient des inquiétudes sur le déroulement de ce «chemin synodal» étaient vite décrits comme manquant de courage. Le risque est grand d’en rester à des préjugés.
Vous étiez parmi les observateurs. Comment avez-vous interprété votre rôle?
Comme quelqu’un qui observe justement ce processus et qui transmet ses observations à la Conférence des évêques suisses (CES). Mais aussi comme quelqu’un qui essaie de bien comprendre ce que ce chemin synodal signifie en Allemagne et ce que nous pouvons en retenir pour la Suisse.
Que pensez-vous que l’Eglise catholique en Suisse puisse apprendre du «chemin synodal» allemand?
Il est encore trop tôt pour répondre à cette question. Le «chemin synodal» en Allemagne s’inspire largement de l’étude du MHG*. Elle a été mentionnée à maintes reprises durant les travaux, parce qu’elle a été le déclencheur de tout ce processus. J’en avais beaucoup entendu parler et j’en connaissais les grandes lignes. Mais je pense qu’avant de l’avoir lue en entier, il me manquera un élément clé pour bien saisir la situation. Je vais m’y atteler.
L’Evangile est une bonne nouvelle. Mais son contenu n’est pas toujours bien reçu.
Auriez-vous parfois souhaité intervenir dans les débats?
Non. Lors de cette première assemblée, je voulais vraiment écouter et comprendre. Mais j’étais tenté de réagir quand on affirmait que puisque les églises se vidaient, il fallait les remplir à nouveau, pour ainsi dire à tout prix!. Cela me semblait être l’expression d’une sorte d’instinct de survie mal à propos. Car si je crois que l’Evangile est une bonne nouvelle, je sais aussi que son message n’est pas toujours bien reçu. Il faut être capable de l’entendre et de ne pas vouloir tout adapter, au risque d’en perdre la substance. On lit chez Jean 6,60s, il est dit: «Beaucoup de ses disciples qui l’écoutaient disaient: Ce discours est dur. Qui peut l’entendre ?» Et au verset 66: «En conséquence, beaucoup de ses disciples se retirèrent et ne marchèrent plus avec lui. Alors Jésus demanda aux douze: ›Voulez-vous aussi vous en aller’»?
Comment avez-vous vécu la dimension spirituelle de la rencontre? Il y a eu en effet régulièrement des moments de prière et de méditation?
Je les ai perçus comme des occasions bienvenues de détente et de concentration sur l’essentiel, dans l’agitation des débats. Ces impulsions m’ont stimulé ma réflexion. C’était comme un résumé, une mise en évidence de tel ou tel aspect. C’était donc un bon exercice, mais on le vivait inévitablement chacun pour soi. Une véritable prière commune m’a donc un peu manqué. Mais il y a quand-même eu les deux messes, la liturgie de la Parole ou deux fois un «Notre Père» prié en commun.
Ce genre de partage est certainement utile, mais pas nécessairement de cette manière.
Aimeriez-vous voir une discussion similaire entre laïcs et évêques en Suisse?
Un tel échange de vues et de souhaits est certainement utile et même nécessaire, mais pas nécessairement dans un organe aussi vaste et où tout le monde n’est pas pour autant bien représenté. Tout est extrêmement structuré, à l’allemande, serais-je tenté de dire…. Cela comporte aussi une certaine pression imposée par un calendrier fixé d’avance et censé arriver à de grands résultats à une date pré-déterminée.
Ceci contredit le souhait du pape François lorsqu’il affirme que dans le discernement des esprits on ne prévoit pas à l’avance le moment de prendre des décisions. Dans ce sens, je ne me suis pas toujours senti à l’aise. Je doute que ce soit la bonne voie pour la Suisse.
Préférez-vous des formats à petite échelle, comme la discussion dans les différents diocèses helvétiques, comme le suggère la CES?
Oui, et bien sûr, les résultats doivent ensuite être rassemblés au niveau national. Mais je ne sais pas encore comment cela va se passer en pratique.
Y a-t-il déjà des étapes concrètes dans ce dialogue dans votre diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg?
Nous serons guidés en cela par la lettre apostolique Gaudete et exultate du pape François, dans laquelle il décrit ce que c’est d’être chrétiens dans les différentes dimensions de la société moderne.
Comment les chrétiens sont-ils aujourd’hui appelés à témoigner ? Nous aimerions formuler des questions sur ce document qui pourront ensuite être discutées en groupes dans les paroisses. Nous le faisons en collaboration avec le diocèse de Sion. Le «Centre catholique romand de formations en Eglise» (CCRFE) à Fribourg élaborera les questions.
En Allemagne, les travaux se poursuivent dans les quatre forums. Que souhaitez-vous aux catholiques allemands pour la suite de leur cheminement?
Je leur souhaite de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Qu’ils ne s’arrêtent pas à regarder toutes les choses négatives qui ont fait actualité de l’Église ces dernières années. Mais qu’ils voient aussi toutes les grandes et bonnes choses qui continuent à exister dans l’Eglise.
Cela peut également être un soutien dans la lutte contre ce qui ne va pas. Dans les discussions à propos de la vie des prêtres, certains de ces éléments sont devenus tangibles. Il a été dit que non seulement les prêtres devraient prendre soin d’eux-mêmes, mais aussi que les paroisses devraient prendre soin des prêtres. Je suis enthousiaste et j’attends avec impatience la prochaine réunion prévue en septembre 2020. (cath.ch/kath/sys/dp)
*Après la publication de l’étude MHG «Abus sexuels de mineurs par des prêtres, des diacres et des religieux catholiques dans le domaine de la Conférence épiscopale allemande» (Sexueller Missbrauch an Minderjährigen durch katholische Priester, Diakone und männliche Ordensangehörige im Bereich der Deutschen Bischofskonferenz) à l’automne 2018, la Conférence épiscopale allemande est arrivée à la conclusion que l’Église catholique en Allemagne avait besoin d’un chemin de renouveau.
En mars 2019, les évêques allemands ont ainsi décidé de lancer un »chemin synodal» national.