Chanoine Guy Luisier: «Le Congo, c'est le paradis... avec l'enfer tout proche!»
«C’est plutôt calme actuellement au Kasaï-Central… les troubles et la répression des miliciens du chef coutumier Kamwina Nsapu ont fait 3’000 morts en 2016-2017…» constate le chanoine de Saint-Maurice Guy Luisier, installé sur la colline de Malandji, à 15 kilomètres de la capitale provinciale Kananga.
Le prêtre valaisan observe depuis huit ans la réalité complexe de cette région au centre de la République Démocratique du Congo (RDC), grande comme une fois et demi la Suisse.
Contrairement à la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO), qui avait déployé près de 40’000 observateurs dans le pays et qui avait déclaré l’opposant Martin Fayulu vainqueur, les évêques de la province ecclésiastique de Kananga ont salué l’élection de Félix Tshisekedi à la présidence congolaise. Ils ont remercié Dieu pour «la première alternance au sommet de l’Etat par la voie des urnes».
Pas de ‘bémols’ à l’élection de Tshisekedi
«Ils ont fait des messes d’action de grâce pour cette victoire électorale… Tshisekedi est du Kasaï, alors pas question de mettre des ‘bémols’ à ce triomphe. Mes confrères prêtres, dans notre paroisse de Notre-Dame du Kasaï, sont ravis et disent: ‘notre candidat a été élu! Ils n’ont pas de recul et ne sont pas d’accord avec la position de la CENCO», confie le chanoine Guy Luisier.
La CENCO voulait que les élections soient paisibles, qu’elles ne provoquent pas trop de morts. Elle militait depuis longtemps pour une alternance afin de remplacer Joseph Kabila, au pouvoir depuis 2001. «Mais le résultat des élections a été complètement faussé. S’apercevant qu’il ne pouvait pas faire passer son ‘dauphin’ Emmanuel Ramazani Shadary, même en trichant, le président sortant s’est arrangé avec le fils de son rival de toujours Etienne Tshisekedi…On a assisté au trucage des élections!»
Lutte contre la corruption et l’argent facile des politiciens
Malgré le trucage, relève le chanoine valaisan, «pour le moment, Felix Tshisekedi donne une bonne impression, il veut lutter contre la corruption et l’argent facile des politiciens, fait des projets. Il a fait la tournée des pays voisins et à son retour, il a restitué à la collectivité l’argent qu’il n’avait pas utilisé pour ce voyage. C’est plutôt rare, et cela a fait une forte impression dans le pays et lui a donné une grande aura auprès du peuple!»
Malheureusement, note le chanoine Guy Luisier, le parti du nouveau président n’a pas de majorité au Parlement national et dans les Parlements provinciaux, où les ‘kabilistes’, les partisans de l’ancien président, sont toujours majoritaires. «Et il n’y a toujours pas de gouvernement nommé, alors que Felix Tshisekedi a été proclamé président le 24 janvier 2019…»
Le calme est revenu sur la colline de Malandji
Sur la colline de Malandji, le calme est revenu, après les troubles qui ont ensanglanté la région suite à la mort du chef coutumier Kamuina Nsapu, tué par les forces gouvernementales le 12 août 2016. «Il y avait alors 1,5 million de déplacés internes et de réfugiés en Angola, mais ils sont entretemps revenus ou ont été renvoyés d’Angola. Les miliciens ont progressivement déposé leurs armes. Certains sortent encore de la forêt. L’élection d’un Kasaïen a fait retomber la tension. L’an dernier, il y a encore eu des attaques de villages, mais l’on ne sait pas vraiment s’il s’agit de miliciens ou de simples bandits. Il y encore de temps en temps des poussées de fièvre dans certaines zones».
Lui-même a été enlevé le 11 mars 2017 pendant qu’il faisait une récollection de carême avec les quatre aspirants de la communauté. Il a pensé que sa dernière heure était arrivée lors de l’irruption d’une trentaine de miliciens portant sur le front leur bandeau rouge, signe d’appartenance aux Kamuina Nsapu. La communauté, qui a subi des tortures, s’en est finalement tirée et s’est attachée à la réconciliation dans la paroisse entre les partisans des miliciens et leurs opposants.
Education et développement économique
Le Père Luisier estime que dans cette région délaissée depuis longtemps par le gouvernement de la RDC, la clé réside dans l’accès pour tous à l’éducation et dans le développement économique. «Nous avons déjà mis sur pied des coopératives agricoles. Il faut donner des perspectives à ces jeunes, mettre le paquet pour qu’ils aient un avenir, qu’ils apprennent à travailler ensemble».
Il faut rappeler que, lors de l’insurrection des Kamuina Nsapu, tous ceux qui avaient un peu de biens, les communautés religieuses, paroisses, évêchés, séminaire, ont été attaqués. Il faut dire que cette situation est aussi due à l’état lamentable du pays: les militaires et les policiers étant mal payés, ils rançonnent la population.
On rançonne sur les routes
«Même les Chinois, qui ont construit une grande route qui va jusqu’en Angola, ont installé un péage à 30 kilomètres de Kananga. Cela montre l’état de déliquescence du pays. Les compagnies multinationales s’arrangent avec les politiciens pour piller le pays. Le budget officiel du Congo est à la même hauteur que celui d’une ville comme Zurich, c’est dire l’importance de ‘l’économie grise’ dans ce pays de plus de 81 millions d’habitants».
Comment peut-on payer les services de santé, l’éducation, les infrastructures dans un pays de plus de 2,3 millions de km2 en complète décomposition ? «Le travail qui attend Felix Tshisekedi est gigantesque, affirme le chanoine Luisier. On se demande comment il va pouvoir relever tous les défis qui se présentent. Le peuple congolais vit un véritable calvaire, privé d’une vie digne, alors que le pays est très riche, qu’il dispose d’eau en quantité, de vastes terres pour l’agriculture, d’un sol immensément riche en ressources minières. Le pays est aux mains d’une véritable maffia politique qui s’est approprié tout l’argent des concessions accordées aux compagnies multinationales. Le Congo, conclut-il, c’est le paradis… avec l’enfer tout proche!» JB
Guy Luisier était, le 29 mars 2019, l’hôte à Fribourg de l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT, section Pérolles).
De l’Abbaye de Saint-Maurice à la RDC, en passant par Salvan
Le chanoine Guy Luisier, ancien professeur de latin et de grec, fut recteur du Collège de l’Abbaye de Saint-Maurice, de 1995 à 2007, avant de travailler comme curé de Salvan (VS) de 2007 à 2012. Il est devenu ensuite missionnaire à l’âge de 50 ans «sans formation en missiologie ou en politique internationale!» Il est envoyé cette année-là, par sa communauté, en République Démocratique du Congo (RDC), pour accompagner la fondation d’une communauté locale augustinienne, affiliée aux chanoines réguliers de Saint-Maurice. Cette communauté nouvelle est chargée de l’animation du Sanctuaire Notre-Dame du Kasaï et de sa paroisse, et soutient des projets scolaires, sanitaires et agricoles.
Le Valaisan est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont «Une colline au Congo: six mois dans la savane missionnaire du XXIe siècle» (Editions Saint-Augustin, 2013), où il raconte son expérience auprès d’autres cultures et fait part de sa réflexion sur la mission dans l’Eglise… Et la suite: «Une colline au Kasaï: Chronique de guerre et d’espoir» (Editions Saint-Augustin, 2017). Le chanoine de Saint-Maurice estime «qu’un Evangile qui ne s’incarne pas dans des visages concrets est un vieux grimoire de lettres mortes». Il a été lauréat pour la Suisse-romande du Prix «Bonne Nouvelle» 2013, décerné à l’occasion du Dimanche des médias, pour son blog Une colline au Congo. Il est également blogueur sur cath.ch (cath.ch/be)