La juriste Célia Jeanneret devant un tableau de Maria, une ancienne victime de traite | © Raphaël Zbinden
Suisse

Célia Jeanneret, une jeune juriste au secours des «esclaves modernes»

Avec son association PERLA, à Lausanne, Célia Jeanneret s’emploie à sortir des personnes de l’exploitation, sexuelle et professionnelle. Une mission de vie pas toujours facile, que Célia mène à bien avec le soutien de la foi.

Pour la première fois, il y a quelques semaines, Maria (prénom fictif) a peint un tableau avec de la lumière. L’œuvre figure en bonne place dans les bureaux de PERLA, au centre de Lausanne. Elle rappelle aux collaboratrices et collaborateurs à quel point leur travail peut contribuer à dissiper les ténèbres qui hantent certaines vies.

Et celle de Maria en a eu sa part, assure Célia Jeanneret. La jeune juriste neuchâteloise raconte le destin emblématique et terrible de cette Tunisienne qui a fui son pays à 14 ans après avoir été mariée de force. Sans argent ni contact, Maria, qui se rend d’abord en Belgique, est livrée par ses passeurs à des proxénètes. De 15 à 27 ans, elle ne connaît que le monde de la prostitution, passant de salon en salon. «Mais avec un courage et une audace impressionnantes», elle finit pas s’en sortir, s’enthousiasme Célia Jeanneret.

«Maria voulait juste que quelqu’un l’écoute»

Maria réussit donc à payer ses dettes en Belgique, se rend en Suisse, où elle retombe dans une relation toxique, épousant un homme violent, qui la bat régulièrement. Tombée enceinte, elle se résout finalement à demander de l’aide à PERLA. «Elle est venue nous raconter son histoire comme une thérapie, elle ne l’avait jamais racontée à personne, souligne la juriste de l’association. Elle voulait juste que quelqu’un l’écoute.»

Retour de la lumière

PERLA aide ainsi Maria à retrouver pied avec des psychologues, reçoit une aide sociale pour l’aider avec son fils, ainsi qu’une assistance juridique dans ses combats contre son ex-mari. «Nous l’avons vue changer de façon incroyable, note Célia Jeanneret. Maria avait l’habitude de nous dire: ‘Je suis une prostituée, je serai toute ma vie une prostituée. Et soudain, elle nous disait: ‘Ah non, je suis une femme de valeur, il y a quelqu’un qui m’aime, j’ai un avenir, que mon passé ne m’empêchera pas de réaliser.»

La peinture de Maria a tout d’abord exprimé son mal-être avec des motifs agressifs et sombres | (détail d’une toile) © Raphaël Zbinden

La Tunisienne, artiste-peintre, collabore avec PERLA en fournissant à l’association certains de ses tableaux. De motifs noirs, acérés et agressifs, elle est finalement passée à des teintes lumineuses et à des formes rondes. Signe évident, pour toute l’équipe, qu’une restauration est survenue.

«C’est pour de tels moments que je fais ce travail», assure Célia Jeanneret. Elle témoigne de son expérience, le 18 juillet 2024, au festival chrétien Metanoia, à St-Maurice (VS). cath.ch l’a rencontrée quelques jours auparavant dans les bureaux de PERLA, près de la gare de Lausanne.

Conversion à 18 ans

Célia Jeanneret est née dans le canton de Neuchâtel, «dans une famille remplie d’amour». Ce qui n’était pas le cas de sa maman, qui avait vécu des violences dans sa jeunesse. «C’est en partie à cause de cela que j’ai très vite été sensibilisée aux droits des femmes.» Malgré le fait que sa famille ne soit pas intéressée par la religion, Célia rencontre la foi et se convertit à l’âge de 18 ans dans l’Église évangélique. Elle intègre ensuite la faculté de droit d’une université suisse. A la fin de ses études, elle décide de partir avec une amie en Afrique du Sud, pour faire du bénévolat dans une association d’aide aux prostituées dénommée Escape Home.

Un séjour formateur et révélateur pour la toute jeune fille. «Je suis partie avec ma vision d’Européenne, un peu idéaliste, un peu égoïste, pensant que j’allais aider tout le monde. Je me suis aperçue là-bas que j’ai reçu plus d’aide que je n’en ai apportée. J’ai rencontré des femmes vraiment incroyables, des survivantes, qui au quotidien nous ont fait confiance, nous ont partagé leur vie, parfois vraiment très forte et souvent dramatique. On parle de viol, d’abus, de maltraitance.»

«Claque» en Afrique du Sud

En Afrique du Sud, l’histoire d’Anna (prénom fictif) marque particulièrement Célia. «Ce qui m’avait choquée c’est qu’elle était de deux ans plus jeune que moi. Elle avait été enlevée au Zimbabwe à l’âge de 15 ans et emmenée en Afrique du Sud, où elle a été forcée de se prostituer pendant des années. Elle a été maltraitée, a subi des tortures. Chose rare: elle  a été ‘sauvée’ par un client. L’homme, soupçonnant qu’elle était exploitée, l’a emmenée à la police, qui l’a confiée à Escape Home. Mais elle était dans un état psychologique et physique désastreux. Elle était brûlée sur une partie du corps, se réveillait la nuit en hurlant…Mais, elle a commencé assez vite à se restaurer. J’ai eu des nouvelles d’elle il y a quelques mois, j’ai appris qu’elle avait trouvé un travail, récupéré sa fille qu’elle avait été obligée d’abandonner lorsqu’elle était prostituée, et renoué avec sa famille. Elle reste marquée, mais elle avance.»

«La crainte des victimes de traite d’être renvoyées dans leur pays peut freiner leur processus de sortie du milieu»

Célia travaille depuis quatre mois à Escape Home, lorsqu’elle prend «la claque de sa vie». Quelqu’un lui apprend, en effet, que la Suisse est la plaque tournante de la prostitution en Europe. «Avant cela, je m’étais toujours dit que cela n’existait pas chez nous, qu’il fallait que j’aille ailleurs, dans des pays pauvres, pour lutter contre le fléau de l’exploitation. Mais lorsque j’ai découvert que l’esclavage moderne était bien réel en Suisse, je me suis dit qu’il était plus logique que je commence par agir dans mon pays.»

Dans la rue et au bureau

La juriste décide donc de revenir en Suisse. Avant son départ, Anna lui lance: «Ne nous oublie pas!». «Une promesse que j’ai voulu absolument tenir et qui m’a déterminée à travailler dans l’aide aux victimes de traite.» Depuis 2019, la jeune femme travaille à PERLA, une association indépendante, qui emploie six salariés et une trentaine de bénévoles.

Les bénévoles (surtout) vont dans la rue, dans les salons ou les bars pour entrer en contact avec les femmes (parfois les hommes) qui se prostituent. Lorsque les personnes émettent la volonté de sortir de ce milieu, les spécialistes de PERLA les encouragent, les soutiennent psychologiquement et les aident dans leurs démarches administratives. «Nous tentons d’abord de répondre aux besoins les plus urgents, tels que le logement, l’argent ou la nourriture, et ensuite de régler les questions de permis de séjour, d’assurance maladie ou de réinsertion professionnelle», explique Célia Jeanneret, qui travaille aussi bien sur le terrain que dans les bureaux.

Dépénaliser les victimes

PERLA est actuellement active sur les cantons de Vaud, Genève et Berne. Un groupe est peut-être en train de recommencer sur le Valais et Fribourg. L’association agit à plusieurs niveaux, s’efforçant également de faire bouger les choses au niveau politique.

«Il n’y a que Dieu qui puisse restaurer une personne complètement»

«Nous voudrions qu’il soit plus facile de créer des chemins de sortie pour les travailleuses et travailleurs du sexe. Le modèle adopté en la matière par les pays du nord de l’Europe est intéressant: le point principal est mis sur la pénalisation des gros trafiquants, alors que les prostituées ne sont en général pas poursuivies. Elles résident en effet très souvent illégalement sur le territoire, consomment de la drogue pour tenir le coup ou parce qu’elles y ont été forcées….En Suisse, la crainte de ces personnes d’être renvoyées dans leur pays ou d’aller en prison freine souvent leur processus de sortie du milieu.» L’association entend aussi se diriger vers une activité prometteuse qui est la prévention des clients.

La drogue, la mort, ou Dieu

PERLA est une association fondée sur des valeurs chrétiennes. Bien qu’elles soient partagées par la plupart des collaboratrices et collaborateurs, elles ne sont pas mises en avant lors des entretiens, afin de ne fermer aucune porte aux personnes prises en charge. Mais au-delà, Célia Jeanneret estime que l’orientation chrétienne aide à établir une confiance mutuelle. «Elles ressentent que nous agissons par la foi en Dieu, c’est-à-dire de manière désintéressée. Elles sont conscientes que nous leur reconnaissons une dignité intrinsèque, indépendamment de leur statut social ou de ce qu’elles ont vécu.»

Le fait est que la plupart des femmes qui entrent à PERLA se convertissent. Célia Jeanneret met cela en relation avec ce que lui avait dit Anna en Afrique du Sud: «Dans ce métier, il n’y a que trois vrais choix: soit tu es dans le déni et tu supportes ta vie à l’aide de la drogue, soit tu te suicides, soit tu trouves Dieu.» La juriste comprend que ces femmes optent pour ce troisième choix. «Car il n’y a que Dieu qui puisse restaurer une personne complètement.»

Elle-même trouve dans sa spiritualité la force de continuer son travail. «On entre dans un monde d’une grande noirceur, avec une souffrance inimaginable, tant de choses volées, on se demande comment ces femmes sont encore debout. Mais cette force qui vient d’en haut permet toujours de trouver la lumière au fond des ténèbres.» (cath.ch/rz)

L’exploitation sexuelle est de loin la forme de traite la plus communément détectée (79%), suivie par le travail forcé (18%). En Suisse, plus de 70% des personnes exerçant la prostitution sont victimes de la traite humaine.

La juriste Célia Jeanneret devant un tableau de Maria, une ancienne victime de traite | © Raphaël Zbinden
17 juillet 2024 | 17:00
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture : env. 6  min.
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