Caritas demande un milliard pour les pays du Sud victimes du Covid-19
Avec le Covid-19, tant l’opinion publique que le monde politique suisses ont oublié la problématique lancinante de la faim dans le monde qui touche un être humain sur onze, estime Caritas Suisse. Lors d’une conférence de presse à Berne le 7 septembre 2020, l’œuvre d’entraide a réclamé un milliard de francs supplémentaires de la Confédération pour venir en aide aux plus pauvres, privés de revenus et menacés dans leur survie.
Dans les pays du Sud, avec la pandémie qui aggrave encore davantage les problèmes engendrés par les changements climatiques, la pauvreté progresse dangereusement. Hugo Fasel, directeur de Caritas Suisse, s’est fait l’avocat des populations pauvres des pays du Sud, les plus précarisées par la pandémie.
Des populations privées de leurs ressources
«Cette crise, a-t-il lancé, nécessite un paquet de mesures d’aide à la population en Suisse, mais il faut aussi que le Département des Affaires Etrangères (DFAE) débloque une aide humanitaire spéciale pour les pays du Sud», particulièrement en Asie et en Afrique. Dans ces pays, une grande partie des populations travaillent dans le secteur informel. Désormais confinées en raison du Covid-19, elles n’ont plus aucune ressource. La pandémie, les changements climatiques, les inégalités et l’injustice structurelle dans les échanges internationaux aggravent la faim dans les pays du Sud, alors que paradoxalement, la nourriture ne manque pas au plan mondial.
Le directeur de Caritas Suisse relève que si son organisation ne parle pas maintenant pour défendre les populations les plus pauvres et ne fait pas un intense «lobbying» auprès des parlementaires fédéraux, «nous porterons une lourde responsabilité!»
Risques de repli sur soi
Car avec l’endettement des pays industrialisés et les déficits budgétaires creusés par la pandémie, il y a de forts risques que «le monde politique oublie le Sud» et que les budgets d’aide au développement de ces prochaines années soient revus à la baisse. Mais le Singinois, qui connaît bien les arcanes de la Berne fédérale pour avoir été lui-même parlementaire, admet que les rapports de force à Berne ne sont pas forcément favorables à davantage de générosité. Mais pour lui, un tel programme d’aide humanitaire devrait bénéficier en principe d’un large soutien dans la population suisse. «La pression doit venir d’en bas!»
Rappelant que la communauté internationale voulait éliminer la faim d’ici 2030, il a déploré que cet objectif n’était pas près d’être atteint. Le nombre de personnes souffrant de malnutrition et de sous-alimentation ne cesse d’augmenter et la crise du Covid-19 plonge dans la faim et la pauvreté des millions de personnes supplémentaires. «Il faut absolument que la Confédération engage un milliard de francs supplémentaires à cette fin».
«La Suisse ne doit pas détourner les yeux!»
Car la situation dans les pays du Sud est catastrophique: une personne sur onze dans le monde est sous-alimentée et depuis quelques années, la faim augmente à nouveau. La crise du coronavirus, qui s’ajoute aux effets désastreux du changement climatique, aggrave encore la situation et précipite des millions de personnes dans la détresse. «La Suisse ne doit pas détourner les yeux!», martèle Caritas Suisse.
Après des années de recul, le nombre de personnes souffrant de la faim dans le monde est à nouveau en hausse depuis 2014. Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), 690 millions de personnes, soit une personne sur 11 et 8,9 % de la population mondiale, souffrent de sous-alimentation, a déclaré à cette occasion Patrik Berlinger, responsable du Service Politique du développement à Caritas Suisse. Selon la FAO, le nombre de personnes souffrant de la faim devrait même encore augmenter d’ici là et passer au-dessus des 840 millions. Et cette estimation ne tient pas compte de l’impact du Covid-19.
144 millions d’enfants de moins de cinq ans subissent les problèmes de santé qui accompagnent la sous-alimentation. Ils présentent un retard de croissance dû à la sous-nutrition, avec un impact sur leur développement et leur capacité d’apprentissage. «Ces retards de développement dus à la sous-nutrition chronique sont irréversibles!», poursuit Patrik Berlinger. (cath.ch/be)
Initiative pour des multinationales responsables
Dans le cadre de la lutte contre la pauvreté dans les pays du Sud, Caritas Suisse soutient l’Initiative populaire pour des multinationales responsables, qui sera soumise au peuple suisse le 29 novembre 2020. Un certain nombre d’entreprises internationales ont leur siège en Suisse où la fiscalité leur est favorable. Quelques-unes continuent de violer allégrement les normes environnementales et sociales, aggravant la pauvreté des populations, affirme l’œuvre d’entraide. Les mesures sur une base volontaire n’ont pas suffisamment d’impact. Il faut instituer des règles contraignantes, estime Caritas Suisse.
Pour leur part, la FAO et l’ONU attribuent l’augmentation de la faim à la pauvreté et aux inégalités qui restent élevées partout dans le monde, aux faiblesses du système agricole et alimentaire mondial, à la situation d’insécurité des régions en conflit et, de plus en plus, au changement climatique. L’ONU considère en effet que les chocs liés au climat sont désormais l’une des principales causes des crises alimentaires aiguës. Depuis le début des années 1990, le nombre de catastrophes dues à des événements climatiques extrêmes, comme les sécheresses et les inondations, a doublé. Les petits paysans en souffrent le plus, car le changement climatique détruit une grande partie de ce que les habitants des pays les plus pauvres ont laborieusement construit et les prive de sécurité alimentaire. JB
La Suisse doit agir
Lors de la session d’automne, a rappelé Hugo Fasel, le Parlement adoptera le Message sur la coopération internationale de la Suisse 2021-2024 et décidera du crédit-cadre des quatre prochaines années pour la coopération au développement. Pour Hugo Fasel, il est urgent que la Direction du développement et de la coopération (DDC) élabore une stratégie de coopération avec l’Afrique, comme l’a demandé Caritas à plusieurs reprises. Les perspectives de la FAO montrent que les pays subsahariens seront frappés de plein fouet par la faim ces prochaines années.
«Nous attendons du DFAE et de la DDC qu’ils mettent en place des propositions sur la manière dont la Suisse pourrait contribuer à résoudre la sous-alimentation et clarifient la politique agricole qu’ils comptent mener vis-à-vis de ces pays». Le directeur de Caritas Suisse souhaite que la Confédération mette sur pied une étude et publie un rapport pour savoir dans quelle mesure par exemple les subventions à l’exportation portent atteinte à la production agricole locale dans le Sud. Il estime nécessaire une protection de la production locale des petits paysans du Sud contre les importations à prix cassés, une telle protection agricole existant d’ailleurs en Suisse concernant l’importation de fraises ou d’abricots. «Aujourd’hui, la Suisse est devenue une plaque tournante de première importance en matière de commerce de produits agricoles du monde entier», il s’agit également d’étudier l’impact de ces transactions. JB