Carême: le programme genevois 'éco21’ cultive la «sobriété heureuse»
Le pape François verrait sans nul doute d’un bon œil SIG-éco21. Le programme «holistique» des Services industriels de Genève (SIG), qui vise l’optimisation énergétique à travers l’effort collectif, rejoint de nombreux points de Laudato si’. Explications de sa directrice, Pascale Le Strat, hôte de la Campagne œcuménique de Carême 2024, dédiée à la sobriété.
Par tête d’habitant, la consommation d’électricité dans le canton de Genève équivaut aujourd’hui à celle de 1984. Alors que le canton a vécu une forte croissance économique . La preuve que les efforts de sobriété énergétique portent leurs fruits.
Que faites-vous concrètement?
Pascale Le Strat: Notre objectif est d’accompagner les Genevois à réaliser des économies d’énergie et de déchets. Nous travaillons ainsi à la réduction des émissions de CO2 et de l’utilisation des énergies fossiles. Notre programme est destiné à tous nos clients, que ce soient des ménages, des entreprises, des collectivités publiques ou des propriétaires immobiliers. Il consiste à conseiller, à accompagner et aussi à inciter financièrement. L’accompagnement est individualisé autant que possible. Les entreprises ou les propriétaires immobiliers qui participent au programme reçoivent des subventions en fonction des kwh, du CO2 et des déchets économisés.
Pascale Le Strat a été une invitée d’honneur de la Campagne de Carême 2024, placée sous le slogan «Moins, c’est plus». La démarche est portée par les œuvres d’entraide catholique romaine Action de Carême, protestante EPER et catholique chrétienne Etre partenaires. RZ
Une action typique d’éco21 peut être d’accompagner des entreprises dans l’installation de systèmes de chauffage, d’éclairage ou d’eau beaucoup moins énergivores. L’une de nos premières démarches, alors que la technologie LED en était à ses tous débuts, a été d’aider les petites entreprises à utiliser ce type d’ampoules.
Récemment, nous avons lancé notre plateforme internet RE-sources, par laquelle on peut échanger des équipements d’entreprises (matériel de bureau…). Une idée très simple, mais qui n’existait simplement pas avant, et qui permet d’éviter que de nombreux objets encore utilisables ne finissent à la déchetterie.
Vous proposez aussi des formations.
Oui, le but est que la sobriété devienne un réflexe de plus en plus autonome. Nous nous sommes rendus compte que la formation des chauffagistes et autres électriciens portant les solutions auprès de leurs clients était un outil très efficace. Nous proposons ainsi aujourd’hui une septantaine de formations d’optimisation énergétique, dans de nombreux domaines.
Quelle est l’originalité de ce programme?
éco21 est déployé par un service industriel à l’échelle d’un canton, ceci en très forte collaboration avec l’Etat, et développé sur demande politique. Nous avons l’atout considérable de travailler avec les offices cantonaux. Cela veut dire que nous sommes vraiment un acteur opérationnel de la mise en place des politiques publiques.
Connaît-on l’impact d’éco21?
Des effets positifs ont été mesurés à plusieurs niveaux. Par tête d’habitant, la consommation d’électricité dans le canton de Genève équivaut aujourd’hui à celle de 1984. Alors que le canton a vécu une forte croissance économique. La consommation d’énergie totale est au niveau de celle de 2003. 46 millions de francs sont économisés sur la facture d’électricité annuelle des habitants.
«Les personnes acceptent beaucoup mieux ce genre de projets»
Financièrement, alors que le programme a investi 182 millions de francs depuis 2007, une étude de l’Université de Genève a démontré qu’il a entraîné des investissements par les privés de 633 millions, injectés dans l’économie locale. 860 emplois seraient créés chaque année grâce à l’impact du programme. Donc il y a une vraie plus-value au niveau économique et social.
Le modèle éco21 inspire-t-il au-delà de Genève?
L’exemple du programme permet de démontrer, et cela est fondamental, que «c’est faisable». Il a contribué à orienter des projets de loi à l’échelle cantonale et fédérale. Le projet de loi sur l’approvisionnement électrique à travers des énergies renouvelables, proposé par le Conseil fédéral (qui sera soumis à votation populaire le 9 juin) a été en grande partie inspiré par éco21.
Les projets en matière d’efficience énergétique menés en partenariat avec la Confédération sont favorablement accueillis particulièrement dans le canton de Genève, les acteurs locaux sont déjà très sensibilisés aux problématiques énergétiques.
Les mentalités auraient donc évolué en rapport à l’urgence climatique…
Absolument. Même si l’on ne peut bien sûr pas attribuer cela uniquement à éco21, les personnes acceptent beaucoup mieux ce genre de projets. Il y a une véritable prise de conscience des enjeux climatiques, à la fois dans la population et dans le politique. Nous agissons comme des facilitateurs entre ces volontés politiques et leur déploiement opérationnel concret.
Comment avez-vous pris le fait d’être invitée par la Campagne de Carême, une démarche religieuse?
Je n’ai pas porté une attention particulière à l’aspect religieux. La thématique proposée m’a bien sûr concernée, ainsi que la démarche de réunir des acteurs de divers horizons autour de la sobriété et du changement climatique.
«Sur un principe de solidarité humaine, nous essayons de dépasser les logiques d’opposition»
Ceci dit, je me réjouis que des organisations religieuses mènent de telles actions. Ces sujets sont si universels et urgents qu’il est très important que le plus de milieux possibles s’y associent. C’est fondamental pour la mobilisation du public.
La protection du climat et la sobriété sont des visions qui doivent être partagées par tous, au-delà des orientations religieuses ou politiques. Car cela fait vraiment partie des éléments structurants pour chacun de nous.
Vos idées semblent rejoindre en grande partie celles du pape François, notamment exprimées dans Laudato si’ (2015). Avez-vous lu cette encyclique?
Je n’ai pas lu Laudato si’, mais j’ai consulté des documents à ce sujet. Ce texte est très intéressant, et le pape François est très ouvert et innovant. J’aime beaucoup la façon qu’il a de relier les problématiques qui touchent aussi bien l’environnement, que la société ou encore la culture… Certainement que tout cela doit être considéré si l’on veut atteindre de vrais changements durables.
«La sobriété pose de très importantes questions, qui touchent notamment au sens que l’on veut donner à notre vie»
éco21 se situe certainement dans cette tendance, notamment par sa vision holistique des situations. Nous pensons que c’est en réunissant les divers acteurs d’une problématique que nous avons les meilleurs résultats. Nous avons ainsi créé récemment des ‘pôles de compétences’. Ce sont des plateformes qui rassemblent toutes les parties prenantes d’un domaine, par exemple pour l’immobilier, l’Etat, les propriétaires, les locataires, les municipalités, les régies… afin de trouver des solutions d’avenir. Sur un principe de solidarité humaine, nous essayons de dépasser les logiques d’opposition, de créer un esprit d’ouverture à ce que vivent les autres, afin d’aller vers un bien commun.
Vous souscrivez aussi au concept de «sobriété heureuse», popularisé par le pape François…
La sobriété pose de très importantes questions, qui touchent notamment au sens que l’on veut donner à notre vie. Est-ce que l’on va rechercher le bonheur à travers la surconsommation, où va-t-on mettre en priorité d’autres valeurs, telles que le partage, la gratitude, la protection de nos richesses naturelles?
Je pense que l’une des grandes forces d’éco21 est qu’il se réalise en complémentarité avec toutes les parties prenantes, pour des objectifs qui vont bien au-delà du profit économique. Sans doute que cela rejoint la vision du pape François. (cath.ch/rz)
Le programme éco21 a été décidé en 2007 par le Conseil d’Etat genevois pour valoriser un trop-perçu de tarification électrique. La moitié de la somme a été remboursée aux consommateurs, l’autre moitié, soit 21 millions de francs, a été réinvestie dans éco21, d’où son nom. Actuellement, le programme est financé par les fonds propres des SIG à hauteur d’environ 20 millions de francs chaque année qui, en tant qu’entreprise publique, a une convention avec l’Etat de Genève pour des tâches d’intérêt public.
Le programme s’est depuis largement développé. Il mobilise aujourd’hui énormément d’acteurs à Genève, dont les consommateurs et producteurs d’énergie, les municipalités, les milieux immobiliers, ou encore les faîtières de diverses professions. RZ