Cardinal Turkson: «On a un besoin urgent d'une conversion écologique!»
«Il est urgent d’agir, on a besoin d’une conversion écologique! On ne doit pas se contenter de dire Seigneur, Seigneur! La foi sans les œuvres est morte…», confie à cath.ch le cardinal Peter Turkson, citant l’apôtre Jacques. Il était de passage à Fribourg le 3 octobre 2020 à l’invitation de l’Adoration Perpétuelle.
Face à l’urgence climatique et sociale, «il est urgent de changer notre mode de vie, comme nous demande Laudato si’, l’encyclique du pape François», lance le prélat ghanéen, préfet du dicastère pour le Service du développement humain intégral au Vatican.
Grâce à sa fonction à Rome, en charge de l’environnement, de la santé, des migrants ainsi que de la justice et de la paix, le cardinal Turkson est responsable de propager les enseignements de Laudato si’.
«On détruit notre base de vie»
Avec le modèle de développement dominant, «on détruit notre base de vie. Si nous voulons assurer un bon futur aux générations qui viennent, on ne peut pas vivre comme aujourd’hui, dans cette civilisation consumériste, il faut que la nature puisse respirer», lance le cardinal, qui salue au passage l’engagement des «jeunes pour le climat». Pour lui, l’Eglise n’est pas – «définitivement !» – du côté des «climato-sceptiques».
Le prélat ghanéen, qui se rend souvent sur le terrain, explique que dans de nombreux endroits du monde, «l’urgence climatique, c’est très concret!». Malgré des digues de plus en plus élevées, les côtes de Floride sont rongées par l’élévation du niveau de la mer, dans le Pacifique, une série de petites îles ont déjà été englouties ces dernières années par la montée des eaux. Dans l’Océan Indien, une bonne partie des 1’200 îles de l’archipel des Maldives disparaîtront dans moins d’un siècle.
Le grand défi du changement climatique
«On vit chaque jour avec ce grand défi du changement climatique. Chez moi, au Ghana, on voit le recul des côtes, rongées par la mer. Chaque jour des cocotiers, dont les racines retenaient le sable, tombent dans la mer, alors du sable disparaît à chaque vague. Le trait de côte change. La mer monte, c’est un grand danger!», témoigne le cardinal.
«On a besoin de la société pour vivre, on n’est pas Robinson Crusoé seul sur son île…»
«Nous nous inquiétons du changement climatique, mais, dans notre dicastère, nous étudions toujours l’impact de l’écologie naturelle sur l’écologie humaine et sociale. Le pape nous invite à entendre à la fois le cri de la terre et celui des pauvres de la terre». Le cardinal Turkson cite l’exemple du réchauffement climatique et de la pénurie d’eau qui provoquent déjà des déplacements de populations dans les pays du Sud et aggravent les phénomènes migratoires.
Une menace pour la paix
«Cela menace la paix. Aucun chrétien ne peut vivre sa foi sans prendre en compte les conditions sociales dans lesquelles vivent les populations. Nous sommes destinés à vivre avec les autres, nous avons été créés comme des êtres relationnels. Le pape François nous rappelle qu’on ne peut pas aimer quelqu’un sans s’intéresser à sa condition sociale, tout est lié!»
Parler de la réalité sociale, pour l’Eglise, reconnaît le Préfet du dicastère pour le Service du développement humain intégral, n’est pas toujours compris partout. «C’est le cas d’un certain nombre de catholiques aux Etats-Unis, qui comprennent ‘socialisme’ voire ‘communisme’, quand on parle de justice sociale. Nous devons à chaque fois faire un travail d’explication! Si l’individu, pour nous, a la priorité, il n’est pas libre sans responsabilités. Il vit est relation avec les autres».
Crainte d’un «hiver démographique» en Europe
Craignant «l’hiver démographique» en Europe et la montée de l’islam sur le Vieux Continent, lors du Synode des évêques sur la nouvelle évangélisation en octobre 2012, le cardinal Turkson avait créé une polémique en diffusant une vidéo particulièrement alarmiste sur l’expansion de l’islam en Europe.
Questionné sur cet épisode, le prélat ghanéen a reconnu que c’était là une erreur. «Mon souci était le danger que se répande en Europe une mentalité antinataliste, provoquant un ‘suicide démographique’. Certains disent qu’avec les problèmes écologiques actuels, on ne veut plus d’enfants!»
Mais, affirme-t-il, «si nous voulons assurer aux enfants un avenir paisible, soutenable, nous devons commencer maintenant à changer de route. C’est nous qui avons créé et créons les conditions négatives pour les générations futures, les solutions dépendent de nous!»
Le pape dans la démarche de saint François
Revenant sur les relations avec l’islam, il relève le message contenu dans l’encyclique Fratelli tutti (Tous frères) [que le pape François a signée à Assise le 3 octobre, ndlr], se situe dans la suite de la déclaration historique «sur la fraternité humaine, pour la paix mondiale et la coexistence commune», signée par le pape et le grand imam d’Al-Azhar le 4 février 2019 à Abu Dhabi, dans les Emirats arabes unis.
«Avant d’être chrétiens ou musulmans, nous sommes tous créés comme frères»
Le cardinal ghanéen souligne que le pape jésuite, qui porte le nom de François, inscrit sa démarche dans celle de François d’Assise allant rencontrer en septembre 1219 le sultan ayyoubide d’Egypte Al-Malik Al-Kâmil à Damiette, un port du delta du Nil, profitant d’une trêve au cœur de la Ve Croisade. Les musulmans étaient alors «diabolisés» et sur la terre égyptienne les armées chrétiennes et musulmanes s’affrontaient déjà depuis plus d’un an.
«Le pape dit qu’avant d’être chrétiens ou musulmans, nous sommes créés comme frères, nous sommes des êtres relationnels destinés à la fraternité. C’est ce fait anthropologique qui soutient cette démarche, qui n’a pas de visées prosélytes. Etre frères ne représente aucune menace pour la confession de l’autre». (cath.ch/be)