Cardinal Turkson: «Le droit à l'eau, c'est le droit à la vie!»
«Le Vatican souhaite rendre inséparables le droit à l’eau et le droit à la vie», rappelle le cardinal Peter Turkson. Le préfet du Dicastère pour le développement humain intégral est venu défendre cette position au Palais des Nations unies, à Genève, le 14 septembre 2017.
Le cardinal ghanéen a été l’un des intervenants à la conférence intitulée «Le droit pour l’accès à l’eau et aux installations sanitaires» (The Right of Access to Water and Sanitation). L’événement était organisé par la Mission permanente du Saint-Siège auprès des Nations unies à Genève, la Mission permanente de l’Ordre de Malte et la fondation catholique Caritas in Veritate (fciv). Cath.ch a rencontré à cette occasion le prélat chargé de mettre en pratique les principes énoncés dans l’encyclique du pape François Laudato Si’, dont le droit universel à l’eau fait partie.
Pourquoi l’Eglise se mobilise-t-elle afin de faire de l’accès à l’eau un droit de l’homme?
Simplement parce que l’eau est indispensable à la vie. L’objectif de la conférence a été de réfléchir à la meilleure façon de rendre le droit à l’eau inséparable de ce droit à la vie. Si quelqu’un voulait vous priver d’air, ce serait une façon de vous tuer, n’est-ce pas? L’air est donc un droit vital. Pourquoi n’en serait-il pas de même pour l’eau? Il faut rappeler que 800 millions de personnes sur la planète n’ont pas accès à une eau saine.
A quel point le Saint-Siège est engagé dans cette lutte pour l’accès universel à l’eau?
Nous sommes pleinement engagés dans ce combat. Pour l’Eglise, il s’agit de l’expression la plus fondamentale du droit de la personne humaine. Et pas seulement du droit, mais aussi de la liberté humaine. Car sans accès à l’eau, l’homme ne peut pas être libre.
De manière générale, le Saint-Siège se bat pour le droit inconditionnel à la vie. Ainsi, depuis que cette question est débattue aux Nations unies, le Vatican s’efforce d’y faire entendre cette position. Il exige ainsi que tous les êtres humains soient assurés de pouvoir bénéficier des moyens techniques, économiques et sociaux leur permettant d’accéder à de l’eau potable et saine en suffisance.
Pourquoi se pencher maintenant sur ce thème?
Nous sommes dans ce long processus qui consiste à mettre en pratique les idées du Saint-Père. La discussion de Genève s’est également déroulée dans le prolongement d’un débat sur l’accès à l’eau, qui agite depuis longtemps les Nations unies. Elle suit la Décennie internationale d’action «l’eau, source de vie». La démarche a visé, de 2005 à 2015, à encourager les efforts pour assurer le respect des engagements internationaux pris dans le domaine de l’eau. Maintenant, il y a lieu de ne pas diminuer notre engagement dans cette problématique cruciale pour l’avenir du monde.
Quelles actions concrètes le Vatican a-t-il lancées dans ce domaine?
Notre principale activité est d’encourager et de soutenir les initiatives, en particulier techniques, qui garantissent cet accès à l’eau, en priorité dans les pays en développement.
«Nous nous préoccupons du développement humain dans tous ses aspects»
Par exemple, début septembre, le dicastère que je dirige a réuni de jeunes entrepreneurs, afin qu’ils proposent des solutions aux défis posés par l’encyclique, dans le cadre de la démarche «Laudato Si’ challenge». Deux des solutions présentées concernaient le domaine de l’accès à l’eau. Un premier groupe a exposé un système de filtrage, que l’on peut adjoindre à toute source d’eau, permettant une purification et une désinfection, afin de la rendre potable. Un jeune scientifique avait apporté un seau d’eau sale et polluée. Après avoir utilisé le filtre, il en a bu et moi aussi. Et je suis toujours là! (rires) Nous avons donc encouragé cette personne à développer un système qui puisse subvenir aux besoins de toute une communauté.
L’autre proposition concernait un dispositif de purification de l’eau issue de la production industrielle, afin d’éviter les rejets polluants dans les cours d’eau.
Si ces systèmes avaient été disponibles, par exemple au Yémen, ils auraient certainement pu éviter en grande partie l’épidémie de choléra qui y fait rage en ce moment.
Quelles sont les autres priorités du Dicastère pour le développement humain intégral?
Elles sont nombreuses et rejoignent en grande partie celles des organisations onusiennes de développement. La différence, c’est que nous nous préoccupons du développement humain dans tous ses aspects, aussi bien matériels que culturels, sociaux, moraux et spirituels.
En ce moment, nous mettons un effort particulier dans l’accès aux soins et aux médicaments pour tous. Cela passe également, dans certains endroits, par l’installation de l’électricité. Si vous n’en avez pas, vous ne pouvez pas avoir de réfrigérateur, donc pas de moyen de stocker des vaccins par exemple. Nous tentons alors d’utiliser des sources d’énergie durable, telles que des panneaux solaires. Cela montre l’interconnexion des problèmes et la nécessité d’un engagement multisectoriel.
«La sauvegarde de notre maison commune est intimement liée à la justice sociale»
D’autres préoccupations majeures actuelles concernent les migrants et les réfugiés, le droit des travailleurs, le trafic d’êtres humains ou encore la course aux armements. Nous nous inquiétons notamment de la prolifération des armes nucléaires et du développement des armes autonomes.
La tâche est bien sûr énorme, mais nous travaillons en coordination avec les organisations d’aide, de l’Eglise ou de la société civile.
Votre action est-elle plus idéologique que concrète?
Nous marchons en fait sur «deux jambes». L’une consiste à faire des études et des recherches, pour avoir une bonne vision des problèmes. Il s’agit également de promouvoir nos positions dans la société et les pouvoirs publics.
«Je fais confiance au plan de Dieu pour le monde»
Avec l’autre jambe, nous agissons concrètement sur le terrain pour apporter des solutions aux personnes qui souffrent et aux problèmes environnementaux. Car Conformément aux principes présents dans l’encyclique du pape, la sauvegarde de notre maison commune est intimement liée à la justice sociale, au souci envers les plus démunis. Il ne s’agit pas ici que des pauvres, mais aussi des personnes laissées en marge, telles que les personnes âgées ou les malades.
Que faudrait-il en priorité pour que ces changements deviennent réalité?
Pour que le monde s’améliore, il n’y a qu’une chose à changer: notre cœur. Laudato Si’ insiste sur cette nécessité de la conversion intérieure. Nous devons changer notre manière de penser, de concevoir le monde. L’Eglise catholique ne veut cependant forcer personne à penser comme elle, mais avant tout apporter sa contribution au développement humain. Elle considère fondamentalement que rien ne pourra s’améliorer sans le respect de la dignité de tous, la reconnaissance de la fraternité humaine et la solidarité. De là découle la nécessité de décréter l’universalité des ressources mondiales. Les richesses ne devraient pas être en mains d’un petit groupe de personnes, mais profiter à tous.
Comment voyez-vous l’avenir du monde?
Il y a du bon et du mauvais. Certains se mobilisent pour le changement climatique, d’autres le nient. En tant que chrétien, je fais quoiqu’il en soit confiance au plan de Dieu pour le monde. Je pense que tous ces soubresauts ont un sens que souvent nous n’arrivons pas à percevoir. La liberté que Dieu nous donne peut amener à nous détruire nous-mêmes, mais aussi à Le trouver et à construire à partir de Lui cette fraternité universelle. (cath.ch/rz)
L’eau, un produit de consommation comme un autre?
«Nous sommes constamment bombardés par les mauvaises nouvelles. Mais le fait que nous soyons réunis ici pour le droit universel à l’eau en est une bonne», s’est réjoui le cardinal Turkson en ouverture de la conférence. Il était l’un des membres d’un panel d’experts qui ont donné des éclairages variés sur la problématique du droit à l’eau.
Le prélat ghanéen a rappelé l’importance de maintenir la pression afin de parvenir à des résultats concrets dans ce domaine. Il a souligné l’écart qui existe souvent entre les «belles» déclarations et leurs applications.
Un bien commun disponible à tous
Le cardinal a défendu l’importance du combat pour l’eau en prenant l’exemple de son pays natal. Au Ghana, l’extraction intensive de l’or a contaminé une grande partie des cours d’eau et provoqué une importante crise hydrique. Cette dégradation touche en priorité les populations les plus pauvres, qui ne peuvent pas se payer des installations adéquates. Elle augmente les problèmes de santé dans ces populations et accroît les inégalités sociales.
Mgr Turkson a donc rappelé la nécessité de faire de l’eau un bien commun disponible à tous. Il a relevé que l’eau ne pouvait pas, à l’instar d’autres produits de consommation, être soumise à la logique du profit. Il a ainsi appelé les populations concernées à s’organiser et à se mobiliser, avec les organisations d’aide, pour revendiquer leur droit à l’eau auprès des autorités respectives. Pour le prélat, il s’agit de confronter la mentalité qui privilégie le profit. «Le principe de la propriété privée ne doit être que secondaire par rapport à la fraternité humaine», a-t-il conclu.
Cause de migrations
Dina Ionesco, Chef de la Division migration, environnement et changement climatique, à l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), a mis en avant le fait que des millions de personnes étaient aujourd’hui déplacées dans le monde à cause des pénuries d’eau. Elle a averti que le changement climatique allait encore aggraver un phénomène migratoire qui pose déjà de nombreux problèmes dans divers pays.
Maria Alonso Escobar, de Caritas internationalis, a exposé les recommandations de son œuvre d’entraide pour améliorer l’approvisionnement en eau au niveau local. Elle préconise entre autres la participation des autorités traditionnelles, officielles et des populations dans la gestion des infrastructures.
Une problématique complexe
D’autres orateurs ont cependant soulevé la complexité de la problématique de l’approvisionnement en eau. Rose Osinde Alabaster, directrice de programme pour l’Afrique de Waterlex – une ONG de développement qui se consacre aux problèmes liés à l’eau -, a souligné le statut ambigu de l’eau.
Elle a insisté sur le fait que cette dernière possède de toute façon une valeur économique. Sa gestion demande en effet des infrastructures et des investissements importants. Cet élément naturel est ainsi soumis aux diverses conceptions économiques concernant la prédominance du secteur privé ou public.
Elle a en tout cas estimé que les questions de gestion de l’eau devaient être traitées au niveau étatique et qu’il était du rôle des gouvernements de s’assurer que les intérêts économiques ne l’emportent pas sur les intérêts publics.
Le secteur privé au-delà du rôle du «méchant»
Une vision en partie soutenue par Denys Neymon, représentant du groupe de gestion de l’eau et des déchets Suez.
Le représentant de la seconde compagnie mondiale dans le domaine a admis avec humour qu’il endossait «le rôle de méchant» au sein de l’assemblée. Il a défendu l’importance du secteur privé dans le domaine de l’approvisionnement en eau. Il a expliqué que la concurrence contribuait dans bien des cas à la baisse des prix. Le responsable d’entreprise a également soutenu que le secteur privé assurait l’innovation constante dans ce domaine, notamment au niveau technique. Les firmes non publiques peuvent également, selon lui, apporter des solutions de financement immédiates et investir très efficacement dans la recherche et le développement.
Adresse à tous les hommes de bonne volonté
L’employé de Suez a affirmé que son groupe était pleinement conscient de la nécessité d’agir pour la planète et de favoriser un accès à l’eau global. Pour cela, Denys Neymon a souligné la nécessité du dialogue avec les pouvoirs publics, les populations et la société civile. Il a souscrit à l’idée que les décisions stratégiques concernant l’utilisation des ressources hydriques doivent être prises au niveau étatique.
Mgr Ivan Jurkovic, observateur permanent du Saint-Siège auprès de l’ONU à Genève, qui tenait le rôle de modérateur, a salué le fait que le secteur privé semble développer une conscience plus aiguë des enjeux liés à l’eau.
En fin de conférence, le diplomate vatican a précisé que le message délivré par la rencontre ne s’adressait pas qu’à l’Eglise catholique, «mais à toutes les personnes de bonne volonté» dans le monde. Il les a appelées à faire face à leurs responsabilités dans le domaine de l’accès à l’eau.