Le cardinal Robert Sarah, préfet de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements (Photo:Paval Hadzinski/Flickr/CC BY-NC-ND 2.0)
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Cardinal Sarah, plus loin que la Tradition

Après nous être penchés sur le texte de Benoît XVI paru dans «Des profondeurs de nos cœurs», nous abordons celui du cardinal Robert Sarah. Pour celui-ci, l’ordination d’hommes mariés à la prêtrise représenterait une «catastrophe pastorale» et un «obscurcissement» dans la compréhension du sacerdoce et de l’Eglise. Mariage et prêtrise sont-ils dès lors vraiment incompatibles?

Christophe Herinckx, CathoBel, hebdomadaire Dimanche

Aimer jusqu’au bout. Regard ecclésiologique et pastoral sur le célibat sacerdotal. Tel est le titre du texte que le cardinal Robert Sarah, préfet de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements, a publié dans Des profondeurs de nos coeurs (pp. 73-163). Dans un long plaidoyer de nature surtout pastorale et spirituelle, le cardinal guinéen défend vigoureusement la nécessité absolue du célibat pour les prêtres.

«La possibilité d’ordonner des hommes mariés représenterait une catastrophe pastorale, une confusion ecclésiologique et un obscurcissement dans la compréhension du sacerdoce»

Dès l’entame de sa réflexion, le cardinal Sarah exprime sa conviction selon laquelle «la possibilité d’ordonner des hommes mariés représenterait une catastrophe pastorale, une confusion ecclésiologique et un obscurcissement dans la compréhension du sacerdoce» (p. 78). Le cardinal Sarah s’écarte ainsi expressément d’une proposition du «Document final» adopté au terme du synode sur l’Amazonie, en octobre 2019: la possibilité d’ordonner prêtres des diacres permanents, mariés, dans certaines régions reculées, où les communautés chrétiennes n’ont que très rarement la possibilité de recevoir l’Eucharistie.

Pourquoi l’ordination d’hommes mariés serait-elle une catastrophe pour l’Eglise? Le cardinal Sarah fonde cette conviction sur sa vision du sacerdoce, qui rejoint fondamentalement la perspective théologique développée par Benoît XVI. «Jésus nous révèle en sa personne la plénitude du sacerdoce. (…) Le cœur de la révélation est simple: le prêtre n’est pas seulement celui qui accomplit une fonction sacrificielle. Il est celui qui s’offre lui-même en sacrifice par amour à la suite du Christ» (p 79).

Le pape a rappelé l’importance des rituels de la messe (Photo:Archdiocese of Boston/Flickr/CC BY-ND 2.0)

Le prêtre comme «autre Christ»

Par conséquent, le sacerdoce est un «état de vie» (ibid.) dans lequel «le célibat sacerdotal n’est pas un ›supplément spirituel’ bienvenu dans la vie du prêtre. Une vie sacerdotale cohérente requiert ontologiquement le célibat» (pp. 79-80). Il s’agirait en effet, pour le prêtre, «d’entrer de tout son être dans le grand don du Christ au Père, dans le grand ›oui’ de Jésus à son Père. (…) Or le célibat ›est un oui définitif». (pp. 80-81). Bref, pour le cardinal Sarah, «le célibat sacerdotal est nécessaire pour la juste compréhension du sacerdoce» (p. 81), mais également pour la compréhension de l’Eglise: «Sans la présence du prêtre célibataire, l’Eglise ne peut plus prendre conscience qu’elle est l’Epouse du Christ» (p. 98).

«Les pauvres savent discerner la présence du Christ-Epoux de l’Eglise dans le prêtre célibataire»

Dans cette perspective, le cardinal reprend la notion traditionnelle du prêtre comme «autre Christ» (alter Christus), en particulier lorsqu’il célèbre l’Eucharistie: «A l’autel, le prêtre se tient auprès de l’hostie. Jésus le regarde et il regarde Jésus. (…) Alors le prêtre est identifié, configuré au Christ. Il ne devient pas seulement un Alter Christus’, un autre Christ. Il est vraiment ›Ipse Christus’, il est le Christ lui-même» (p. 132). «Bien que j’en sois indigne, Jésus est vraiment présent dans la personne du célébrant. Je suis le Christ: quelle affirmation terrifiante! Quelle redoutable responsablité! (…)» (pp. 132-133).

Pour le cardinal, si des prêtres devaient être mariés, les fidèles ne pourraient le recevoir comme cet «autre Christ». «Comment les chrétiens pouraient-ils comprendre que le prêtre se donne à eux s’il n’est pas tout entier livré au Père?» (p.82). «Les pauvres et les simples savent discerner avec les yeux de la foi la présence du Christ-Epoux de l’Eglise dans le prêtre célibataire» (p. 85).

Pas de prêtres de deuxième classe

«Les peuples d’Amazonie ont droit à une pleine expérience du Christ-Epoux. On ne peut leur proposer des prêtres de ›deuxième classe’» (p. 86), poursuit le prélat, «persuadé» que «les communautés chrétiennes n’entrent pas d’elles-même dans une logique de revendication eucharistique», mais qu’il s’agit d’»obsessions dont la source se trouve dans les milieux théologiques universitaires. Nous avons affaire à des idéologies développées par quelques théologiens qui voudraient utiliser la détresse des peuples pauvres comme un laboratoire expérimental pour leurs projets d’apprentis sorciers» (p. 90). Les évêques de la région amazonienne apprécieront cette analyse…

La Tradition n’a jamais fait du célibat un «dogme»

Quant à la présence (très importante) d’un clergé marié dans les Eglises orientales, orthodoxes ou cahtoliques, le «sens de la foi» des fidèles leur ferait «discerner aux croyants une forme d’incomplétude dans le clergé qui ne vit pas le célibat consacré» (pp. 95-96). Pourquoi dès lors l’Eglise catholique admet-elle ces prêtres mariés en son sein? Le cardinal pense que «cette acceptation a pour but de favoriser une évolution progressive vers la pratique du célibat qui aurait lieu non par voie disciplinaire mais pour des raisons proprement spirituelles et pastorales» (p. 96).

Conséquences excessives

Comment interpréter les propos du cardinal Sarah en faveur du célibat des prêtres? Même si les arguments déployés se situent clairement dans la ligne théologique défendue par Benoît XVI, on ne peut qu’être frappé par le fait que le cardinal systématise, radicalise certains éléments de la Tradition en en négligeant d’autres, au point d’en tirer certaines conséquences excessives. Le cardinal, à l’instar du pape émérite, va plus loin que ce que dit la Tradition catholique sur le célibat des prêtres. Parler d’un lien «ontologique» entre célibat et sacerdoce revient à dire que l’être même du sacerdoce est indissolublement lié au célibat, ce qui n’a jamais été établi par un concile ou un pape – même si de nombreux conciles locaux, régionaux, voire œcuménique (cf. le Concile de Nicée en 325), ont maintes fois affirmé avec force, dès l’Antiquité, que les prêtres, une fois ordonnés, étaient tenus à une continence permanente. La Tradition n’a jamais fait du célibat un «dogme», alors que Benoît XVI et le cardinal Sarah en font une «matière» quasi-dogmatique: le célibat des prêtres ferait partie de la révélation transmise par les apôtres, et devrait dès lors impliquer la foi…

Le cardinal Robert Sarah plaide pour que les prêtre reviennent à la célébration de la messe vers l’Orient, c’est-à-dire dos à l’assemblée. (Photo:Claude Truong Ngoc/Wikimedia Commons/CC BY-SA 3.0)

Le célibat n’est pas exigé par la nature du sacerdoce

Pour le concile Vatican II et le pape Paul VI, le célibat n’est, à l’inverse, pas exigé par la nature du sacerdoce, «comme le montrent la pratique primitive de l’Eglise et la tradition des Eglises orientales» d’ordonner des hommes mariés, tradition légitime que le concile dit explicitement qu’il n’entend pas modifier. Mais en raison de la convenance spirituelle et pratique, au sens le plus fort du terme, entre sacerdoce et célibat, le concile, et après lui Paul VI, décide d’en maintenir la règle pour l’Eglise latine (cf. Concile Vatican II, Presbyterorum Ordinis, n° 16).

On peut maintenir la disciple actuelle du célibat sacerdotal, avec des exceptions

Bref, le magistère de l’Eglise catholique maintient une distinction entre prêtrise et célibat consacré, qui constituent deux appels différents (comme en témoignent les moines ou les religieux qui ne sont aps prêtres). Dans la pratique, l’Eglise catholique a, depuis très longtemps, décidé de ne retenir comme candidats au sacerdoce que ceux qui ont également reçu cet appel de Dieu à se consacrer à Lui jusque dans leur sexualité et leur affectivité. Mais fondamentalement, théologiquement, rien n’empêche que des prêtres puissent être mariés. Précisons, pour être complet, que la virgnité consacrée est également possible, mais pour être humainement viable, elle doit s’enraciner dans un lien spirituel à Dieu, une relation amoureuse, voire mystique, susceptible de combler la vie de la personne consacrée.

Diverses options possibles

Au terme de cette réflexion, trois voies nous semblent se présenter à l’Eglise concernant le célibat des prêtres. Première voie: maintenir la disciple actuelle du célibat sacerdotal, avec des exceptions, ce qui implique donc que célibat et mariage soient fondamentalement compatibles. Deuxième voie: lier indissolublement prêtrise et célibat, en un sens dogmatique, auquel cas il ne devrait plus être légitimement possible d’admettre des exceptions au célibat dans l’Eglise catholique. Troisième voie: autoriser l’ordination d’hommes mariés, en acceptant donc que la vocation sacerdotale «suffise» pour devenir prêtre, sans qu’elle soit accompagnée d’une vocation au célibat consacré. Dans le cadre de cette «troisème voie», il y aurait donc une forme de «cohabitation» entre prêtres mariés et prêtres célibataires, comme c’est déjà le cas actuellement avec les communautés catholiques de rite oriental. (cath.ch/cathobel/ch/mp)

Le cardinal Robert Sarah, préfet de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements
17 février 2020 | 17:00
par Rédaction
Temps de lecture : env. 6  min.
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