Cardinal Nzapalainga: «mon secret, c’est le Saint-Sacrement»
L’archevêque de Bangui, Dieudonné Nzapalainga, sillonne depuis des années les routes de la Centrafrique pour faire advenir la paix dans un pays laminé par les guerres entre communautés. Dans un ouvrage autobiographique, Je suis venu vous apporter la paix (Éditions Médiaspaul*), on découvre le parcours exceptionnel de celui qui est depuis 2016 le plus jeune cardinal de l’Église catholique.
Propos recueillis par Hugues Lefèvre, I.MEDIA
De passage à Rome, Mgr Nzapalainga s’est confié à I.MEDIA sur la situation de son pays, son temps d’apostolat effectué en France alors qu’il était un jeune prêtre ou encore la crise migratoire.
Quelle est la situation actuelle en Centrafrique ?
Le pays a connu beaucoup de soubresauts ces dernières années. Le dernier est survenu au mois de décembre. L’ancien président, François Bozizé, a voulu marcher sur Bangui avec un groupe de rebelles à l’occasion des élections présidentielles. Ils ont été stoppés. Après le déroulement des élections, les rebelles ont une nouvelle fois attaqué la capitale en janvier et les forces alliées, les Russes et les Rwandais, ont défendu la ville. Alors qu’en début d’année, une grande partie du pays était encore occupée par les rebelles, les choses s’inversent. 80% du territoire est maintenant occupé par les forces loyalistes et leurs alliés ; les grandes villes sont enfin dans les mains du gouvernement, ce qui n’était pas arrivé depuis des années !
L’administration peut donc s’y déployer. C’est une très bonne chose même si la situation reste fragile. D’ailleurs, plusieurs questions subsistent. Les rebelles se replient en emportant leurs armes. Où vont-ils ? Qu’envisagent-ils de faire ? Personne ne peut le dire.
Quels fruits reste-t-il de la visite historique du pape en Centrafrique en 2015 ?
Le pape est venu chez nous comme un messager de paix et d’espérance. Il est venu comme une lumière qui éclaire les ténèbres. Nous étions prisonniers de nos violences, de nos haines, de nos divisions. Beaucoup ne voyaient pas d’issue possible à notre situation. Cependant, le pape a osé faire l’impensable: venir dans un pays en guerre. Rappelons-nous qu’il y avait eu des affrontements graves juste avant son arrivée !
Souhaitant rencontrer les musulmans, il s’est rendu dans la zone extrêmement tendue du PK5, une enclave dans laquelle vivent des musulmans qui n’avaient plus d’espoir [ils étaient harcelés par les milices anti-balaka, prétendument chrétiennes, NDLR]. Le pape est venu et les a comme libérés puisqu’une foule l’a suivi lorsqu’il est reparti en papamobile pour aller célébrer une messe dans le stade !
Après son passage, durant six mois, les habitants de Centrafrique étaient comme stupéfaits. Ils ne sortaient plus leurs armes.
«Contrairement à la Centrafrique où tout le monde est croyant, Dieu n’est plus présent au cœur de la société française»
Et puis les choses ont dégénéré ?
Il y a eu un retour de la violence. Car, avant la visite du pape, la Centrafrique était dans un chaos et l’autorité de l’État n’existait pas. Les préfets, les maires, tout cela n’était que de la figuration par rapport aux chefs rebelles, véritables seigneurs de guerre qui disposaient du monopole de la violence. Ces derniers temps, avec le départ progressif des rebelles, la donne est en train de changer.
Dans les années 1990, vous avez été envoyé à Marseille où vous avez notamment enseigné le catéchisme à des jeunes. Que retenez-vous de cette expérience ?
J’ai vécu de très bons moments en France. Ils ont fait de moi ce que je suis aujourd’hui. Je suis effectivement arrivé pour enseigner le cours de culture religieuse. Jeune prêtre, j’étais heureux de commencer cette expérience. Mais j’avais en face de moi des jeunes en difficulté qui n’avaient pas envie d’entendre parler de Dieu. Alors, quand je commençais à écrire au tableau, ils me jetaient des projectiles ! Je les énervais car ils ne voyaient pas l’utilité de mon cours. Contrairement à la Centrafrique où tout le monde est croyant, Dieu n’est plus présent au cœur de la société française donc les jeunes ne comprennent pas l’intérêt du catéchisme.
Je me rappelle d’une semaine durant laquelle ils s’étaient mis en tête de me faire partir en arrêt maladie. Ce fut terrible. Je faisais parfois 50 minutes de discipline pour 5 minutes d’enseignement ! En sortant, j’étais vidé. J’allais pleurer devant le Saint-Sacrement, mon psychologue. Je disais au Seigneur: «c’est pour Toi que je suis venu ici, je T’ai donné ma vie ; et je ne suis pas accueilli, je suis rejeté, incompris. Donne-moi les moyens d’accomplir la mission que Tu m’as donnée ». Et je me sentais apaisé.
Sont-ils parvenus à vous faire partir en arrêt maladie?
À la fin de cette semaine, le leader de la classe m’a demandé comment faire pour que je craque. Je lui ai répondu qu’il fallait d’abord qu’il fasse craquer Dieu en qui j’ai mis toute ma confiance. Il m’a regardé puis il m’a tapé dans la main. Les jours suivants, il n’y avait plus de désordre.
Aux professeurs qui me demandaient comment je faisais pour être encore debout, je leur disais : mon secret, c’est le Saint-Sacrement. C’est vers lui que je pleure.
Certains vous surnomment le «cardinal courage». Qu’en dites-vous ?
Mon courage, je le tire du dialogue avec le Seigneur dans le Saint Sacrement. C’est lui qui agit. Nous ne sommes que des canaux. Quand je pars rencontrer les rebelles, les gens me disent que je suis fou. Au début, en 2013, les gens appelaient ma mère pour qu’elle me raisonne. Elle me disait qu’il fallait que je pense à ma famille, que je sois prudent, etc. Je lui ai dit : «maman, tu m’as mis au monde, tu m’as éduqué ; puis j’ai fait mon choix, je suis devenu prêtre. Mon engagement me conduit maintenant ici, comme évêque. Ce que je te demande c’est de ne plus m’appeler tous les jours mais de prier pour moi». Quand je pars en mission, c’est comme si j’allais à Jérusalem. Je suis un disciple du Christ qui a donné sa vie pour le monde.
«Le prophétisme c’est cela: interpeller les consciences pour les amener à voir ce qu’elles ne veulent pas regarder»
La Méditerranée se transforme en un grand cimetière, déplore régulièrement le pape François. Voyez-vous un manque de courage de la part des chrétiens dans cette crise migratoire qui dure depuis des années ?
Au nom de l’Évangile, il faut oser des paroles et des actes. Le pape François l’a fait dès le début de son pontificat avec Lampedusa. Dernièrement, il a de nouveau parlé de ces drames avec les 130 morts noyés en Méditerranée. Il faut avoir conscience qu’il s’agit d’êtres humains, créés à l’image de Dieu. Ce ne sont pas des sous-hommes mais des personnes sacrées. Nous devons le dire, le clamer.
Le chrétien est un pèlerin en marche. Il ne s’assied pas. Même à la Résurrection du Christ, ils se sont mis en marche pour aller dans d’autres villes. Ne nous installons pas dans notre confort ! Laissons-nous provoquer par cette misère et par cette pauvreté.
Je ne veux donner de leçon à personne. Il faut savoir affronter la réalité en face et chercher des solutions. Le prophétisme c’est cela : interpeller les consciences pour les amener à voir ce qu’elles ne veulent pas regarder.
Il faut aussi se poser les bonnes questions. Pourquoi les gens migrent-ils ? Évaluons les responsabilités des gouvernants qui ont déstabilisé des pays ou bien les ont privés de leurs richesses. On ne peut pas piétiner les autres pour garder les richesses pour soi. Les chrétiens ont donc un rôle à jouer ; un rôle qui n’est pas toujours facile.
Vous devez notamment votre vocation à un prêtre spiritain néerlandais envoyé en Centrafrique. En un sens, votre mission en Europe était une manière de rendre la pareille ?
Oui, j’ai eu l’impression de rendre un peu de ce que j’avais reçu. Petit, j’ai été très marqué par ce père Léon, un blanc qui venait jouer au football et enseigner dans notre quartier très pauvre. C’était le seul à venir vraiment partager notre quotidien, à manger avec nous, simplement. J’ai eu de la chance de le rencontrer. Enfant, mon rêve était de devenir comme lui.
Ces dernières années, nous développons les «écoles villageoises» afin de donner une instruction à des enfants qui n’auraient jamais eu cette chance. Nous avons monté 10 écoles et notre projet est d’en construire 50 en tout. Cette année, je suis heureux car trois jeunes passés par ces écoles ont réussi à entrer au séminaire et sont parmi les meilleurs. Qui aurait cru cela ? Qu’est ce qui peut sortir de Nazareth ? Il faut qu’il y ait beaucoup de Nazareth. Les séminaires ne sont pas destinés simplement à l’élite mais aussi à la périphérie.
* Le livre autobiographique Je suis venu vous apporter la paix (Éditions Médiaspaul) a été écrit avec l’aide de Laurence Desjoyaux, journaliste à l’hebdomadaire La Vie. Il retrace l’épopée de ce Centrafricain né dans un quartier pauvre de Bangassou en 1967 d’un père catholique et d’une mère protestante. En 2013, quand la guerre civile éclate, il devient la voix de la paix en n’hésitant pas à se rendre avec un imam et un pasteur dans les villages ravagés par les violences communautaires.