Cardinal Kurt Koch: «L'œcuménisme de l'amour» prépare le chemin de «l'œcuménisme de vérité»
La rencontre entre le pape François et le patriarche Cyrille de Moscou, le 12 février dernier à La Havane (Cuba), a été «un pas très courageux» de la part du chef de l’Eglise orthodoxe russe. «Le patriarche Cyrille était bien conscient des réticences des secteurs conservateurs de son Eglise, mais il a maintenu sa décision», confie à cath.ch le cardinal Kurt Koch.
Le président du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens était invité le 22 mai 2016 à Einsiedeln par la section suisse de l’œuvre d’entraide catholique internationale «Aide à l’Eglise en Détresse» (AED) pour parler de la persécution des chrétiens dans le monde.
Cath.ch: La rencontre de La Havane va-t-elle faire avancer l’œcuménisme, étant donné certaines réactions négatives dans le monde orthodoxe ?
Cardinal Koch: Il y a eu effectivement en Russie des réactions très négatives, mais le patriarche Cyrille veut poursuivre le dialogue entamé il y a déjà des années. Nous avons des relations sociales et culturelles, comme, le 17 décembre dernier, le concert à la basilique Saint-Jean-de-Latran où se sont produits le Chœur synodal de Moscou et le Chœur de la Chapelle Sixtine. L’évènement était organisé par le Groupe de travail mixte pour la coopération culturelle entre l’Eglise orthodoxe russe et le Saint Siège.
C’était un très bel événement, parce que la musique est le langage le plus universel de l’humanité et la dimension culturelle fait partie du dialogue œcuménique. Derrière les divergences qui séparent les Eglises, il y a beaucoup de questions culturelles. Le dialogue culturel permet de jeter des ponts sur les fossés qui nous séparent. Les questions théologiques sont très difficiles, il faut préparer le terrain. On ne peut avancer dans «l’œcuménisme de vérité», le dialogue théologique sur les questions qui continuent de diviser, uniquement si le «dialogue de l’amour» (les relations amicales, fraternelles) est bien préparé.
Du côté de l’Eglise catholique ukrainienne de rite byzantin, les réactions à cette rencontre avec le patriarche de Moscou ont été plutôt négatives!
Il y a eu beaucoup de malentendus ! Le pape voulait une déclaration pastorale, pas une déclaration politique. Dans le communiqué commun, seuls deux paragraphes concernent l’Ukraine. Les deux chefs d’Eglise déplorent la confrontation en Ukraine «qui a déjà emporté de nombreuses vies, provoqué d’innombrables blessures à de paisibles habitants et placé la société dans une grave crise économique et humanitaire». Tous deux ont exhorté toutes les parties du conflit à la prudence, à la solidarité sociale, et à agir pour la paix.
Il faut distinguer entre un discours du Saint-Père et une déclaration commune qui est soupesée de chaque côté. On ne peut dire que ce qui est commun aux deux parties…
Une telle rencontre était une première dans l’histoire…
En effet. Celle prévue à l’occasion du 2e Rassemblement œcuménique européen, à Graz, en Autriche (qui s’est tenu du 23 juin au 4 juillet 1997, ndlr) entre le pape Jean-Paul II et le patriarche Alexis II avait été annulée quelques jours avant en raison des tensions persistantes entre les deux Eglises sur deux dossiers: la création de nouvelles circonscriptions ecclésiastiques catholiques en Russie, considérée comme le territoire canonique réservé de l’Eglise orthodoxe, et la question de l’existence d’une Eglise gréco-catholique en Ukraine (que l’on appelait autrefois «uniatisme», c’est-à-dire l’adhésion à Rome d’une partie des orthodoxes à la fin du XVIe siècle).
En 1946, Staline avait liquidé l’Eglise gréco-catholique pour l’intégrer de force dans l’Eglise orthodoxe, et il en reste une blessure vive.
Comprenez-vous la réaction négative des catholiques ukrainiens ?
Evidemment, parce que les Ukrainiens sont dans une situation très difficile. Mais cette rencontre à La Havane est le commencement d’un dialogue, pas la fin. Le patriarche Cyrille lui-même l’a dit: le temps est mûr pour cette rencontre, en raison de la situation des chrétiens qui subissent la persécution dans le monde, en particulier au Moyen-Orient.
Nous devons confesser d’une même voix nos préoccupations pour ces chrétiens qui souffrent. «L’œcuménisme du sang» est le plus grand défi. Le pape François l’a dit un jour: les dictateurs ont un meilleur œcuménisme que les chrétiens, car ils ne font pas de différences entre eux, sachant que les chrétiens sont un.
Le pape Jean-Paul II avait déjà dit dans son dans son encyclique «Ut unum sint» que les chrétiens ont un «martyrologe commun qui comprend aussi les martyrs de notre siècle, plus nombreux qu’on ne pourrait le penser, et il montre, en profondeur, que Dieu entretient chez les baptisés la communion dans l’exigence suprême de la foi, manifestée par le sacrifice de la vie».
La question de la persécution des chrétiens vous tient à cœur… C’est la raison pour laquelle vous avez répondu à l’invitation d’»Aide à l’Eglise en Détresse» ?
C’est en effet un grand défi de notre temps. A l’heure actuelle, c’est plus grand que la persécution des premiers chrétiens dans l’Empire romain! Dans 80 % des cas de persécution religieuse, les victimes sont des fidèles de diverses Eglises chrétiennes, c’est pourquoi l’on peut vraiment parler d’œcuménisme des martyrs…
Au Moyen-Orient ou dans les pays à majorité musulmane d’Afrique, beaucoup de chrétiens sont ciblés sans distinction de confessions. Ils ne sont pas persécutés parce qu’ils sont catholiques, orthodoxes, réformés, luthériens ou membres d’Eglises orientales, mais bien parce qu’ils sont chrétiens!
Le cardinal Jean-Louis Tauran, président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, est très engagé dans le dialogue avec les musulmans. Il est absolument nécessaire d’approfondir le dialogue. En effet, en lisant le même Coran, on peut promouvoir la paix et la concorde entre les religions, ou alors justifier la violence. Le grand discours sur les rapports entre la raison et la foi du pape Benoît XVI en 2006 à Ratisbonne, où il a condamné la violence exercée au nom de la religion et évoqué l’islam dans ce contexte, était prophétique. La rencontre du pape François au Vatican avec le cheikh Ahmed al-Tayeb, Grand imam d’Al-Azhar et plus haute autorité de l’islam sunnite, est un signe positif. (voir encadré)
Faut-il questionner davantage les religions sur leur rapport à la violence ?
Aujourd’hui plus que jamais, il est absolument nécessaire de poser la question de la violence. C’est un fait que dans l’histoire, à partir de la même Bible, les chrétiens ont justifié les violences entre catholiques et protestants. Aujourd’hui, on assiste à une opposition sanglante entre sunnites et chiites…
Exercer la violence au nom de la religion est un abus, et tous ceux qui ont participé le 27 octobre 2011 à la Journée de réflexion, de dialogue et de prière pour la paix et la justice dans le monde, à Assise, ont souscrit aux paroles du pape Benoît XVI, dénonçant le recours à la violence pour des motifs religieux: «Ce n’est pas la vraie nature de la religion. C’est au contraire son travestissement et il contribue à sa destruction!»
Comme chrétien, je voudrais dire à ce sujet: oui, dans l’histoire on a aussi eu recours à la violence au nom de la foi chrétienne. Nous le reconnaissons, pleins de honte. Mais il est absolument clair que ceci a été une utilisation abusive de la foi chrétienne, en évidente opposition avec sa vraie nature».
Le pape François visitera l’Arménie du 24 au 26 juin prochain, et il se rendra au Mémorial dédié aux victimes du génocide arménien perpétré par le gouvernement Jeunes-Turcs entre 1915 et 1916.
Cette visite à une Eglise très ancienne – l’Arménie est le premier Etat chrétien dans l’histoire – est un très beau signe et a une grande importance. En avril de l’an dernier, année du centenaire du génocide arménien, le pape François, en présence des deux catholicos apostoliques arméniens ainsi que du patriarche arménien catholique, avait déclaré à Rome que «notre humanité avait vécu, le siècle dernier, trois grandes tragédies inouïes: la première est celle qui est généralement considérée comme le premier génocide du XXème siècle; elle a frappé votre peuple arménien».
Le pape Jean-Paul II avait déjà évoqué ce «premier génocide du XXème siècle» dans une déclaration commune avec le catholicos Karékine II, lors de sa visite à la cathédrale apostolique d’Etchmiadzine, en Arménie, en septembre 2001. Cette grande tragédie a inspiré Hitler dans sa volonté de destruction des juifs, en se demandant alors: «Qui parle encore de ce génocide ?». La déclaration du pape François a provoqué une réaction forte de la part de la Turquie, qui a convoqué le nonce apostolique à Ankara et rappelé l’ambassadeur turc près le Saint-Siège. Mais il est important que le monde se rappelle ces tragédies pour qu’elles ne se répètent pas!
Encadré
Le dialogue avec les musulmans est de la plus haute importance pour l’Eglise
Le dialogue avec les musulmans est – plus que jamais – de la plus haute importance pour l’Eglise catholique. Le pape François a ainsi reçu en audience au Vatican la plus haute autorité de l’islam sunnite, le cheikh Ahmed al-Tayeb, Grand imam d’Al-Azhar, lundi 23 mai 2016. Tous deux ont souligné «la grande signification de cette nouvelle rencontre dans le cadre du dialogue entre l’Eglise catholique et l’islam».
Selon le Saint-Siège, leur échange a ensuite porté sur «l’engagement commun des autorités et des fidèles des grandes religions pour la paix dans le monde, le refus de la violence et du terrorisme, la situation des chrétiens dans le contexte des conflits et des tensions dans le Moyen-Orient, ainsi que leur protection». Avant de quitter le Palais apostolique, le cheikh Ahmed al-Tayeb s’est également brièvement entretenu avec le cardinal Jean-Louis Tauran, président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, accompagné du secrétaire du dicastère, Mgr Miguel Angel Ayuso Guixot. (cath.ch-apic/be)