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Suisse

Cardinal Cottier: La miséricorde est une réponse au mal de notre monde

A quelques jours de l’annonce solennelle de l’Année sainte extraordinaire du Jubilé de la Miséricorde, voulue par le pape François, le cardinal suisse Georges Cottier livrait le 7 avril 2015 à I.MEDIA une de ses dernières grandes interviews. Il soulignait que la miséricorde est une réponse au grand drame du mal que connaît le monde. Le cardinal suisse s’est éteint dans la nuit du 31 mars 2016.

A la veille de ses 93 ans, l’ancien théologien de la Maison pontificale expliquait en outre que, face aux violences commises dans le monde, l’Eglise ne peut encourager «des armées chrétiennes» mais qu’elle a, au contraire, une mission de dialogue.  Cath.ch republie cette interview qui résonne comme un testament spirituel.

L’annonce d’une année sainte extraordinaire vous a-t-elle étonné ? Qu’est-ce que cela signifie pour l’Eglise?

Cardinal Georges Cottier: J’ai été étonné car je ne m’y attendais pas, mais cette annonce n’est pas pour autant quelque chose d’insolite. C’est un événement très significatif. Une année sainte est un parcours de conversion auquel le pape invite tous les membres de l’Eglise. Quant à la miséricorde, c’est une grande inspiration du Concile Vatican II qui avait déjà incité Jean Paul II à proclamer le dimanche de la Divine Miséricorde lors de la canonisation de sœur Faustine Kowalska (1905-1938). Nous avons besoin d’approfondir ce thème. A certaines périodes de l’histoire de l’Eglise, on a beaucoup insisté sur le Salut et le risque de la perdition de l’âme. Mais fondamentalement, ce qu’il y a derrière l’enseignement de l’Eglise, c’est la miséricorde: le don du Fils de Dieu pour les hommes. Nous avons tendance à opposer justice divine et miséricorde alors qu’elles sont inséparables.

›Miséricorde’ semble être «le» mot du pape François, inscrit dans sa devise, dont on trouve des occurrences multiples dans son exhortation apostolique Evangelii Gaudium, mais aussi dans nombre de ses appels et catéchèses…

Comme l’ont fait ses deux prédécesseurs, le pape François exploite le capital du Concile Vatican II. De par son expérience de l’Amérique Latine, il est particulièrement sensible à ce qu’il appelle «l’exclusion». Le problème actuel est que certains économistes «réalistes» considèrent que l’économie mondiale peut supporter la plaie de l’exclusion – des êtres soumis aux trafics de tous ordres et à une extrême promiscuité – moyennant quelques aides et des antennes locales de charité. Autrement dit, il y a des exclus dans le monde et on en prend son parti. Or, le message de l’Eglise, donné par le pape François, est qu’il n’y a pas d’exclus dans le christianisme. Le pape a notamment choisi ce thème de la miséricorde en considération des misères et des violences actuelles.

Comment la miséricorde prêchée par l’Eglise peut-elle parler au monde contemporain?

Aujourd’hui, la société sécularisée se débat avec le mal en le cachant. Le paradoxe actuel est qu’il y a des gens qui accusent Dieu devant des monstruosités commises et inexplicables, mais qui en même temps, veulent se libérer de l’idée de péché. L’homme issu de la sécularisation est dur et fier. Pourtant, le message de la miséricorde divine nous appelle à nous reconnaître fragiles. Le mot miséricorde signifie l’amour qui s’adresse à des misères, aux fragilités du pécheur. La miséricorde implique aussi deux choses: le pardon et la paix. Quand on demande pardon, on se reconnaît pécheur et on comprend que le péché peut avoir des dimensions terribles en nous. La miséricorde émerge donc comme une réponse face au mal que l’on ne comprend pas toujours. Nous faisons tous l’expérience personnelle du péché, mais il y a certaines grandes fautes, qui ont été commises dans l’humanité, qui dépassent la raison et qui ont quelque chose de diabolique. Face à cela, l’humanité qui a perdu la foi est sans armes. La réponse à ce grand drame est la miséricorde de Dieu, plus forte que tout.

Quels sont les actes de miséricorde que peut poser l’Eglise aujourd’hui?

Il y a une mission positive de l’Eglise pour construire la paix. Le rapport de l’Eglise avec le monde est un rapport de dialogue, très bien exprimé par Paul VI au Concile. L’Eglise ne peut en effet recourir à des moyens de violence. Aujourd’hui notamment, on observe des poussées terribles de violence dans le monde musulman, faites au nom de l’islam. Face au mal délirant, la réponse de l’Eglise n’est pas dans le ›contre-délire’, mais dans la promotion de l’efficacité de l’Evangile par des moyens évangéliques. Nous ne devons pas trop nous appuyer sur des moyens temporels: il ne s’agit pas de créer des armées chrétiennes. Bien que la légitime défense soit justifiée dans certains cas, l’Eglise n’a pas à encourager une ›contre-armée’. Sa mission est de faire comprendre à l’humanité que sa dignité est dans la recherche de la paix par le dialogue et l’entente. C’est pour cela que l’Eglise défend des institutions internationales telles que les Nations unies.

Lors du Jubilé de l’an 2000, Jean Paul II avait posé des actes de pardon historiques. Le pape François pourrait-il faire de même?

Avant de poser ces actes historiques de repentance, Jean Paul II avait soumis cette idée à un groupe de cardinaux. Beaucoup furent déconcertés: on critique déjà tellement l’Eglise, voulait-il vraiment en rajouter? Mais la réponse du pape fut très claire: l’Eglise est sainte mais composée de pécheurs et la parole du chrétien doit être accompagnée du témoignage. Quant au pape François, c’est possible qu’il pose des actes de pardon durant l’Année sainte, même s’il n’y a pas de certitude. Ce que l’on constate, c’est qu’il y a un progrès de la conscience chrétienne. Autrefois, la peine de mort n’était pas un sujet d’opposition de l’Eglise. Aujourd’hui, elle s’y oppose formellement. L’Eglise, dans le temps, découvre toujours mieux les exigences propres de l’Evangile. Attention toutefois, Jean Paul II a demandé pardon à Dieu – le premier offensé – et aux victimes, au nom de l’Eglise, sur des faits historiques avérés et non sur des mythes. La demande de pardon se fait à partir de faits réels, dans l’objectivité et dans le dialogue et non dans l’auto-accusation et le sentiment de culpabilité. (apic/imedia/lf/rz)

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1 avril 2016 | 15:40
par Maurice Page
Temps de lecture : env. 4  min.
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