San Salvador Mural de Mgr Romero à la chapelle de la Divine Providence, où l'évêque martyr a été assassiné | © Jacques Berset
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Canonisation de Mgr Oscar Romero: le Salvador s'apprête à fêter son premier saint

Quelque 7’000 pèlerins salvadoriens sont attendus à Rome pour participer le dimanche 14 octobre 2018 à la cérémonie de canonisation de Mgr Oscar Romero, reconnu par l’Eglise comme martyr assassiné «en haine de la foi».

L’archevêque de San Salvador a été abattu par un tueur lié à l’extrême-droite le 24 mars 1980, alors qu’il célébrait la messe dans la chapelle de l’hôpital de la Divine-Providence, dans la capitale salvadorienne.

Réticence d’une partie de la hiérarchie et haine de l’establishment

En raison de ses sympathies conservatrices et par peur d’une possible récupération idéologique par les milieux de gauche, la hiérarchie de l’Eglise salvadorienne fut longtemps, dans sa majorité, réticente à vouloir porter l’évêque martyr sur les autels, . L’establishment au Salvador lui a voué une haine féroce dès qu’il a commencé à dénoncer les atteintes aux droits de l’homme et la violation de la dignité de la population pauvre.

Désormais, l’Eglise salvadorienne se prépare fiévreusement pour les célébrations de la canonisation de son premier saint. «Sa Sainteté le pape François nous recevra en audience spéciale dans la salle Paul VI», se réjouit Mgr José Luis Escobar, archevêque de San Salvador.

Tombe de Mgr Oscar Romero dans la crypte de la cathédrale de San Salvador | © Jacques Berset

Dès le samedi 13 octobre, chaque paroisse du Salvador organisera des veillées de prière. Devant la cathédrale métropolitaine, les activités commenceront dans l’attente de la cérémonie de canonisation sur la Place St-Pierre de Rome, qui sera diffusée sur un écran géant.

Une grande fête de foi et d’unité fraternelle

«Ce sera une grande fête de foi et d’unité fraternelle, ont affirmé les organisateurs des célébrations, où la joie d’avoir le premier saint salvadorien sera proclamée d’une seule voix».

Dans l’après-midi, des manifestations populaires seront organisés sur la place «Divino Salvador del mundo» (Divin Sauveur du monde), puis commencera le pèlerinage de la lumière vers la cathédrale métropolitaine, avec la participation des jeunes de l’archidiocèse, la Famille Clarétaine, les Confédérations de religieux et religieuses du Salvador, les communautés ecclésiales de base, les paroisses, les «collectifs de la mémoire historique», la «Concertation Romero», les associations pour la recherche des enfants et des parents disparus, les mouvements sociaux, les coopératives, les syndicalistes, les enseignants et les fidèles des paroisses.

Des feux d’artifice devant la cathédrale

Un grand moment de fête est prévu au moment où le pape François prononcera le nom de Mgr Romero, avec des feux d’artifice et des lancers de ballons, des groupes de danse, un millier de guitaristes qui chanteront une chanson pour l’évêque martyr. Après cette explosion de ferveur populaire, quand la cérémonie de canonisation se concluera à Rome, les participants se rendront à la crypte de la cathédrale pour vivre un moment plus intime avec Mgr Romero, au cours d’une activité artistique et religieuse. «Il y aura de la marimba, un instrument que Mgr Romero aimait beaucoup», précise le Père Joaquín Alvarez, représentant des commissions chargées d’organiser les cérémonies.

Le dimanche 28 octobre, une messe d’action de grâce sera célébrée dans la cathédrale de San Salvador en l’honneur de Mgr Romero. «C’est une grâce attendue depuis longtemps», affirme Mgr José Luis Escobar Alas, archevêque de San Salvador.

Salvador Mitre de Mgr Oscar Romero, «Sentir avec l’Eglise» | © Jacques Berset

Saint Romero des Amériques

Gaspar Romero, le frère de l’évêque martyr, a déclaré à la presse salvadorienne qu’il y a longtemps que pour ses proches – et pour beaucoup de gens humbles dans le pays – Mgr Romero était  un saint. «A Rome, je prierai pour tous les Salvadoriens et demanderai au pape une bénédiction. Nous devons demander à Mgr Romero la paix et du travail ici dans le pays». Depuis l’époque de son assassinat, les plus pauvres et les plus humbles se rendent sur la tombe de celui qu’ils ont toujours appelé «Saint Romero des Amériques».

Le cardinal Grégorio Rosa Chavez, évêque auxiliaire de San Salvador, devant un portrait de Mgr Romero | © Jacques Berset

Le cardinal Gregorio Rosa Chavez, évêque auxiliaire de San Salvador, a déclaré que le 15 octobre, les pèlerins salvadoriens rencontreront le pape François et l’inviteront au Salvador. «Nous  lui demanderons officiellement, pour la troisième fois, de venir dans le pays».

«Nous espérons qu’il pourra venir avant ou après la Journée mondiale de la jeunesse (JMJ), qui se tiendra au Panama en janvier prochain. Nous lui dirons que nous le voulons avec nous en janvier», a commenté le cardinal Rosa Chavez, avant de s’envoler pour Rome à la tête d’un groupe de pèlerins.


Une «option pour les pauvres» basée sur l’Evangile

«L’option pour les pauvres» de Mgr Oscar Romero (1917-1980) «n’était pas idéologique, mais évangélique», assurait le cardinal Angelo Amato, préfet de la Congrégation pour les causes des saints, le 22 mai 2015.

Connu pour ses prises de position controversées, Mgr Romeo Tovar Astorga, ancien évêque de Santa Ana, déclarait à cath.ch en 2014 qu’il n’était pas très chaud à l’idée de voir Mgr Romero accéder à l’honneur des autels. «C’est une figure très manipulée par les politiciens de gauche… La canonisation de Mgr Romero, en ce moment, pourrait être dommageable, car ainsi on va canoniser ›l’idéologie communiste’. Il vaudrait mieux attendre!» Et d’affirmer à l’époque qu’il y avait au moins «deux ou trois marxistes au sein de la Conférence épiscopale salvadorienne». Il faisait allusion non pas à des évêques «gauchistes», mais simplement à des prélats ne partageant pas ses sympathies politiques…. Il n’était, à l’époque, pas le seul prélat salvadorien à exprimer des réticences face à une éventuelle canonisation de Mgr Romero, qui fut béatifié au cours d’une célébration le 23 mai 2015 à San Salvador.

Mgr Miguel Ángel Morán Aquino, ancien évêque de San Miguel, et actuel évêque de Santa Ana, au séminaire mineur que fréquenta le jeune Oscar Romero | © Jacques Berset

Tentative de récupération

«La guérilla critiquait Mgr Romero quand il vivait, avant de s’en emparer après sa mort, alors que lui n’a jamais fait de la politique. C’était un pasteur, qui illuminait la réalité depuis la foi!», confiait à l’époque Mgr Rodrigo Orlando Cabrera Cuellar, ancien évêque de Santiago de Maria.

Contrairement à une idée répandue dans de nombreux milieux catholiques, l’archevêque de San Salvador, tombé sous les balles des Escadrons de la Mort le 24 mars 1980, n’était pas un adepte de la théologie de la libération. Très traditionaliste dans sa dévotion et sa façon de penser, il aimait le pape et la discipline ecclésiale. Les témoignages de ses proches dessinent plutôt la conversion radicale d’un évêque conservateur, longtemps proche des pouvoirs établis, qui ne cachait pas son amitié pour l’Opus Dei, mais qui deviendra au fil des années un défenseur acharné des droits humains et de la justice pour les pauvres et les opprimés. Dans ce pays, le simple fait de parler de justice sociale, de respect des campesinos et des ouvriers suffit, aujourd’hui encore, pour se faire épingler comme «communiste», «marxiste» ou «socialiste».

Salvador Mgr Oscar Romero, assassiné au pied de l’autel de la chapelle de la Divine Providence | © Jacques Berset

Un «subversif» pour les prélats conservateurs 

Pendant des années, certains prélats latino-américains très influents à Rome ont taxé l’archevêque assassiné de «communiste» ou de «subversif». A Rome, la désinformation allait bon train, ce qui a pendant de nombreuses années  bloqué le dossier de béatification. Des membres puissants de la curie romaine, des milieux conservateurs, étaient très réticents à l’idée de faire de Mgr Romero un saint.

San Salvador La chapelle de la Divine Providence, où fut assassiné Mgr Oscar Romero | ©Jacques Berset)

Mais en 2007 déjà, lors de sa visite au Brésil, le pape Benoît XVI avait clairement dit qu’il considérait Mgr Romero comme «digne des autels». Excellent connaisseur de la réalité ecclésiale latino-américaine, le pape François n’avait, pour sa part, jamais caché qu’il souhaitait la béatification «sans tarder» de cet évêque d’Amérique centrale qu’il avait qualifié d’»homme de Dieu», en s’adressant aux journalistes dans l’avion qui le ramenait de Corée du Sud, le 18 août 2014.


Prière pour la fin de la violence

A l’occasion de la cérémonie de canonisation de Mgr Oscar Romero, le Salvador priera pour mettre fin à la violence qui ronge ce petit pays d’Amérique centrale. Le Salvador ne cesse de compter ses morts depuis la signature des Accords de paix de Chapultepec, qui a mis fin à une guerre civile qui a fait plus de 70’000 morts et un million de déplacés entre 1980 et 1992. Mais depuis cette date, près de 100’000 personnes ont été victimes d’homicides, dont plus de la moitié sont attribués aux «pandillas» ou «maras», des bandes criminelles qui comptent quelque 60’000 membres actifs, soit davantage que l’ensemble des effectifs de la police et de l’armée. Les «mareros» disposent d’une base sociale d’un demi-million de personnes, sur une population totale de 6,2 millions d’habitants. Des bandes comme la Mara Salvatrucha (MS-13) et les deux factions du Barrio 18 contrôlent de vastes zones de non droit, dans les périphéries urbaines ou dans les zones d’habitat informel, et vivent principalement d’extorsions. (cath.ch/be)

San Salvador Mural de Mgr Romero à la chapelle de la Divine Providence, où l'évêque martyr a été assassiné | © Jacques Berset
8 octobre 2018 | 15:26
par Jacques Berset
Temps de lecture : env. 6  min.
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